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un modèle de précision; les enfants les apprenoient par cœur 1. Les novelles de Justinien sont si diffuses qu'il fallut les abréger 2.

Le style des lois doit être simple; l'expression directe s'entend toujours mieux que l'expression réfléchie. Il n'y a point de majesté dans les lois du Bas-Empire; on y fait parler les princes comme des rhéteurs. Quand le style des lois est enflé, on ne les regarde que comme un ouvrage d'ostentation.

Il est essentiel que les paroles des lois réveillent chez tous les hommes les mêmes idées. Le cardinal de Richelieu convenoit que l'on pouvoit accuser un ministre devant le roi 3; mais il vouloit que l'on fût puni, si les choses qu'on prouvoit n'étoient pas considérables; ce qui devoit empêcher tout le monde de dire quelque vérité que ce fût contre lui, puisqu'une chose considérable est entièrement relative, et que ce qui est considérable pour quelqu'un ne l'est pas pour un autre.

La loi d'Honorius punissoit de mort celui qui achetoit comme serf un affranchi, ou qui auroit voulu l'inquiéter". Il ne falloit point se servir d'une expression si vague: l'inquiétude que l'on cause à un homme dépend entièrement du degré de sa sensibilité.

Lorsque la loi doit faire quelque vexation, il faut, autant qu'on le peut, éviter de la faire à prix d'argent. Mille causes changent la valeur de la monnoie; et avec la même dénomination on n'a plus la même chose. On sait l'histoire de cet impertinent de Rome 5, qui donnoit des soufflets à tous ceux ceux qu'il rencontroit, et leur faisoit présenter les vingt-cinq sous de la loi des douze tables.

Lorsque, dans une loi, l'on a bien fixé les idées des choses, il ne faut point revenir à des expressions vagues. Dans l'ordonnance criminelle de Louis XIV 6, après qu'on a fait l'énumération exacte des cas royaux, on ajoute ces mots : « Et ceux << dont de tout temps les juges royaux ont jugé : » ce qui fait rentrer dans l'arbitraire dont on venoit de sortir.

Charles VII dit qu'il apprend que des parties font appel trois, quatre, et six mois après le jugement, contre la coutume du

1. Ut carmen necessarium. (Cicéron, de legibus, liv. II.) · Aristote * dit, qu'avant l'invention de l'écriture les lois étoient composées en vers, et qu'on les chantoit de peur qu'on ne les oubliât. (P.)

2. C'est l'ouvrage d'Irnerius. 3. Testament politique.

• Problem. sect. xix, quest. XXVIII.

4. Aut qualibet manumissione donatum inquietare voluerit. Appendice au code Théodosien, dans le premier tome des OEuvres du P. Sirmond, page 737.

5. Aulu-Gelle, liv. XX, chap. I. 6. On trouve dans le procès-verbal de cette ordonnance les motifs que l'on eut pour cela.

royaume, en pays coutumier 1; il ordonne qu'on appellera incontinent, à moins qu'il n'y ait fraude ou dol du procureur2, ou qu'il n'y ait grande et évidente cause de relever l'appelant: la fin de cette loi détruit le commencement; et elle le détruisit si bien que dans la suite on a appelé pendant trente ans 3.

La loi des Lombards ne veut pas qu'une femme qui a pris un habit de religieuse, quoiqu'elle ne soit pas consacrée, puisse se marier: «car, dit-elle, si un époux, qui a engagé à lui « une femme seulement par un anneau, ne peut pas sans crime « en épouser une autre, à plus forte raison l'épouse de Dieu «ou de la sainte Vierge...» Je dis que dans les lois il faut raisonner de la réalité à la réalité; et non pas de la réalité à la figure, ou de la figure à la réalité.

Une loi de Constantin veut que le témoignage seul de l'évêque suffise sans ouïr d'autres témoins 5. Ce prince prenoit un chemin bien court: il jugeoit des affaires par les personnes, et des personnes par les dignités.

Les lois ne doivent point être subtiles: elles sont faites pour des gens de médiocre entendement; elles ne sont point un art de logique, mais la raison simple d'un père de famille.

Lorsque, dans une loi, les exceptions, limitations, modifications, ne sont point nécessaires, il vaut beaucoup mieux n'en point mettre. De pareils détails jettent dans de nouveaux détails.

