Page images
PDF
EPUB

et la religion y sont d'accord. Il y a, dans ceux des jansénistes, de la tristesse et une judicieuse contrainte, parce que la nature y est perpétuellement mise aux fers par la religion.

CXXXII.

Les jansénistes disent qu'il faut aimer Dieu, et les jésuites le font aimer. La doctrine de ceux-ci est remplie d'inexactitudes et d'erreurs peut-être; mais, chose singulière, et cependant incontestable, ils dirigent mieux.

CXXXIII.

Les jansénistes aiment mieux la règle que le bien; les jésuites préfèrent le bien à la règle. Les premiers sont plus essentiellement savants, les seconds plus essentiellement pieux. Aller au bien par toute voie semblait la devise des uns; observer la règle à tout prix était la devise des autres. La première de ces maximes, il est bon de la dire aux hommes: elle ne peut les égarer. La deuxième, on doit quelquefois la pratiquer, mais il ne faut la conseiller jamais. Les gens de bien très-éprouvés sont les seuls qui n'en puissent pas abuser.

CXXXIV.

Le janséniste attend la grâce de Dieu, comme le quiétiste sa présence; le premier attend avec crainte, et le second avec langueur; l'un se soumet, l'autre se résigne, très-inégalement passifs, mais également fatalistes.

CXXXV.

Les jansénistes font de la grâce une espèce de quatrième personne de la sainte Trinité; ils sont, sans le croire et sans le vouloir, quaternitaux. Saint Paul et saint Augustin, trop étudiés, ou étudiés uniquement, ont tout perdu, si on ose le dire. Au lieu de grâce, dites

aide, secours, influence divine, céleste rosée on s'entend alors. Ce mot est comme un talisman dont on peut briser le prestige et le maléfice en le traduisant; on en dissout le danger par l'analyse. Personnifier les mots est un mal funeste en théologie.

CXXXVI

Les jansénistes ont trop d'horreur de la nature, qui est cependant l'œuvre de Dieu. Dieu avait mis en elle plus d'incorruptibilité qu'ils ne le supposent; en sorte que l'infection absolue de la masse était impossible. Ils ôtent au bienfait de la création, pour donner au bienfait de la rédemption, au Père pour donner au Fils.

CXXXVII.

Les philosophes pardonnent au jansénisme, parce que le jansénisme est une espèce de philosophie.

TITRE II.

LES CHAPITRES.

1.

Dieu est Dieu; le monde est un lieu; la matière est une apparence; le corps est le moule de l'âme; la vie est un commencement.

Tous les êtres viennent de peu, et peu s'en faut qu'ils ne viennent de rien. Un chêne naît d'un gland, un homme d'une goutte d'eau. Et dans ce gland, dans cette goutte d'eau, combien de superfluités! Tout germe n'occupe qu'un point! Le trop contient l'assez; il en est le lieu nécessaire et l'aliment indispensable, au moins dans ses commencements. Nul ne doit le souffrir en soi; mais il faut l'aimer dans le monde; car il n'y aurait nulle part assez de rien, s'il n'y avait pas toujours un peu de trop de chaque chose en quelque lieu.

II.

La vérité consiste à concevoir ou à imaginer les personnes ou les choses, comme Dieu les voit; et la vertu à se donner de la bonté; et la bonté, si elle est parfaite, à n'avoir que les sentiments qu'on peut croire qu'aurait un ange, si, devenu ce que nous sommes, en demeurant tout ce qu'il est, il était mis à notre place, et voyait ce que nous voyons.

La sagesse est le repos dans la lumière; mais c'est la lumière elle-même qui, par le jour qu'elle répand et les prestiges qu'elle opère, en colorant les abstractions comme de légères nuées, et en prêtant à l'évidence l'éclat de la sérénité, excite souvent la sagesse à se jouer dans ses rayons.

Il n'y a de beau que Dieu; et, après Dieu, ce qu'il y a de plus beau, c'est l'âme; et après l'âme, la pensée; et après la pensée, la parole. Or donc, plus une âme est semblable à Dieu, plus une pensée est semblable à une âme, et plus une parole est semblable à une pensée, plus tout cela est beau,

[ocr errors]

Voici de plus graves pensées; je parlerai plus grave

ment.

La volonté de Dieu dépend de sa sagesse, de sa bonté, de sa justice, et borne seule son pouvoir. Tout ce qui est mal sera puni; tout ce qui est bien sera compté, et rien ne sera exigé que ce qui aura été possible.

L'amour des corps sépare les âmes de Dieu, car Dieu n'a point l'amour des corps. L'horreur du mal unit à Dieu, car Dieu a le mal en horreur. Mais il aime toutes les âmes, même celles qui aiment le mal, si elles conservent quelque amour pour lui et quelque horreur pour elles-mêmes, au fond de leurs égarements. Ce que nous aimons malgré nous, par la force de la matière, il ne faut pas l'aimer par choix, ou de notre consentement, car alors on l'aimerait trop, et c'est là que serait le mal.

Établir le règne de Dieu, ou l'existence de tout bien, est la loi de la politique, ou du gouvernement des peuples, et celle de l'économique, ou du gouvernement de la maison, et celle aussi de la morale, ou du gouver

nement de soi. La loi est ce qui oblige, et dont rien ne peut dispenser, pas même la bonté de Dieu.

IV.

Je reprends ma joie et mes ailes, et je vole à d'autres clartés.

Un objet, quel qu'il soit, nous est plus ou moins agréable, selon qu'il est, dans tous ses points, plus ou moins nettement semblable à son type ou à son modèle, qui est dans les idées de Dieu. Nos qualités sont plus ou moins louables, et même plus ou moins réelles, plus ou moins éminentes, plus ou moins dignes de leur nom, selon qu'elles sont plus ou moins, dans leur action et leur essence, conformes à leur règle, dont Dieu a l'idée.

Vraiment, nous voyons tout en Dieu, et nous ne voyons rien qu'en lui, du moins dans la métaphysique. Sans son idée et ses idées, on ne peut rien apercevoir, rien distinguer, rien expliquer, ni surtout rien évaluer à son taux intrinsèque, à ce taux secret et sacré qui, placó dans le sein et au centre de chaque chose, comme un abrégé d'elle-même, en marque seul exactement, quand on le lit à cette lumière, le degré précis de mérite, le vrai poids et le juste prix.

[ocr errors]

Rien ne nous plaît, dans la matière, que ce qu'elle a de presque spirituel, comme ses émanations; que ce qui touche presque à l'âme, comme les parfums et les sons; que ce qui a l'air d'une impression qu'y laissa quelque intelligence, comme les festons qui la brodent ou les dessins qui la découpent; que ce qui fait illusion, comme les formes, les couleurs; enfin que ce qui semble en elle être sorti d'une pensée, ou avoir été disposé pour quelque destination, indice d'une volonté. Ainsi nous ne pouvons aimer, dans les solidités du monde,

« PreviousContinue »