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lies, fans amertume & fans fatyre. Personne ne racontoit plus vivement, plus promptement, avec plus de grace & moins d'apprêt. Il favoit que la fin d'une hiftoire plai fante en eft toujours le but; il se hâtoit donc d'y arriver, & produifoit l'effet fans l'avoir promis.

Ses fréquentes diftractions ne le rendoient que plus aimable; il en fortoit toujours par quelque trait inattendu, qui réveilloit la converfation languiffante: d'ailleurs elles p'étoient jamais ni jouées, ni choquantes, ni importunes. Le feu de fon efprit les faifoit naître, mais il n'y tomboit jamais au milieu d'un entretien intéreffant ou férieux: le defir de plaire à ceux avec qui il fe trouvoit, le rendoit alors à eux fans affectation & fans effort.

Les agrémens de fon commerce tenoient non feulement à fon caractere & à fon efprit, mais à l'efpece de régime qu'il obfervoit dans l'étude. Quoique capable d'une méditation profonde & foutenue, il n'épuifoit jamais fes forces; il quittoit toujours le travail avant que d'en reffentir la moin, dre impreffion de fatigue (d).

(d) L'Auteur de la Feuille anonyme & périodique dont nous avons parlé ci-deffus, prétend trouver une contradiction manifefte entre ce que nous difons ici & ce que nous avons dit un peu plus haut, que la fanté de M. de Montefquieu s'étoit altérée par l'effet LENT & prefque infaillible des études profondes. Mais pourquoi en rapprochant les deux endroits, a-t-il fupprimé les mots, lent & prefque infaillible qu'il avoit fous les yeux ? C'eft évidemment parce qu'il a fenti qu'un

Il étoit fenfible à la gloire, mais il ne vouloit y parvenir qu'en la méritant. Jamais il n'a cherché à augmenter la fienne par ces manœuvres fourdes, par ces voies obfcures & honteufes qui deshonorent la perfonne, fans ajouter au nom de l'Auteur.

Digne de toutes les diftinctions & de toutes les récompenfes, il ne demandoit rien & ne s'étonnoit point d'être oublié mais il a ofé, même dans des circonstances délicates, protéger à la Cour des hommes de lettres perfécutés, célebres & malheureux, & leur a obtenu des graces.

Quoiqu'il vécût avec les grands, foit par néceffité, foit par convenance, foit par goût, leur fociété n'étoit pas néceffaire à fon bonheur. Il fuyoit, dès qu'il le pouvoit, à fa terre ; il y retrouvoit avec joie fa Philofophie, fes livres & le repos. Entouré des gens de la campagne dans fes heures de loifir, après avoir étudié l'homme dans le commerce du monde & dans l'hiftoire des nations, il l'étudioit encore dans ces ames fimples que la nature feule a inftruites, &

il

y trouvait à apprendre : il conversoit gaiement avec eux; il leur cherchoit de l'efprit, comme Socrate. Il paroiffoit se plaire autant dans leur entretien que dans

effet lent n'eft pas moins réel pour n'être pas reffenti fur le champ ; & que par conféquent ces mots détruifoient l'apparence de contradiction qu'on prétendoit faire remarquer. Telle eft la bonne foi de cet Auteur dans des bagatelles, & à plus forte raifon dans des matieres plus férieuses. Note tirée de Favertiffement du fixieme volume de l'Encyclopédie.

les fociétés les plus brillantes, fur-tout quand il terminoit leurs différends, & foulageoit leurs peines par fes bienfaits.