Il ne faut point faire de changement dans une loi sans une raison suffisante. Justinien ordonna qu'un mari pourroit être répudié sans que la femme perdit sa dot, si pendant deux ans il n'avoit pu consommer le mariage 6. Il changea sa loi, et donna trois ans au pauvre malheureux 7. Mais, dans un cas pareil, deux ans en valent trois, et trois n'en valent pas plus que deux.

Lorsqu'on fait tant que de rendre raison d'une loi, il faut que cette raison soit digne d'elle. Une loi romaine décide qu'un aveugle ne peut pas plaider, parce qu'il ne voit pas les ornements de la magistrature 8. Il faut l'avoir fait exprès pour donner une si mauvaise raison, quand il s'en présentoit tant de bonnes.

Le jurisconsulte Paul dit que l'enfant naît parfait au septième

1. Dans son ordonnance de Montellès-Tours, l'an 1453.

2. On pouvoit punir le procureur sans qu'il fût nécessaire de troubler l'ordre public.

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4. Liv. II, tit. XXXVII.

5. Dans l'appendice du P. Sirmond,

au code Théodosien, t. I.

6. Leg. 1, cod. de repudiis,

7. Voyez l'authentique sed hodie, au

3. L'ordonnance de 1667 a fait des code de repud. règlements là-dessus.

8. Leg. 1, ff. de postulando.

mois, et que la raison des nombres de Pythagore semble le prouver 1. Il est singulier qu'on juge ces choses sur la raison des nombres de Pythagore.

Quelques jurisconsultes françois ont dit que lorsque le roi acquéroit quelque pays, les églises y devenoient sujettes au droit de régale, parce que la couronne du roi est ronde. Je ne discuterai point ici les droits du roi, et si, dans ee cas, la raison de la loi civile ou ecclésiastique doit céder à la raison de la loi politique; mais je dirai que des droits si respectables doivent être défendus par des maximes graves. Qui a jamais vu fonder sur la figure d'un signe d'une dignité les droits réels de cette dignité?

Davila dit que Charles IX fut déclaré majeur au parlement de Rouen à quatorze ans commencés, parce que les lois veulent qu'on compte le temps du moment au moment, lorsqu'il s'agit de la restitution et de l'administration des biens du pupille; au lieu qu'elles regardent l'année commencée comme une année complète, lorsqu'il s'agit d'acquérir des honneurs. Je n'ai garde de censurer une disposition qui ne paroît pas avoir eu jusqu'ici d'inconvénient; je dirai seulement que la raison alléguée par le chancelier de l'Hospital n'étoit pas la vraie : il s'en faut bien que le gouvernement des peuples ne soit qu'un honneur.

En fait de présomption, celle de la loi vaut mieux que celle de l'homme. La loi françoise regarde comme frauduleux tous les actes faits par un marchand dans les dix jours qui ont précédé sa banqueroute: c'est la présomption de la loi. La loi romaine infligeoit des peines au mari qui gardoit sa femme après l'adultère, à moins qu'il n'y fût déterminé par la crainte de l'événement d'un procès, ou par la négligence de sa propre honte; et c'est la présomption de l'homme. Il falloit que le juge présumât les motifs de la conduite du mari, et qu'il se déterminât sur une manière de penser très-obscure. Lorsque le juge présume, les jugements deviennent arbitraires; lorsque la loi présume, elle donne au juge une règle fixe.

La loi de Platon, comme j'ai dit, vouloit qu'on punît celui qui se tueroit, non pas pour éviter l'ignominie, mais par foiblesse3. Cette loi étoit vicieuse en ce que, dans le seul cas où l'on ne pouvoit pas tirer du criminel l'aveu du motif qui l'avoit fait agir, elle vouloit que le juge se déterminât sur ces motifs. Comme les lois inutiles affoiblissent les leis nécessaires, celles qu'on peut éluder affoiblissent la législation. Une loi doit avoir

1. Dans ses Sentences, liv. IV, t. ix. pag. 96.
2. Della guerra civile di Francia,

3. Liv. IX des Lois.

son effet, et il ne faut pas permettre d'y déroger par une convention particulière.

