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ce que j'ai dit : la loi des Francs saliens n'admettoit point cette preuve, et celle des Francs ripuaires la recevoit 1.

Mais, malgré les clameurs des ecclésiastiques, l'usage du combat judiciaire s'étendit tous les jours en France; et je vais prouver tout à l'heure que ce furent eux-mêmes qui y donnèrent lieu en grande partie.

C'est la loi des Lombards qui nous fournit cette preuve. << Il « s'étoit introduit depuis longtemps une détestable coutume «< (est-il dit dans le préambule de la constitution d'Othon II); « c'est que, si la chartre de quelque héritage étoit attaquée de «< faux, celui qui la présentoit faisoit serment sur les Evangiles « qu'elle étoit vraie; et, sans aucun jugement préalable, il se << rendoit propriétaire de l'héritage: ainsi les parjures étoient « sûrs d'acquérir 2. » Lorsque l'empereur Othon ler se fit couronner à Rome3, le pape Jean XII tenant un concile, tous les seigneurs d'Italie s'écrièrent qu'il falloit que l'empereur fit une loi pour corriger cet indigne abus". Le pape et l'empereur jugèrent qu'il falloit renvoyer l'affaire au concile qui devoit se tenir peu de temps après à Ravenne 5. Là, les seigneurs firent les mêmes demandes, et redoublèrent leurs cris; mais, sous prétexte de l'absence de quelques personnes, on renvoya encore une fois cette affaire. Lorsque Othon II, et Conrad, roi de Bourgogne, arrivèrent en Italie, ils eurent, à Vérone", un colloque avec les seigneurs d'Italie; et sur leurs instances réitérées, l'empereur, du consentement de tous, fit une loi qui portoit que, quand il y auroit quelque contestation sur des héritages, et qu'une des parties voudroit se servir d'une chartre, et que l'autre soutiendroit qu'elle étoit fausse, l'affaire se décideroit par le combat; que la même règle s'observeroit lorsqu'il s'agiroit de matières de fiefs; que les églises seroient sujettes à la même loi, et qu'elles combattroient par leurs champions. On voit que la noblesse demanda la preuve par le combat, à cause de l'inconvénient de la preuve introduite dans les églises; que, malgré les cris de cette noblesse, malgré l'abus qui crioit lui-même, et malgré l'autorité d'Othon, qui arriva en Italie pour parler et agir en maître, le clergé tint

1. Voyez cette loi, tit. LIX, § 4; et tit. LXVII, § 5.

2. Loi des Lombards, liv. II, tit. LV, chap. XXXIV.

3. L'an 962.

4. Ab Italiæ proceribus est proclamatum, ut imperator sanctus, mulala lege, facinus indignum destrueret. (Loi des Lombards, liv. II, tit. LV, chapitre XXXIV.)

5. Il fut tenu en l'an 967, en présence du pape Jean XIII, et de l'empereur Othon Ier.

6. Oncle d'Othon II, fils de Rodolphe, et roi de la Bourgogne transjurane. 7. L'an 988.

8. Cum in hoc ab omnibus imperiales aures pulsarentur. (Loi des Lombards, liv. 11, tit. Lv, chap. xxxiv.)

ferme dans deux conciles; que le concours de la noblesse et des princes ayant forcé les ecclésiastiques à céder, l'usage du combat judiciaire dut être regardé comme un privilége de la noblesse, comme un rempart contre l'injustice, et une assurance de sa propriété ; et que, dès ce moment, cette pratique dut s'étendre. Et cela se fit dans un temps où les empereurs étoient grands, et les papes petits, dans un temps où les Othons vinrent rétablir en Italie la dignité de l'empire.

Je ferai une réflexion qui confirmera ce que j'ai dit ci-dessus, que l'établissement des preuves négatives entraînoit après lui la jurisprudence du combat. L'abus dont on se plaignoit devant les Othons étoit qu'un homme à qui on objectoit que sa chartre étoit fausse se défendoit par une preuve négative, en déclarant sur les Evangiles qu'elle ne l'étoit pas. Que fit-on pour corriger l'abus d'une loi qui avoit été tronquée? On rétablit l'usage du combat.

Je me suis pressé de parler de la constitution d'Othon II, afin de donner une idée claire des démêlés de ces temps-là entre le clergé et les laïques. Il y avoit eu auparavant une constitution de Lothaire [er 1, qui, sur les mêmes plaintes et les mêmes démêlés, voulant assurer la propriété des biens, avoit ordonné que le notaire jureroit que sa chartre n'étoit pas fausse, et que, s'il étoit mort, on feroit jurer les témoins qui l'avoient signée; mais le mal restoit toujours, il fallut en venir au remède dont je viens de parler.

Je trouve qu'avant ce temps-là, dans les assemblées générales teques par Charlemagne, la nation lui représenta que, dans l'état des choses, il étoit très-difficile que l'accusateur ou l'accusé ne se parjurassent, et qu'il valoit mieux rétablir le combat judiciaire; ce qu'il fit.

L'usage du combat judiciaire s'étendit chez les Bourguignons, et celui du serment y fut borné. Théodoric, roi d'Italie, abolit le combat singulier chez les Ostrogoths: les lois de Chaindasuinde et de Recessuinde semblent en avoir voulu ôter jusqu'à l'idée. Mais ces lois furent si peu reçues dans la Narbonnoise, que le combat y étoit regardé comme une prérogative des Goths*.

