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CHAPITRE XX.

Continuation du même sujet.

Lorsque les Portugais et les Castillans dominoient dans les Indes orientales, le commerce avoit des branches si riches que leurs princes ne manquèrent pas de s'en saisir. Cela ruina leurs établissements dans ces parties-là.

Le vice-roi de Goa accordoit à des particuliers des priviléges exclusifs. On n'a point de confiance en de pareilles gens; le commerce est discontinué par le changement perpétuel de ceux à qui on le confie; personne ne ménage ce commerce, et ne se soucie de le laisser perdu à son successeur; le profit reste dans des mains particulières, et ne s'étend pas assez.

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CHAPITRE XXI.

Du commerce de la noblesse dans la monarchie.

Il est contre l'esprit du commerce que la noblesse le fasse dans la monarchie. « Cela seroit « pernicieux aux villes, disent les empereurs << Honorius et Théodose, et ôteroit entre les mar

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Leg. nobiliores, cod, de commerc. et leg. ult. de rescind. vendit.

«< chands et les plébéiens la facilité d'acheter et de <<< vendre. >>

Il est contre l'esprit de la monarchie que la noblesse y fasse le commerce. L'usage qui a permis en Angleterre le commerce à la noblesse est une des choses qui ont le plus contribué à y affoiblir le gouvernement monarchique.

CHAPITRE XXII.

Réflexion particulière.

Des gens frappés de ce qui se pratique dans quelques états pensent qu'il faudroit qu'en France il y eût des lois qui engageassent les nobles à faire le commerce. Ce seroit le moyen d'y détruire la noblesse sans aucune utilité pour le commerce. La pratique de ce pays est très sage les négociants n'y sont pas nobles, mais ils peuvent le devenir; ils ont l'espérance d'obtenir la noblesse sans en avoir l'inconvénient actuel; ils n'ont pas de moyens plus sûrs de sortir de leur profession que de la bien faire, ou de la faire avec honneur : chose qui est ordinairement attachée à la suffisance.

Les lois qui ordonnent que chacun reste dans sa profession, et la fasse passer à ses enfants, ne sont et ne peuvent être utiles que dans les états 1

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despotiques, où personne ne peut ni ne doit avoir d'émulation.

Qu'on ne dise pas que chacun fera mieux sa profession lorsqu'on ne pourra pas la quitter pour une autre. Je dis qu'on fera mieux sa profession lorsque ceux qui y auront excellé espèreront de parvenir à une autre.

L'acquisition qu'on peut faire de la noblesse à ⚫ prix d'argent encourage beaucoup les négociants à se mettre en état d'y parvenir. Je n'examine pas si l'on fait bien de donner ainsi aux richesses le prix de la vertu : il y a tel gouvernement où cela уа peut être très utile.

En France, cet état de la robe qui se trouve entre la grande noblesse et le peuple, qui, sans avoir le brillant de celle-là, en a tous les priviléges; cet état qui laisse les particuliers dans la médiocrité, tandis que le corps dépositaire des lois est dans la gloire; cet état encore dans lequel on n'a de moyen de se distinguer que par la suffisance et par la vertu; profession honorable, mais qui en laisse toujours voir une plus distinguée : cette noblesse toute guerrière qui pense qu'en quelque degré de richesses que l'on soit il faut faire sa fortune, mais qu'il est honteux d'augmenter son bien si on ne commence par le dissiper; cette partie de la nation qui sert toujours avec le capital de son bien; qui, quand elle est ruinée, donne sa

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place à un autre qui servira avec son capital encore; qui va à la guerre pour que personne n'ose dire qu'elle n'y a pas été; qui, quand elle ne peut espérer les richesses, espère les honneurs, et, lorsqu'elle ne les obtient pas, se console, parce qu'elle a acquis de l'honneur : toutes ces choses ont nécessairement contribué à la grandeur de ce royaume. Et si, depuis deux ou trois siècles, il a augmenté sans cesse sa puissance, il faut attribuer cela à la bonté de ses lois, non pas à la fortune qui n'a pas ces sortes de constance,

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CHAPITRE XXIII.

A quelles nations il est désavantageux de faire le commerce.

Les richesses consistent en fonds de terre ou en effets mobiliers : les fonds de terre de chaque pays sont ordinairement possédés par ses habitants. La plupart des états ont des lois qui dégoûtent les étrangers de l'acquisition de leurs terres; il n'y a même que la présence du maître qui les fasse valoir ce genre de richesses appartient donc à chaque état en particulier. Mais les effets mobiliers, comme l'argent, les billets, les lettres de change, les actions sur les compagnies, les vaisseaux, toutes les marchandises, appartiennent au monde entier, qui, dans ce rapport, ne compose

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qu'un seul état dont toutes les sociétés sont les membres le peuple qui possède le plus de ces effets mobiliers de l'univers est le plus riche. Quelques états en ont une immense quantité; ils les acquièrent chacun par leurs denrées, par le travail de leurs ouvriers, par leur industrie, par leurs découvertes, par le hasard même. L'avarice des nations se dispute les meubles de tout l'univers. Il peut se trouver un état si malheureux qu'il sera privé des effets des autres pays, et même encore de presque tous les siens : les propriétaires des fonds de terre n'y seront que les colons des étrangers. Cet état manquera de tout, et ne pourra rien acquérir; il vaudroit bien mieux qu'il n'eût de commerce avec aucune nation du monde : c'est le commerce qui, dans les circonstances où il se trouvoit, l'a conduit à la pauvreté.

Un pays qui envoie toujours moins de marchandises ou de denrées qu'il n'en reçoit se met lui-même en équilibre en s'appauvrissant : il recevra toujours moins, jusqu'à ce que, dans une pauvreté extrême, il ne reçoive plus rien.

Dans les pays de commerce, l'argent qui s'est tout à coup évanoui revient, parce que les états qui l'ont reçu le doivent : dans les états dont nous parlons, l'argent ne revient jamais, parce que ceux qui l'ont pris ne doivent rien.

La Pologne servira ici d'exemple. Elle n'a

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