La loi Falcidie ordonnoit, chez les Romains, que l'héritier eût toujours la quatrième partie de l'hérédité; une autre loi1 permit au testateur de défendre à l'héritier de retenir cette quatrième partie : c'est se jouer des lois. La loi Falcidie devenoit inutile car, si le testateur vouloit favoriser son héritier, celui-ci n'avoit pas besoin de la loi Falcidie; et s'il ne vouloit pas le favoriser, il lui défendoit de se servir de la loi Falcidie. Il faut prendre garde que les lois soient conçues de manière qu'elles ne choquent point la nature des choses. Dans la proscription du prince d'Orange, Philippe II promet à celui qui le tuera de donner à lui ou à ses héritiers vingt-cinq mille écus et la noblesse; et cela en parole de roi, et comme serviteur de Dieu. La noblesse promise pour une telle action! une telle action ordonnée en qualité de serviteur de Dieu! tout cela renverse également les idées de l'honneur, celles de la morale, et celles de la religion.

Il est rare qu'il faille défendre une chose qui n'est pas mauvaise, sous prétexte de quelque perfection qu'on imagine.

Il faut dans les lois une certaine candeur. Faites pour punir la méchanceté des hommes, elles doivent avoir elles-mêmes la plus grande innocence. On peut voir dans la loi des Wisigoths cette requête ridicule par laquelle on fit obliger les Juifs à manger toutes les choses apprêtées avec du cochon, pourvu qu'ils ne mangeassent pas du cochon même 2. C'étoit une grande cruauté on les soumettoit à une loi contraire à la leur; on ne leur laissoit garder de la leur que ce qui pouvoit être un signe pour les reconnoître.

CHAPITRE XVII

Mauvaise manière de donner des lois.

Les empereurs romains manifestoient, comme nos princes, leurs volontés par des décrets et des édits; mais, ce que nos princes ne font pas, ils permirent que les juges ou les particuliers, dans leurs différends, les interrogeassent par lettres; et leurs réponses étoient appelées des rescrits. Les décrétales des papes sont, à proprement parler, des rescrits. On sent que c'est une mauvaise sorte de législation. Ceux qui demandent ainsi des lois sont de mauvais guides pour le législateur; les faits sont toujours mal exposés. Trajan, dit Jules Capitolin3, refusa 1. C'est l'authentique, Sed cum testa- 2. Liv. XII, tit. II, § 16. tor. 3. Voy. Jules Capitolin, in Macrino.

souvent de donner de ces sortes de rescrits, afin qu'on n'étendît pas à tous les cas une décision, et souvent une faveur particulière. Macrin avoit résolu d'abolir tous ces rescrits 1; il ne pouvoit souffrir qu'on regardât comme des lois les réponses de Commode, de Caracalla, et de tous ces autres princes pleins d'impéritie. Justinien pensa autrement, et il en remplit sa compilation.

Je voudrois que ceux qui lisent les lois romaines distinguassent bien ces sortes d'hypothèses d'avec les sénatus-consultes, les plébiscites, les constitutions générales des empereurs, et toutes les lois fondées sur la nature des choses, sur la fragilité des femmes, la foiblesse des mineurs et l'utilité publique.

CHAPITRE XVIII

Des idées d'uniformité.

Il y a de certaines idées d'uniformité qui saisissent quelquefois les grands esprits (car elles ont touché Charlemagne), mais qui frappent infailliblement les petits. Ils y trouvent un genre de perfection qu'ils reconnoissent, parce qu'il est impossible de ne le pas découvrir : les mêmes poids dans la police, les mêmes mesures dans le commerce, les mêmes lois dans l'Etat, la même religion dans toutes ses parties. Mais cela est-il toujours à propos sans exception? Le mal de changer est-il toujours moins grand que le mal de souffrir? Et la grandeur du génie ne consisteroit-elle pas mieux à savoir dans quel cas il faut l'uniformité, et dans quel cas il faut des différences? A la Chine, les Chinois sont gouvernés par le cérémonial chinois, les Tartares par le cérémonial tartare : c'est pourtant le peuple du monde qui a le plus la tranquillité pour objet. Lorsque les citoyens suivent les lois, qu'importe qu'ils suivent la même?

CHAPITRE XIX

Des législateurs.

Aristote vouloit satisfaire tantôt sa jalousie contre Platon, tantôt sa passion pour Alexandre. Platon étoit indigné contre la tyrannie du peuple d'Athènes. Machiavel étoit plein de son idole, le duc de Valentinois. Thomas More, qui parloit plutôt de ce qu'il avoit lu que de ce qu'il avoit pensé, vouloit gouverner tous les Etats avec la simplicité d'une ville grecque2. Harrington ne voyoit que la république d'Angleterre, pendant qu'une foule d'écrivains trouvoient le désordre partout où ils ne voyoient 1. Voy. Jules Capitolin, in Macrino. 2. Dans son Utopie.

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