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bâton fur la plante des pieds des plaideurs, & les renvoie chez eux.

Et il feroit bien dangereux que l'on y eût les paffions des plaideurs; elles fuppofent un defir ardent de fe faire rendre juftice, une haine, une action dans l'efprit, une conftance à pourfuivre. Tout cela doit être évité dans un Gouvernement où il ne faut avoir d'autre fentiment que la crainte, & où tout mene tout à coup, & fans qu'on le puiffe prévoir, à des révolutions. Chacun doit connoître qu'il ne faut point que le Magiftrat entende parler de lui, & qu'il ne tient fa fureté. fon anéantiffement.

que de

Mais dans les Etats modérés, où la tête du moindre citoyen eft confidérable, on ne lui ôte fon bonheur & fes biens qu'après un long examen: on ne le prive de la vie que lorfque la patrie elle - même l'attaque; & elle ne l'attaque qu'en lui laiffant tous les moyens poffibles de la défendre.

Auffi lorfqu'un homme se rend plus abfolu (b), fonge-t-il d'abord à fimplifier les loix. On commence dans cet état à être plus frappé des inconvéniens particuliers que de la liberté des fujets dont on ne fe foucie point du tout.

On voit que dans les Républiques il faut pour le moins autant de formalités (b) Cefar, Cromwell & tant d'autres.

que dans les Monarchies. Dans l'un & dans l'autre Gouvernement, elles augmentent en raifon du cas que l'on y fait de l'honneur, de la fortune, de la vie, de la liberté des citoyens.

Les hommes font tous égaux dans le Gouvernement républicain; ils font égaux dans le Gouvernement defpotique: dans le premier, c'est parce qu'ils font tout; dans le fecond, c'est parce qu'ils ne font rien.

CHAPITRE II I.

Dans quels Gouvernemens, & dans quels cas on doit juger felon un texte précis de la Loi.

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Lus le Gouvernement approche de la République, plus la maniere de juger devient fixe; & c'étoit un vice de la République de Lacédémone que les Ephores jugeaffent arbitrairement, fans qu'il y eût des loix pour les diriger. A Rome, les premiers Confuls jugerent comme les Ephores; on en fentit les inconvéniens, & l'on fit des loix précises.

Dans les Etats defpotiques, il n'y a point de loi; le Juge eft lui-même fa regle. Dans les Etats monarchiques il y a une loi, & là où elle eft précife, le Juge la fuit; là où elle ne l'eft pas, il en cherche l'efprit. Dans le Gouvernement républi

cain il eft de la nature de la conftitution; que les Juges fuivent la lettre de la loi. Il n'y a point de citoyen contre qui on ne puiffe interpréter une loi, quand il s'agit de fes biens, de fon honneur, ou de fa vie.

A Rome les Juges prononçoient feulement que l'accufé étoit coupable d'un certain crime; & la peine fe trouvoit dans la loi, comme on le voit dans diverses loix qui furent faites. De même en Angleterre les Jurés décident fi l'accusé eft coupable ou non, du fait qui a été porté devant eux; & s'il eft déclaré coupable, le Juge prononce la peine que la loi inflige pour ce fait ; & pour cela il ne lui faut que des yeux.

CHAPITRE I V.

De la maniere de former les Jugemens.

E-là fuivent les différentes manieres

Dede former les jugemens. Dans les

Monarchies les Juges prennent la maniere des Arbitres; ils déliberent ensemble, ils fe communiquent leurs pensées, ils fe concilient; on modifie fon avis, pour le rendre conforme à celui d'un autre; les avis les moins nombreux font rappellés aux deux plus grands. Cela n'est point de la nature de la République. A Rome & dans

les villes Grecques, les Juges ne fe communiquoient point: chacun donnoit fon avis d'une de ces trois manieres: j'abfous, je condamne, il ne me paroît pas (c): c'est que le peuple jugeoit, ou étoit cenfé juger. Mais le peuple n'eft pas jurifconfulte; toutes ces modifications & tempéramens des Arbitres ne font pas pour lui; il faut lui préfenter un feul objet, un fait & un feul fait, & qu'il n'ait qu'à voir s'il doit condamner, abfoudre, ou remettre le jugement.

Les Romains, à l'exemple des Grecs, introduifirent des formules d'actions (d), & établirent la néceffité de diriger chaque affaire par l'action qui lui étoit propre. Cela étoit néceffaire dans leur maniere de juger; il falloit fixer l'état de la question, pour que le peuple l'eût toujours devant les yeux. Autrement, dans le cours d'une grande affaire, cet état de la question changeroit continuellement, & on ne le reconnoîtroit plus.

De-là il fuivoit que les Juges chez les Romains, n'accordoient que la demande précife, fans rien augmenter, diminuer ni modifier. Mais les Préteurs imaginerent d'autres formules d'actions qu'on appella de bonne foi (e), où la maniere de pro(c) Non liquet.

(d) Quas actiones ne populus prout vellet inflitueret, certas folemnefque effe voluerunt. Leg. 2. §. 6. digeft de orig. jur. (e) Dans lesquelles on mettoit ces mots : ex bonâ fide.

noncer étoit plus dans la difpofition du Juge. Ceci étoit plus conforme à l'efprit de la Monarchie. Auffi les Jurifconfultes François difent-ils en France (f) toutes les actions font de bonne foi.

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CHAPITRE V.

Dans quels Gouvernemens le Souverain peut être Juge.

M liberté de Florence à ce que le peuAchiavel (g) attribue la perte de la

ple ne jugeoit pas en corps, comme à Rome, des crimes de lefe- majesté commis contre lui. Il y avoit pour cela huit Juges établis. Mais, dit Machiavel, peu font corrompus par peu. J'adopterois bien la maxime de ce grand homme: mais comme dans ces cas l'intérêt politique force pour ainfi dire, l'intérêt civil (car c'eft toujours un inconvénient, que le peuple juge lui-même fes offenfes;) il faut, pour y rémedier, que les loix pourvoient autant qu'il eft en elles à la fureté des particuliers.

Dans cette idée, les Légiflateurs de Rome firent deux chofes; ils permirent

(f) On y condamne aux dépens celui-là même à qui on demande plus qu'il ne doit, s'il n'a offert & configné ce qu'il doit.

(g) Difcours fur la premiere décade de Tite-Live, Liv. I. Chap. VII.

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