Page images
PDF
EPUB

n'aimât encore mieux être vassal du roi qu'homme libre. On pouvait avoir des raisons pour disposer Or d'une certaine portion particulière d'un fief; mais on ne voulait pas perdre sa dignité même.

Je sais bien encore que Charlemagne se plaint dans un capitulairé que, dans quelques lieux, il Ꭹ avait des gens qui donnaient leurs fiefs en propriété, et les rachetaient ensuite en propriété (b). Mais je ne dis point qu'on n'aimât mieux une propriété qu'un usufruit : je dis seulement que lorsqu'on pouvait faire d'un aleu un fief qui pas sât aux héritiers, ce qui est le cas de la formule dont j'ai parlé, on avait de grands avantages à le faire.

CHAPITRE IX.

Comment les biens ecclésiastiques furent convertis en fiefs.

Les biens fiscaux n'auraient dû avoir d'autre

destination que de servir aux dons que les rois pouvaient faire pour inviter les Francs à de nouvelles entreprises, lesquelles augmentaient d'un autre côté les biens fiscaux ; et cela était, comme j'ai dit, l'esprit de la nation: mais les dons prirent un autre cours. Nous avons un discours de Chilpéric, petit-fils de Clovis, qui se plaignait déjà que ses biens avaient été presque tous donnés (a) Le cinquième de l'an 806, art. 8.

[ocr errors]

aux églises (a). « Notre fisc est devenu pauvre disait-il; nos richesses ont été transportées aux églises (b). Il n'y a plus que les évêques qui règnent; ils sont dans la grandeur, et nous n'y sommes plus. >>

Cela fit que les maires, qui n'osaient attaquer les seigneurs, dépouillèrent les églises : et une des raisons qu'allégua Pepin pour entrer en Neustrie fut qu'il y avait été invité par les ecclésiastiques pour arrêter les entreprises des rois, c'està-dire des maires, qui privaient l'église de tous ses biens (c).

Les maires d'Austrasie, c'est-à-dire la maison des Pepins, avait traité l'église avec plus de modération qu'on n'avait fait en Neustrie et en Bourgogne ; et cela est bien clair par nos chroniques, où les moines ne peuvent se lasser d'admirer la dévotion et la libéralité des Pepins (d). Ils avaient occupé eux-mêmes les premières places de l'église. « Un corbeau ne crève pas les yeux corbeau » comme disait Chilpéric aux évêques (e).

(a) Dans Grégoire de Tours, liv. VI, ch. XLVI.

à un

(b) Cela fit qu'il annula les testamens faits en faveur des églises, et même les dons faits par son père : Gontran les rétablit, et fit même de nouveaux dons. Grégoire de Tours, liv. VII,

ch. vii.

(c) Voyez les Annales de Metz, sur l'an 687. Excitór imprimis querelis sacerdotum et servorum Dei, qui me sæpius adierunt ut pro sublatis injuste patrimoniis, etc..

(e) Dans Grégoire de Tours.

(d) Ibid.

Pepin soumit la Neustrie et la Bourgogne : mais ayant pris, pour détruire les maires et les rois, le prétexte de l'oppression des églises, il ne pouvait plus les dépouiller sans contredire son titre et faire voir qu'il se jouait de la nation. Mais la conquête de deux grands royaumes et la destruction du parti opposé lui fournirent assez de moyens de contenter ses capitaines.

Pepin se rendit maître de la monarchie en protégeant le clergé : Charles Martel, son fils, ne put se maintenir qu'en l'opprimant. Ce prince voyant qu'une partie des biens royaux et des biens fiscaux avait été donnée à vie ou en propriété à la noblesse, et que le clergé, recevant des mains des riches et des pauvres, avait acquis une grande partie des allodiaux mêmes, il dépouilla les églises; et, les fiefs du premier partage ne subsistant plus, il forma une seconde fois des fiefs (a). Il prit pour lui et pour ses capitaines les biens des églises et les églises mêmes, et fit cesser un abus qui, à la différence des maux ordinaires, était d'autant plus facile à guérir qu'il était extrême.

(a) Karolus, plurima juri ecclesiastico detrahens, prædia fisco sociavit, ac deinde militibus dispertivit. Ex Chronico Centulensi, liv. II.

CHAPITRE X.

Richesses du clergé.

Le clergé recevait tant, qu'il faut que, dans les trois races on lui ait donné plusieurs fois tous les biens du royaume. Mais, si les rois, la noblesse et le peuple, trouvèrent le moyen de leur donner tous leurs biens, ils ne trouvèrent pas moins celui de les leur ôter. La piété fit fonder les églises dans la première race; mais l'esprit militaire les fit donner aux gens de guerre, qui les partagèrent à leurs enfans. Combien net sortit-il pas de terres de la mense du clergé ! Les rois de la seconde race ouvrirent leurs mains, et firent encore d'immenses libéralités. Les Normands arrivent, pillent et ravagent, persécutent surtout les prêtres et les moines, cherchent les abbayes, regardent où ils trouveront quelque lieu religieux; car ils attribuaient aux ecclésiastiques la destruction de leurs idoles et toutes les violences de Charlemagne, qui les avait obligés les uns après les autres de se réfugier dans le Nord. C'étaient des haines que quarante ou cinquante années n'avaient pu leur faire oublier. Dans cet état des choses, combien le clergé perdit-il de biens! A peine y avait-il des ecclésiastiques pour les redemander. Il resta done encore à la piété de la

troisième race assez de fondations à faire et de terres a donner. Les opinions répandues et crues dans ces temps-là auraient privé les laïques de tout leur bien, s'ils avaient été assez honnêtes gens. Mais si les ecclésiastiques avaient de l'ambition, les laïques en avaient aussi : si le mourant donnait, le successeur voulait reprendre. On ne voit que querelles entre les seigneurs et les évêques, les gentilshommes et les abbés ; et il fallait qu'on pressât vivement les ecclésiastiques, puisqu'ils furent obligés de se mettre sous la protection de certains seigneurs qui les défendaient pour un moment, et les opprimaient après.

Déjà une meilleure police, qui s'établissait dans le cours de la troisième race, permettait aux ec clésiastiques d'augmenter leur bien. Les calvinistes parurent, et firent battre de la monnaie de tout ce qui se trouva d'or et d'argent dans les églises. Comment le clergé aurait-il été assuré de sa fortune? il ne l'était pas de son existence; il traitait des matières de controverse, et l'on brûlait ses archives. Que servit-il de redemander à une noblesse toujours ruinée ce qu'elle n'avait plns, ou ce qu'elle avait hypothéqué de mille manieres? Le clergé a toujours acquis, il a toujours rendu, et il acquiert encore.

[ocr errors][ocr errors]
« PreviousContinue »