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exclusivement notre attention, et qui vient souvent se joindre à la relation générale de la causalité; nous voulons parler de la ressemblance sensible qui existe entre un effet et l'une de ses conditions. Il y a un grand nombre de phénomènes qui ont une tendance directe à perpétuer leur propre existence, et à donner naissance à d'autres phénomènes semblables à euxmêmes. Sans parler des objets formés dans le même moule ou sur le même modèle, comme les empreintes faites sur la cire, où la plus parfaite ressemblance entre la cause et l'effet est la loi même du phénomène, nous voyons que tout mouvement se perpétue lui-même avec sa propre vitesse et sa direction première. Le mouvement d'un corps tend à mettre d'autres corps en mouvement, ce qui est en effet le mode le plus commun auquel les mouvements du corps doivent leur commencement. Il est à peine besoin de parler de la contagion, de la fermentation, de la croissance et de l'expansion d'un germe, ressemblant en petit au phénomène parvenu à la plénitude de son développement. Tel est le cas d'une plante ou d'un animal formé d'un embryon, qui vient lui-même d'une autre plante on d'un autre animal de la même espèce. De même les pensées, les réminiscences, qui sont les effets de nos sensations passées, ressemblent à ces sensations; des sentiments produisent des sentiments semblables en vertu de la sympathie, et des actes produisent des

actes semblables par l'imitation spontanée ou volontaire.» (1)

La nature semble provoquer et légitimer elle-même l'application de la loi de la ressemblance dans ces cas tout particuliers de causalité; mais il s'en faut de beaucoup qu'il en soit toujours ainsi. Un plaisir ou une douleur ne ressemblent pas aux objets qui les ont causés: un rhume ne ressemble pas au froid, un remède au soulagement qu'il apporte; un composé chimique ne ressemble souvent à aucun des éléments qui en font partie. Nous verrons plus tard, en parlant des préjugés, comment par suite d'une association formée par les exemples que nous venons de citer, les métaphysiciens se sont imaginé, malgré mille expériences contraires, que l'effet doit toujours ressembler à sa cause, ou, comme l'affirme un célèbre philosophe contemporain, que «< ce qui est vrai de l'effet est vrai de la cause >

(2).

Le sentiment de ressemblance est une condition si fondamentale de notre nature, elle entre pour une si large part dans l'exercice de nos facultés, que, si exclusivement occupés de l'opposition des êtres ou des phénomènes, nous ne voyons plus en elles ce lien commun, ce trait-d'union qui constitue le rapport ou l'attribut de ressemblance, alors l'intelli

(1) J.-St. Mill, Logic., v. II, p. 324. (2) M. Cousin.

gence, dépourvue de l'aliment essentiel, et en quelque sorte du pain quotidien de son activité, paraît avoir atteint la limite de son pouvoir et abdiquer toute compétence. Sans ressemblance, c'est-à-dire, sans point de comparaison, il n'y a plus pour elle abîmes entre les substances et les attributs.

que des

Il n'entre point dans notre sujet de sonder le principe ontologique de la causalité, à l'exemple d'un trop grand nombre de métaphysiciens, qui, entraînés par des préoccupations exclusives, ou faisant violence à leur nature, se sont consumés en efforts stériles pour isoler ce principe, et pour nous le représenter comme intrinsèquement doué d'une activité et d'une indépendance absolue. Nous ferons seulement remarquer que ce fantôme de l'imagination s'évanouit de lui-même devant l'idée de cause telle que l'analyse expérimentale nous la donne. Ainsi considérée, toute cause, comme tout effet, se réduit à un phénomène complexe, et suppose nécessairement pluralité dans les conditions. Les causes qu'on appelle secondes, c'est-à-dire, les conditions que l'expérience nous révèle, sont les seules dont l'esprit humain puisse légitimement s'occuper; et, à ce titre, elles lui tiennent lieu de causes premières. Transporter l'idée de causalité dans un monde dont l'accès est interdit à notre raison, c'est l'œuvre de la folle du logis, l'effet d'une illusion à laquelle l'imperfection et l'abus du langage ont pu seuls prêter une apparence de

réalité. En un mot, l'esprit ne peut comparer, affirmer, juger, que lorsqu'il est en présence de deux termes, et il n'y a que le monde phénoménal qui lui présente ces éléments. Son affirmation porte toujours et nécessairement sur quelque degré de ressemblance ou de différence. Il n'y a point de puissance d'intuition qui ne soit soumise à cette loi, et la prétendue contemplation de l'absolu ne saurait échapper à cette condition de notre activité intellectuelle.

Après ce que nous venons de dire sur la relation de la cause à l'effet, il est presque superflu de parler de celle du moyen à la fin. Les moyens consistent dans les faits ou les divers modes d'action qui émanent directement de l'instinct, de la volonté et de l'intelligence, et ils font nécessairement partie des conditions nécessaires à la production de l'effet. Dans la sphère de l'activité humaine, le moyen est l'auxiliaire et l'instrument de la volonté, cette condition subjective qui, parce qu'elle apparaît la première et joue le rôle le plus saillant sur la scène de l'action rejette les autres conditions dans l'ombre, et semble revendiquer pour elle-même le titre exclusif de cause. Les moyens se succèdent immédiatement les uns aux autres et aboutissent aux fins en vertu de la loi de

continuité, qui, comme nous le savons, suppose la

loi de la ressemblance.

Quant aux objets qui produisent le même son, et

que les philosophes mettent au nombre des causes de l'association des idées, le caractère de similitude est trop évident pour qu'il puisse arrêter notre attention. Examinons plutôt la relation du signe à la chose signifiée.

On distingue les signes en signes naturels et en signes artificiels. Parmi les premiers, les uns ont quelque ressemblance avec les objets de la nature; ils sont dus à notre instinct d'imitation et à notre faculté de reproduction. Telle est une forme, une figure, un dessin, représentant les apparences des objets; tels sont les mouvements par lesquels nous cherchons à représenter la position ou les formes des objets que nous avons vus; tels sont aussi les sons par lesquels nous reproduisons ceux qui ont frappé nos oreilles. Ici la ressemblance n'est pas seulement le guide de l'activité de l'esprit, elle en est l'objet direct; c'est le fond même sur lequel opère la faculté d'imitation; et si l'on peut dire en général : pas de ressemblance, pas de comparaison, à plus forte raison peut-on dire : pas de ressemblance, pas d'imitation. C'est donc la loi de la ressemblance qui préside à tous les actes d'imitation; c'est à elle que nous devons le dessin, la peinture, la sculpture, la musique, la lecture, l'écriture, en un mot, tous les arts et tous les procédés mécaniques qui ont la reproduction ou la similitude pour objet. Et si l'on réfléchit aux applications infinies que ce principe reçoit

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