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craintes fur un événement futur, qu'excufer fes mauvais fuccès fur le caprice de la fortune. Le partage des hommes, comme des bêtes, y eft l'inftinct, l'obéiffance, le châtiment.

Il ne fert de rien d'oppofer les fentimens naturels, le respect pour un pere, la tendreffe pour fes enfans & fes femmes, les loix de l'honneur, l'état de fa fanté: on a reçu l'ordre, & cela fuffit.

En Perfe, lorfque le Roi a condamné quelqu'un, on ne peut plus lui en parler ni demander grace. S'il étoit yvre ou hors de fens, il faudroit que l'arrêt s'exécutât tout de même (t); fans cela il fe contrediroit, & la loi ne peut fe contredire. Cette maniere de penfer y a été de tout tems. L'ordre que donna Affuerus d'exterminer les Juifs ne pouvant être révoqué, on prit le parti de leur donner la permiffion de fe défendre.

Il y a pourtant une chofe que l'on peut quelquefois oppofer à la volonté du Prince (u), c'eft la Religion. On abandonnera fon pere, on le tuera même, fi le Prince l'ordonne; mais on ne boira pas du vin s'il le veut & s'il l'ordonne. Les loix de la Religion font d'un précepte fupérieur, parce qu'elles font données fur la tête du Prince comme fur celle des Sujets. Mais quant au (t) Voyez Chardin.

(u) Ibid.

droit naturel il n'en eft pas de même, le Prince eft fuppofé n'être plus un homme.

Dans les Etats monarchiques & modérés, la puiffance eft bornée par ce qui en eft le reffort; je veux dire l'honneur qui regne, comme un Monarque, fur le Prince & fur le peuple. On n'ira point lui alléguer les loix de la Religion; un courtisan fe croiroit ridicule on lui alléguera fans ceffe celles de l'honneur. De- là réfultent des modifications néceffaires dans l'obéiffance; l'honneur eft naturellement fujet à des bizarreries, & l'obéiffance les fuivra toutes.

Quoique la maniere d'obéir foit différente dans ces deux Gouvernemens le 9 pouvoir eft pourtant le même. De quelque côté que le Monarque fe tourne, il emporte & précipite la balance & eft obéi. Toute la différence eft que dans la Monarchie le Prince a des lumieres, & que les Miniftres y font infiniment plus habiles & plus rompus aux affaires que dans l'Etat defpotique.

CHAPITRE X I.
Réflexions fur tout ceci.

Els font les principes des trois Gouvernemens; ce qui ne fignifie pas que dans une certaine République on foit vertueux, mais qu'on devroit l'être. Cela ne

prouve pas non plus que dans une certaine Monarchie, on ait de l'honneur, & que dans un Etat defpotique particulier on ait de la crainte; mais qu'il faudroit en avoir, fans quoi le Gouvernement fera imparfait. (*).

(*) Le but de M. de MONTESQUIEU, en traitant des Principes des trois Gouvernemens, eft de nous développer ce qui eft ou ce qui devroit être, c'est-à-dire, de nous expofer les trois différens principes qui dans les trois especes de Gouvernemens les font agir ou devroient les faire agir. Dans le premier cas fa doctrine n'eft point du tout conforme à l'expérience. Pour l'ordinaire les Souverains & les Nations font conduits par quelque paffion dominante, qui ne tient en rien à la forme du Gouvernement. On accufe une certaine Nation de fe laiffer conduire par une forte jaloufie contre les autres peuples: on attribue à une autre le defir excelfif d'accumuler des richeffes. Tel Monarque eft animé du defir d'aggrandir fes Etats; un autre cherche à y faire fleurir le Commerce un troifieme n'a du goût que pour l'art militaire; & l'honneur n'eft pas plus le principe des Monarchies en général, que l'amour de la liberté ou celui de la patrie eft le principe univerfel des Républiques. Ces principes de conduite dans les Gouvernemens different fuivant la conftitution de l'Etat, les inclinations des peuples, & les penchans de ceux qui font au timon des affaires. Ils font plus ou moins ftables à' mefure qu'un Gouvernement s'éloigne ou s'approche davantage de l'empire arbitraire d'un feul: la mort du Prince, enleve fes paffions avec lui, fon fucceffeur gouverné par d'autres paffions introduit un autre principe avec elles. De là les changemens dans ces fyftêmes que l'on nomme politiques. Les Répu bliques font plus heureufes à cet égard: il faut que la Nation change pour que le fyftême de leur politique change. Lorsqu'un Monarque ou un Defpote fe décharge du foin des affaires fur un Confeil, c'eft encore un moyen de conferver le principe du Gouvernement dans ces fortes d'Etats; & voilà peut-être la raifon pourquoi, depuis Mazarin, la France fe conduit fuivant le même principe par rapport aux autres Puiffances. Si M. de MONTESQUIEU nous a voulu mettre fous les yeux les principes qui devroient fervir de reffort aux trois Gouvernemens dont il parle, ainfi que fes réflexions le font préfumer, il s'eft trompé plus groffiérement encore: car la théorie & l'expégience ne laiffent aucun doute à ce fujet; elles prouvent trèsLIVRE IV

