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La Couronne étoit élective; & fous les cinq premiers Rois, le Sénat eut la plus grande part à l'élection.

Après la mort du Roi, le Sénat examinoit fi l'on garderoit la forme du Gouvernement qui étoit établie. S'il jugeoit à propos de la garder, il nommoit un Magiftrat (s), tiré de fon corps, qui élifoit un Roi: le Sénat devoit approuver l'élection; le peuple, la confirmer; les aufpices, la garantir. Si une de ces trois conditions manquoit, il falloit faire une autre élection.

La conftitution étoit monarchique, ariftocratique & populaire; & telle fut l'harmonie du pouvoir, qu'on ne vit ni jalousie ni difpute dans les premiers regnes. Le Roi commandoit les armées, & avoit l'intendance des facrifices; il avoit la puiffance de juger les affaires civiles (t) & criminelles (u); il convoquoit le Sénat; il affembloit le peuple; il lui portoit de certaines affaires & régloit les autres avec le Sénat (x).

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Le Sénat avoit une grande autorité. Les Rois prenoient fouvent des Sénateurs pour

(s) Denys d'Halicarnaffe, Liv. II. pag. 120. & Liv. IV. pag. 242 & 243.

() Voyez le difcours de Tanaquil, dans Tite-Live, Liv. I. décade 1. & le réglement de Servius Tullius, dans Denys d'Halicarnaffe, Liv. IV. pag. 229.

(z) Voyez Denys d'Halicarnaffe, Liv. II. pag. 118. & Liv. III. pag. 171.

(x) Ce fut par un fénatus-confulte que Tullus Hoftilius envoya détruire Albe. Denys d'Halicarnaffe, Liv. III. p. 167 & 172.

juger avec eux; ils ne portoient point d'affaires au peuple, qu'elles n'euffent été délibérées (y) dans le Sénat.

Le peuple avoit le droit d'élire () les Magiftrats, de confentir aux nouvelles loix; & lorfque le Roi le permettoit, celui de déclarer la guerre & de faire la paix. Il n'avoit point la puiffance de juger. Quand Tullus Hoftilius renvoya le jugement d'Horace au peuple, il eut des raifons particulieres, que l'on trouve dans Denys d'Halicarnaffe (a).

La conftitution changea fous (6) Servius Tullius. Le Sénat n'eut point de part à fon élection; il fe fit proclamer par le peuple. Il fe dépouilla des jugemens (c) civils, & ne fe réferva que les criminels; il porta directement au peuple toutes les affaires : il le foulagea des taxes, & en mit tout le fardeau fur les Patriciens. Ainfi à mesure qu'il affoibliffoit la puiffance royale & l'autorité du Sénat, il augmentoit le pouvoir du peuple (d).

(y) Denys d'Halicarnaffe, Liv. IV. pag. 276.

) Ibid. Liv. II. Il falloit pourtant qu'il ne nommât pas à toutes les charges, puifque Valérius Publicola fit la fameufe loi qui défendoit à tout citoyen d'exercer aucun emploi, s'il ne l'avoit obtenu par le fuffrage du peuple. (a) Liv. III. pag. 159.

(b) Liv. IV.

(e) Il fe priva de la moitié de la puiffance royale, dit Denys d'Halicarnaffe, Liv. IV. pag. 229.

(d) On croyoit que s'il n'avoit pas été prévenu par Tarquin, il auroit établi le Gouvernement populaire, Denys 'Halicarnaffe, Liv. ¡V. pag. 243.

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Tarquin ne fe fit élire ni par le Sénat ni par le peuple; il regarda Servius Tullius comme un ufurpateur, & prit la Couronne comme un droit héréditaire; il extermina la plupart des Sénateurs; il ne confulta plus ceux qui reftoient, & ne les appella pas même à fes jugemens (e). Sa puiffance augmenta: mais ce qu'il y avoit d'odieux dans cette puiffance, devint plus odieux encore: il ufurpa le pouvoir du peuple; il fit des loix fans lui, il en fit même contre lui (f). Il auroit réuni les trois pouvoirs dans fa perfonne: mais le peuple fe fouvint un moment qu'il étoit Législateur, & Tarquin ne fut plus.

CHAPITRE XI I I.

Réflexions générales fur l'Etat de Rome, après l'expulfion des Rois.

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N ne peut jamais quitter les Romains: c'eft ainfi qu'encore aujourd'hui, dans leur capitale, on laiffe les nouveaux palais pour aller chercher des ruines; c'eft ainfi que l'oeil qui s'eft repofé fur l'émail des prairies, aime à voir les rochers & les montagnes.

Les familles Patriciennes avoient eu de tout tems de grandes prérogatives. Ces

(e) Liv. IV.

(f) Ibid.

diftinctions, grandes fous les Rois, devinrent bien plus importantes après leur expulfion. Cela caufa la jaloufie des Plébéiens, qui voulurent les abaiffer. Les conteftations frappoient fur la constitution, fans affoiblir le Gouvernement; car pourvu que les magiftratures confervaffent leur autorité, il étoit affez indifférent de quelle famille étoient les Magiftrats.

Une Monarchie élective, comme étoit Rome, fuppofe néceffairement un corps ariftocratique puiffant, qui la foutienne, fans quoi elle fe change d'abord en tyrannie ou en Etat populaire. Mais un Etat populaire n'a pas befoin de cette distinction de familles, pour fe maintenir. C'eft ce qui fit que les Patriciens qui étoient des parties néceffaires de la conftitution du tems des Rois, en devinrent une partie fuperflue du tems des Confuls; le peuple put les abbaiffer fans fe détruire lui-même, & changer la conftitution fans la corrompre.

Quand Servius Tullius eut avili les Patriciens, Rome dut tomber des mains des Rois dans celles du peuple. Mais le peuple, en abbaiffant les Patriciens, ne dut point craindre de retomber dans celles des Rois

Un Etat peut changer de deux manieres; ou parce que la conftitution fe corrige, ou parce qu'elle fe corrompt. S'il a confervé fes principes, & que la conftitution change, c'eft qu'elle fe corrige; s'il a perdu fes prin

cipes,

cipes, quand la conftitution vient à changer, c'eft qu'elle fe corrompt.

Rome, après l'expulfion des Rois, devoit être une Démocratie. Le peuple avoit déja la puiffance légiflative : c'étoit fon fuffrage unanime qui avoit chaffé les Rois ; & s'il ne perfiftoit pas dans cette volonté, les Tarquins pouvoient à tous les inftans revenir, Prétendre qu'il eût voulu les chaffer, pour tomber dans l'efclavage de quelques familles, cela n'étoit pas raifonnable. La fituation des chofes demandoit donc que Rome fût une Démocratie, & cependant elle ne l'étoit pas. Il fallut tempérer le pouvoir des principaux, & que les loix inclinaffent vers la Démocratie.

Souvent les Etats fleuriffent plus dans le paffage infenfible d'une conftitution à une autre, qu'ils ne le faifoient dans l'une ou l'autre de ces conftitutions. C'est pour lors que tous les refforts du gouvernement font tendus; que tous les citoyens ont des prétentions; qu'on s'attaque, où qu'on fe careffe; & qu'il y a une noble émulation entre ceux qui défendent la constitution qui décline, & ceux qui mettent en avant celle qui prévaut.

Tome I.

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