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sommes honorés, je suis d'avis que l'Académie commence par députer au Roi pour demander à Sa Majesté la permission de se réformer elle-même, d'abroger ses anciens statuts, et d'en faire de nouveaux, selon qu'elle le jugera convenable1.

Qu'elle demande aussi la permission de nommer pour ce travail des commissaires en tel nombre qu'elle trouvera à propos, et qu'elle supplie Sa Majesté de vouloir bien lui faire l'honneur de marquer elle-même un ou deux de ceux qu'elle aura le plus agréable qui soient nommés.

1. Dans sa séance du 22 février 1714, l'Académie avait déjà ordonné qu'on ferait de nouveaux statuts, et nommé pour les préparer quatre commissaires, qui étaient l'Évêque d'Avranches (Huet), l'abbé Renaudot, l'abbé de Dangeau et M. de Valincour. Sur les anciens statuts, voir Pellisson, Hist. de l'Académie, édit. de 1730, p. 68-83.

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ÉCRITE A L'ACADÉMIE FRANÇOISE

SUR

L'ÉLOQUENCE, LA POÉSIE, L'HISTOIRE, ETC.'

Je suis honteux, Monsieur, de vous devoir depuis si longtemps une réponse; mais ma mauvaise santé3 et mes embarras continuels ont causé ce retardement. Le choix que l'Académie a fait de votre personne pour l'emploi de son Secrétaire-perpétuel est digne de la compagnie", et promet beaucoup au public pour les belles-lettres. J'avoue que la demande que vous me faites au nom d'un corps auquel je dois tant m'embarrasse un peu; mais je vais parler au hasard, puisqu'on l'exige. Je le ferai avec une grande défiance de mes pensées, et une sincère déférence pour ceux qui daignent me consulter.

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PROJET D'ACHEVER LE DICTIONNAIRE®.

Le Dictionnaire auquel l'Académie travaille' mérite

1. Cetitre est celui que donnent les éditions de 1718 et de 1787; celle de 1716 porte en tête de l'ouvrage, Reflexions sur la Rhétorique et sur la Poétique. L'éditeur de 1824 a mis: Lettre à M. Dacier, Secrétaire perpétuel de l'Académie française, sur les occupations de l'Académie.

2. André Dacier était entré à l'Académie française en 1695; il fut élu Secrétaire perpetuel le 9 novembre 1713 à la place de l'abbé Regnier-Desmarais, mort le 6 septembre.

3. Fénelon avait toujours été d'une santé délicate, et c'est une des raisons pour lesquelles sa famille l'avait empêché, dans sa jeunesse, de se consacrer aux missions du Canada et du Levant.

4. La phrase se lit ainsi dans les éditions de 1716, de 1718 et de 1787. Celle de 1824 donne un tour plus étendu: Le choix.... de son secrétaire perpétuel m'a donné une véritable joie. Ce choix est digne de la compagnie et de vous il promet beaucoup, etc.

5. Comme dans une lettre, et non en forme didactique.

6. Ce titre, comme celui des autres sections, est à la marge dans les éditions anciennes. Celle de 1824 porte seulement, Du Dictionnaire.

7. L'Académie française donna une première édition de son Dictionnaire

sans doute qu'on l'achève. Il est vrai que l'usage, qui change souvent pour les langues vivantes, pourra changer ce que ce Dictionnaire aura décidé.

Nedum sermonum stet honos et gratia vivax.
Multa renascentur, quæ jam cecidere, cadentque
Quæ nunc sunt in honore vocabula, si volet usus,
Quem penes arbitrium est et jus et norma loquendi'.

Mais ce Dictionnaire aura divers usages. Il servira aux
étrangers, qui sont curieux de notre langue, et qui
lisent avec fruit les livres excellents en plusieurs genres
qui ont été faits en France. D'ailleurs les François les
plus polis peuvent avoir quelquefois besoin de recourir
à ce Dictionnaire, par rapport à des termes sur lesquels
ils doutent. Enfin, quand notre langue sera changée, il 3
servira à faire entendre les livres dignes de la postérité
qui sont écrits en notre temps. N'est-on pas obligé
d'expliquer maintenant le langage de Villehardouin et
de Joinville? Nous serions ravis d'avoir des diction-
naires grecs et latins faits par les anciens mêmes. La
perfection des dictionnaires est même un point où il
faut avouer que les modernes ont enchéri sur les an-
ciens. Un jour on sentira la commodité d'avoir un Dic-
tionnaire qui serve de clef à tant de bons livres. Le prix
de cet ouvrage ne peut manquer de croître à mesure
qu'il vieillira.

en 1694 (2 voi. in-fol.); la deuxième parut en 1718. La dernière est la sixième, publiée en 1835 (2 vol. in-4.), avec une belle et savante préface par M. Villemain.

1. HOR. A. P. v. 69.

2. Voy. Voltaire, Siècle de Louis XIV, ch. XXXII, à la fin.

3. Nous avons, pour le grec, plusieurs lexiques et recueils de mots ou de synonymes, composés par des grammairiens anciens d'époques diverses, tels qu'Apollonius, Pollux, Timée, Moris, Ammonius, Hesychius, etc.; et pour le latin, les compilations de Nonius, de Festus, et de quelques autres; mais tous ces ouvrages ne sont que des matériaux fort incomplets, quoique très-utiles, pour la construction d'un grand dictionnaire de ces langues.

II.

PROJET DE GRAMMAIRE'.

Il seroit à désirer, ce me semble, qu'on joignît au Dictionnaire une Grammaire françoise. Elle soulageroit beaucoup les étrangers, que nos phrases irrégulières embarrassent souvent. L'habitude de parler notre langue nous empêche de sentir ce qui cause leur embarras. La plupart même des François auroient quelquefois besoin de consulter cette règle. Ils n'ont appris leur langue que par le seul usage, et l'usage a quelques défauts en tous lieux. Chaque province a les siens; Paris n'en est pas exempt. La Cour même se ressent un peu du langage de Paris, où les enfants de la plus haute condition sont d'ordinaire élevés. Les personnes les plus polies ont de la peine à se corriger sur certaines façons de parler, qu'elles ont prises pendant leur enfance en Gascogne, en Normandie, ou à Paris même par le commerce des domestiques'.

Les Grecs et les Romains ne se contentoient pas d'avoir appris leur langue naturelle par le simple usage; ils l'étudioient dans un âge mûr par la lecture des grammairiens, pour remarquer les règles, les exceptions, les étymologies, les sens figurés, l'artifice de toute la langue, et ses variations.

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Un savant grammairien court risque de composer une grammaire trop curieuse et trop remplie de préceptes. Il me semble qu'il faut se borner à une méthode

1. Ce titre manque dans les deux premières éditions, et dans celle de 1787. 2. « Magni interest quos quisque audiat quotidie domi, quibuscum loquatur a puero, quemadmodum patres, pædagogi, matres etiam loquantur, etc. » CICER. Brutus, c. LVIII. Quintilien (Inst. Or. I, 1, 3-5) veut qu'on donne aux enfants des nourrices qui sachent bien parler, pour qu'ils n'aient pas un jour à réformer leur langage: Non assuescat, ne dum infans quidem est, sermoni qui dediscendus sit. - Comparer ce que dit Rollin sur l'étude de la langue française, dans le Traité des Etudes, 1. I, ch. 1.

3. Dans l'édition de 1824, ils l'étudioient encore.

4. C'est-à-dire, trop pleine de recherches savantes sur les curiosités de la langue.

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