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logie a ses bornes, elle a ses formules: parce que les vérités qu'elle enseigne étant connues, il faut que les hommes s'y tiennent, et on doit les empêcher de s'en écarter : c'est là qu'il ne faut pas que le génie prenne l'essor; on le circonscrit, pour ainsi dire, dans une enceinte. Mais c'est se moquer du monde de vouloir mettre cette même enceinte autour de ceux qui traitent les sciences humaines. Les principes de la géométrie sont très-vrais; mais si on les appliquait à des choses de goût on ferait déraisonner la raison même. Rien n'étouffe plus la doctrine que de mettre à toutes les choses une robe de docteur : les gens qui veulent toujours enseigner empêchent beaucoup d'apprendre : il n'y a point de génie qu'on ne rétrécisse lorsqu'on l'enveloppe d'un million de scrupules vains. Avez-vous les meilleures intentions du monde? on vous forcera vous-même d'en douter. Vous ne pouvez plus être occupé à bien dire quand vous êtes effrayé par la crainte de dire mal, et qu'au lieu de suivre votre pensée vous ne vous occupez que des termes qui peuvent échapper à la subtilité des critiques. On vient nous mettre un béguin sur la tête pour nous dire à chaque mot: Prenez garde de tomber; vous voulez parler comme vous, je veux que vous parliez comme moi. Va-t-on prendre l'essor? ils vous arrêtent par la manche. A-t-on de la force et de la vie? on vous l'ôte à coups d'épingle. Vous élevez-vous un peu? voilà des gens qui prennent

leur pied ou leur toise, lèvent la tête, et vous crient de descendre pour vous mesurer. Courez→ vous dans votre carrière? ils voudront que vous regardiez toutes les pierres que les fourmis ont mises sur votre chemin : il n'y a ni science ni littérature qui puisse résister à ce pédantisme. Notre siècle a formé des académies, on voudra nous faire rentrer dans les écoles des siècles té→ nébreux. Descartes est bien propre à rassurer ceux qui, avec un génie infiniment moindre que le sien, ont d'aussi bonnes intentions que lui. Ce grand homme fut sans cesse accusé d'athéisme; et l'on n'emploie pas aujourd'hui contre les athées de plus forts argumens que les siens.

Du reste nous ne devons regarder les critiques comme personnelles que dans le cas où ceux qui les font ont voulu les rendre telles. Il est trèspermis de critiquer les ouvrages qui ont été donnés au public, parce qu'il serait ridicule que ceux qui ont voulu éclairer les autres ne voulussent pas être éclairés eux-mêmes. Ceux qui nous avertissent sont les compagnons de nos travaux. Si le critique et l'auteur cherchent la vérité, ils ont le même intérêt; car la vérité est le bien de tous les hommes : ils seront des confédérés, et non pas des ennemis.

C'est avec grand plaisir que je quitte la plume: on aurait continué à garder le silence si de ce qu'on le gardait plusieurs personnes n'avaient conclu qu'on y était réduit.

SUR L'ESPRIT DES LOIS.

Quelques personnes ont fait cette objection : Dans le livre de l'Esprit de lois c'est l'honneur ou la crainte qui font le principe de certains gouvernemens, non pas la vertu; et la vertu n'est le principe que de quelques autres : donc les vertus chrétiennes ne sont pas requises dans la plupart des gouvernemens.

Voici la réponse. L'auteur a mis cette note au chapitre v du livre troisième. « Je parle ici de la « vertu politique, qui est la vertu morale, dans « le sens qu'elle se dirige au bien général; fort «< peu des vertus morales particulières, et point « du tout de cette vertu qui a du rapport aux « vérités révélées. » Il y a au chapitre suivant unc autre note qui renvoie à celle-ci; et, aux chapitre 1 et 1 du livre cinquième, l'auteur a défini sa vertu, l'amour sacré de la patrie. Il définit l'amour de la patrie, l'amour de l'égalité es de la frugalité. Tout le livre cinquième pose sur ces principes. Quand un écrivain a défini un mot dans son ouvrage, quand il a donné, pour me servir de cette expression, son dictionnaire, ne faut-il pas entendre ses paroles suivant la si¬ gnification qu'il leur a donnée?

Le mot de vertu, comme la plupart des mots

de toutes les langues, est pris dans diverses acceptions: tantôt il signifie les vertus chrétiennes, tantôt les vertus païennes; souvent une certaine vertu chrétienne, ou bien une certaine vertu païenne; quelquefois la force; quelquefois, dans quelques langues, une certaine capacité pour un art ou de certains arts. C'est ce qui précède ou ce qui suit ce mot qui en fixe la signification. Ici l'auteur a fait plus; il a donné plusieurs fois sa définition. On n'a donc fait l'objection que parce qu'on a lu l'ouvrage avec trop de rapidité.

II.

L'auteur a dit au livre II, chapitre : « La meilleure aristocratie est celle où la partie du peuple qui n'a point de part à la puissance est si petite et si pauvre que la partie dominante n'a aucun intérêt à l'opprimer : ainsi quand Antipater établit à Athènes que ceux qui n'auraient pas deux mille drachmes seraient exclus du droit de suffrage (a), il forma la meilleure aristocratie qui fut possible; parce que ce sens était si petit qu'il n'excluait que peu de gens, et personne qui eût quelque considération dans la cité. Les familles aristocratiques doivent donc être peuple autant qu'il est possible. Plus une aristocratie approchera de la démocratie, plus elle sera par

(a) Diodore, liv. XVIII, p. 601, édition de Rhodoman.

faite; et elle le deviendra moins à mesure qu'elle approchera de la monarchie. »

Dans une lettre insérée dans le journal de Trévoux, du mois d'avril 1749, on a objecté à l'auteur sa citation même. On a, dit-on, devant les yeux l'endroit cité; et on y trouve qu'il n'y avait que neuf mille personnes qui eussent le cens prescrit par Antipater; qu'il y en avait vingtdeux mille qui ne l'avaient pas : d'où l'on conclut que l'auteur applique mal ses citations, puisque, dans cette république d'Antipater, le petit nombre était dans le cens et que le grand nombre n'y était pas.

RÉPONSE.

Il eût été à désirer que celui qui a fait cette critique eût fait plus d'attention et à ce qu'a dit l'auteur et à ce qu'a dit Diodore.

1° Il n'y avait point vingt-deux mille personnes qui n'eussent pas le cens dans la république d'Antipater: les vingt-deux mille personnes dont parle Diodore furent reléguées et établies dans la Thrace, et il ne resta pour former cette république que les neuf mille citoyens qui avaient le et ceux du bas peuple qui ne voulurent pas partir pour la Thrace. Le lecteur peut consulter Diodore.

cens,

2° Quand il serait resté à Athènes vingt-deux mille personnes qui n'auraient pas eu le cens, l'objection n'en serait pas plus juste. Les mots

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