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LIVRE I V.

Que les Loix de l'Education doivent être relatives aux principes du Gou

vernement.

CHAPITRE PREMIER.

Des Loix de l'éducation.

Es loix de l'éducation font les premie

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res que nous recevons. Et comme elles nous préparent à être citoyens, chaque famille particuliere doit être gouvernée fur le plan de la grande famille qui les comprend toutes.

évidemment que la vertu , par laquelle j'entends toutes les qualités morales qui nous portent à la perfection, est le seul principe de conduite pour tous les Gouvernemens, queis qu'ils foient; & l'unique qui ait fait fleurir & qui fera fleuric les Etats. Il eft vrai qu'on voit plus de vertus dans les Républiques que dans les Monarchies, & de même dans celles-ci plus que dans les Etats defpotiques; qu'on voit dans ces der◄ niers plus de cette obéiffance paffive qui réfulte de la crainte que dans les deux autres. Il eft vrai encore que les vertus se foutiennent mieux dans une République, moins bien dans une Monarchie, & encore moins dans le Defpotifme, parce que la corruption fe gliffe plus promptement & plus facilement dans le cœur de ceux qui peuvent tout ofer fans rien crain dre; & que la crainte naît plus aifément dans le cœur de ceux qui n'ont aucune réfiftance à oppofer: mais cela autoriset-il à faire paffer la vertu pour principe des Gouvernemens républicains, & la crainte pour celui des defpotiques? Autant vaudroit donner la timidité pour principe de la conduite du beau fexe, & le courage pour celui qui anime les hommes Tome I.

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Si le peuple en général a un principe, les parties qui le compofent, c'est-à-dire, les familles, l'auront auffi. Les loix de l'éducation feront donc différentes dans chaque efpece de Gouvernement. Dans les Monarchies, elles auront pour objet l'honneur; dans les Républiques, la vertu ; dans le Defpotifme, la crainte (†).

Tandis que le bien-être eft le feul principe qui détermine des créatures raifonnables. Quant à l'honneur, il fe peut qu'il faffe celui du Gouvernement François; mais jamais il n'a fait celui de quelqu'autre Monarchie. C'eft être réduit à bien per de chofe, lorfque de toutes les qualités morales il ne nous en refte qu'une feule pour reffort de nos volontés : & encore quel reffort? L'HONNEUR, c'est-à-dire, le préjugé de chaque perfonne & de chaque condition. Et ce reffort pourra infpirer les plus belles actions; il pourra, joint à la force des loix, conduire au but du Gouvernement comme la vertu même ! Nous ne nous arrêterons pas à ce paradoxe, & nous laifferons à d'autres politiques à décider s'il a plus contribué au bonheur qu'aux malheurs de la France. Mais voici en quoi M. de MONTESQUIEU a raifon; c'eft qu'en tout cas il vaut encore mieux avoir l'honneur pour principe, que de gouverner un Etat fuivant les caprices d'une volonté momentanée. Lifez la quatrieme Lettre de l'Esprit des Loix quintessencié. [R. d'un A. ]

(†) Regis ad exemplum totus componitur orbis, est un ancien proverbe que nous voyons confirmé tous les jours; mais comme les principes que l'Auteur donne ici aux Gouverne mens ne leur conviennent pas en général, comme nous l'avons remarqué plus haut, on ne peut non plus les attribuer en général à l'éducation particuliere dans chaque efpece de ces Gouvernemens. L'éducation fe reffentira feulement plus ou moins des différentes mœurs & des diverses inclinations qui auront pris le deffus dans un Etat, felon que les révolutions & les tems les auront changées, [ R. d'un Â, ]

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