Rien n'honore plus fa mémoire que l'économie avec laquelle il vivoit, & qu'on a ofé trouver exceffive dans un monde avare & faftueux, peu fait pour en pénétrer les motifs, & encore moins pour les fentir. Bienfaifant, & par conféquent jufte, M. de Montefquieu ne vouloit rien prendre fur fa famille, ni des fecours qu'il donnoit aux malheureux, ni des dépenfes confidérables auxquelles fes longs voyages, la foibleffe de fa vue & l'impreffion de fes ouvrages l'avoient obligé. Il a transmis à fes enfans, fans diminution ni augmentation, l'héritage qu'il avoit reçu de fes peres; il n'y a rien ajouté que la gloire de fon nom & l'exemple de fa vie. Il avoit épousé en 1715, Demoiselle Jeanne de Lartigue, fille de Pierre de Lartigue, Lieutenant-Colonel au Régiment de Maulévrier: il en a eu deux filles & un fils, qui par fon caractere, ses mœurs & fes ouvrages, s'eft montré digne d'un tel pere.

Ceux qui aiment la vérité & la patrie ne feront pas fâchés de trouver ici quelquesunes de fes maximes: il penfoit,

Que chaque portion de l'Etat doit être également foumife aux loix; mais que les privileges de chaque portion de l'Etat doiyent être refpectés, lorfque leurs effets

n'ont rien de contraire au droit naturel, qui oblige tous les citoyens à concourir également au bien public: que la poffeffion ancienne étoit en ce genre le premier des titres, & le plus inviolable des droits, qu'il étoit toujours injufte, & quelquefois gereux de vouloir ébranler:

Que les Magiftrats, dans quelque circonftance & pour quelque grand intérêt de corps que ce puiffe être, ne doivent jamais être que Magiftrats, fans parti & fans paffion, comme les loix qui abfolvent & puniffent fans aimer ni haïr.

Il difoit enfin, à l'occafion des difputes eccléfiaftiques qui ont tant occupé les Empereurs & les Chrétiens Grecs, que les querelles théologiques, lorfqu'elles ceffent d'être renfermées dans les écoles, deshonorent infailliblement une nation aux yeux des autres en effet le mépris même des fages pour ces querelles ne la juftifient pas; parce que les fages faifant par tout le moins de bruit & le plus petit nombre, ce n'est jamais fur eux qu'une nation eft jugée.

L'importance des ouvrages dont nous avons eu à parler dans cet éloge, nous en a fait paffer fous filence de moins confidérables qui fervoient à l'Auteur comme de délaffement, & qui auroient fuffi pour l'éloge d'un autre. Le plus remarquable eft le Temple de Gnide, qui fuivit d'affez près les Lettres Perfanes. M. de Montefquieu

après avoir été dans celles-ci Horace, Théo: phrafte & Lucien, fut Ovide & Anacreon dans ce nouvel effai. Ce n'eft plus l'amour defpotique de l'Orient qu'il fe propose de peindre; c'eft la délicateffe & la naïveté de l'amour paftoral, tel qu'il eft dans une ame neuve que le commerce des hommes n'a point encore corrompu, L'Auteur craignant peut-être qu'un tableau fi étranger à nos mœurs ne parût trop languiffant & trop uniforme, a cherché à l'animer par les peintures les plus riantes.. Il transporte le lecteur dans des lieux enchantés, dont, à la vérité, le fpectacle intéreffe peu l'amant heureux, mais dont la defcription flatte encore l'imagination quand les defirs font fatisfaits. Emporté par fon fujet, il a répandu dans fa profe ce ftyle animé, figuré & poëtique dont le roman de Télémaque a fourni parmi nous le premier modele. Nous ignorons pourquoi quelques cenfeurs du Temple de Gnide ont dit à cette occafion qu'il auroit eu besoin d'être en vers. Le ftyle poëtique, fi on entend, comme on le doit, par ce mot un ftyle plein de chaleur & d'images n'a pas besoin pour être agréable de la marche uniforme & cadencée de la verfification: mais fi on ne fait confifter ce style que dans une diction chargée d'épithetes oifives, dans les peintures froides & triviales des ailes & du carquois de l'amour, & de femblables objets, la verfification n'ajoutera prefqu'aucun

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