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tion de ce travail, il ne me sera pas difficile de la leur offrir plus tard, car j'en ai fait, dans les années suivantes, l'objet de mon enseignement ordinaire à l'Académie de Genève, et je l'ai ainsi poursuivie jusqu'au seuil de la Révolution française, c'est-à-dire jusqu'à son terme.

Genève, 1er juillet 1865.

JULES BARNI.

DES

IDÉES MORALES ET POLITIQUES

EN FRANCE AU DIX-HUITIÈME SIÈCLE.

PREMIÈRE LEÇON.

INTRODUCTION.

IDÉES MORALES ET POLITIQUES PROPRES AU XVIII SIÈCLE.

Diverses manières de traiter l'histoire Histoire narrative, histoire philosophique, histoire des idées.—Que le xvIII siècle est précisément le siècle des idées. Les idées morales et politiques sont celles qui dominent à cette époque; elles se constituent à l'état de sciences indépendantes. · Comment le XVIIe siècle se distingue, Revue des princi.

à cet égard, du moyen âge et du XVIIe siècle. pales idées propres au XVIe siècle : elles dérivent toutes du principe de l'humanité. Caractères du XVIIIe siècle : c'est le siècle philosophique par excellence, mais sa philosophie a été surtout pratique et militante; ses résuitais ou ses efforts.

Messieurs,

Mon premier devoir en commençant ce cours est de remercier le conseil d'État et l'Académie de

BARNI.

1-1

Genève de l'hospitalité qu'ils veulent bien m'accorder. C'est pour moi un grand bonheur de retrouver, sur ce libre sol de la Suisse, un usage de la parole qu'en France la chute de la liberté m'a depuis longtemps interdit. Je suis fier aussi d'être appelé à le reprendre dans une Académie si justement fameuse, dont l'origine rappelle l'affranchissement même de l'esprit humain, et qu'ont illustrée tant d'hommes éminents. Je ne pouvais souhaiter un plus noble asile.

Pour mieux répondre à l'honneur qui m'est fait, j'ai cherché le sujet le plus digne du lieu où j'ai à parler; et, en fixant mon choix sur l'histoire des idées morales et politiques au XVIIIe siècle, j'ai pensé qu'indépendamment de l'intérêt général et de l'utilité qui s'y attachent, ce sujet avait pour vous une saveur toute particulière. Étroitement liée à l'histoire de la Réforme, dont elle a été un des plus ardents foyers au xvre siècle, Genève ne l'est pas moins à celle de cette autre rénovation qu'a entreprise le xvII° siècle. Des deux plus grands organes de cette révolution sociale, elle a donné l'un au monde, et c'est sur les bords de son beau lac que l'autre est venu chercher la liberté lont il avait besoin pour accomplir sa mission.

....C'est sur ses bords heureux

Qu'habite des humains la déesse éternelle,

L'âme des grands travaux, l'objet des nobles vœux,
Que tout mortel embrasse, ou désire ou rappelle,
Qui vit dans tous les cœurs, et dont le nom sacré
Dans les cours des tyrans est tout bas adoré,
La liberté (1).

La liberté, c'est elle aussi que moi, l'un de ses plus humbles, mais de ses plus constants adorateurs, j'y viens chercher à mon tour.

Il

:

y a diverses manières de traiter l'histoire. D'abord l'histoire anecdotique ou narrative, celle qui prend pour devise cette maxime: Scribitur ad narrandum. Cette sorte d'histoire est loin d'être sans intérêt elle nous fait connaître les particularités de la vie humaine, les mœurs et les caractères des hommes dans les différents âges, leurs vertus et leurs vices, leurs succès et leurs revers; je ne parle pas ici du malin plaisir qu'on y cherche trop souvent, mais de l'intérêt qui s'attache à tout ce qui est humain. Il en ressort aussi, indirectement, une leçon pratique et morale : elle nous apprend à connaître les hommes, et elle nous excite au bien ou nous dégoûte du mal par les modèles éclatants ou les repoussants exemples qu'elle nous met sous les yeux. Elle

(1) Voyez l'épitré composéé par Voltaire en arrivant dans sa terre, près du lac de Genève, en mars 1755.

est souvent, à cet égard, ce qu'était pour les jeunes Spartiates le spectacle des esclaves ivres.

L'histoire philosophique se propose d'expliquer les événements, et elle en cherche la raison, soit d'abord dans les mœurs des peuples et dans leurs institutions, comme l'ont fait dans l'antiquité Polybe, au xvIe siècle Machiavel, au xvIII Montesquieu et Voltaire; soit ultérieurement dans le climat, comme l'a fait aussi Montesquieu; soit enfin dans la race, comme on le fait aujourd'hui, peut-être beaucoup trop.

Il est une sorte d'histoire qui va plus loin encore: elle remonte aux idées que représentent ces institutions et ces mœurs (voire même ces races), ou qui, les dépassant, tendent à les transformer. C'est ici l'histoire philosophique par excellence, car il n'y a rien au-dessus des idées : en elles réside la raison dernière des événements. L'histoire ainsi envisagée se rapproche de l'histoire de la philosophie; mais elle en diffère en ce que, tandis que celle-ci est surtout l'histoire des théories scientifiques et abstraites auxquelles ont donné lieu les questions qui composent la philosophie, la première a un caractère à la fois plus général et plus concret.

C'est de cette manière que je veux traiter l'histoire du XVIIIe siècle. Or ce siècle est précisément celui qui se prête le mieux à cette sorte d'histoire,

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