1. Dans la loi des Lombards, liv. II, tit. LV, § 33. Dans l'exemplaire dont s'est servi M. Muratori, elle est attribuée à l'empereur Guy.

2. Dans la loi des Lombards, liv. II, tit. LV, § 23.

3. Voyez Cassiodore, liv. III, lettres XXIII et XXIV.

4. In palatio quoque Bera, comes Barcinonensis, cum impeteretur a quodam vocato Sunila, et infidelitalis argueretur, cum eodem, secundum legem propriam, utpote quia uterque Gothus erat, equestri prælio congres sus est et victus. (L'auteur incertain de 1a Vie de Louis le Débonnaire.)

Les Lombards, qui conquirent l'Italie après la destruction des Ostrogoths par les Grecs, y rapportèrent l'usage du combat; mais leurs premières lois le restreignirent1. Charlemagne, Louis le Débonnaire, les Othons, firent diverses constitutions générales, qu'on trouve insérées dans les lois des Lombards, et ajoutées aux lois saliques, qui étendirent le duel, d'abord dans les affaires criminelles, et ensuite dans les civiles. On ne savoit comment faire. La preuve négative par le serment avoit des inconvénients; celle par le combat en avoit aussi : on changeoit suivant qu'on étoit plus frappé des uns ou des autres.

D'un côté, les ecclésiastiques se plaisoient à voir que, dans toutes les affaires séculières, on recourût aux églises et aux autels; et, de l'autre, une noblesse fière aimoit à soutenir ses droits par son épée.

Je ne dis point que ce fût le clergé qui eût introduit l'usage dont la noblesse se plaignoit. Cette coutume dérivoit de l'esprit des lois des barbares, et de l'établissement des preuves négatives. Mais une pratique qui pouvoit procurer l'impunité à tant de criminels, ayant fait penser qu'il falloit se servir de la sainteté des églises pour étonner les coupables, et faire pâlir les parjures, les ecclésiastiques soutinrent cet usage, et la pratique à laquelle il étoit joint; car d'ailleurs ils étoient opposés aux preuves négatives. Nous voyons dans Beaumanoir que ces preuves ne furent jamais admises dans les tribunaux ecclésiastiques: ce qui contribua sans doute beaucoup à les faire tomber, et à affoiblir la disposition des codes des lois des barbares à cet égard.

Ceci fera encore bien sentir la liaison entre l'usage des preuves négatives, et celui du combat judiciaire dont j'ai tant parlé. Les tribunaux laïques les admirent l'un et l'autre, et les tribunaux clercs les rejetèrent tous deux.

Dans le choix de la preuve par le combat, la nation suivoit son génie guerrier; car pendant qu'on établissoit le combat comme un jugement de Dieu, on abolissoit les preuves par la croix, l'eau froide, et l'eau bouillante, qu'on avoit regardées aussi comme des jugements de Dieu.

4. Voyez, dans la loi des Lombards, le liv. I, tit. iv, et tit. 1x, § 23; et 1. II, tit. xxxv, § 4 et 5; et tit. Lv, § 1, 2 et 3: les règlements de Rotharis; et au § 15, celui de Luitprand.

2. Ibid., liv. II, tit. Lv, § 23.

3. Le serment judiciaire se faisoit pour lors dans les églises, et il y avoit, dans la première race, dans le palais des rois,

une chapelle exprès pour les affaires qui sy jugeoient. Voyez les Formules de Marculfe, liv. I, chap. XXXVIII; les lois des Ripuaires, tit. LIX, § 4; titre LXV, § 5; l'Histoire de Grégoire de Tours; le capitulaire de l'an 803, ajouté à la loi salique.

4. Chap. XXXIX, pag. 212.

Charlemagne ordonna que, s'il survenoit quelque différend entre ses enfants, il fût terminé par le jugement de la croix. Louis le Débonnaire borna ce jugement aux affaires ecclésiasti ques1 son fils Lothaire l'abolit dans tous les cas; il abolit de même la preuve par l'eau froide 2.

Je ne dis pas que, dans urmps où il y avoit si peu d'usages universellement reçus, ces preuves n'aient été reproduites dans quelques églises, d'autant plus qu'une chartre de Philippe-Auguste en fait mention ; mais je dis qu'elles furent de peu d'usage. Beaumanoir, qui vivoit du temps de saint Louis, et un peu après, faisant l'énumération des différents genres de preuves, parle de celle du combat judiciaire, et point du tout de celles-là.

CHAPITRE XIX

Nouvelle raison de l'oubli des lois saliques, des lois romaines

et des capitulaires.

J'ai déjà dit les raisons qui avoient fait perdre aux lois saliques, aux lois romaines, et aux capitulaires, leur autorité; j'ajouterai que la grande extension de la preuve par le combat en fut la principale cause.

Les lois saiiques, qui n'admettoient point cet usage, devinrent en quelque façon inutiles, et tombèrent : les lois romaines, qui ne l'admettoient pas non plus, périrent de même. On ne songea plus qu'à former la loi du combat judiciaire, et à en faire une bonne jurisprudence. Les dispositions des capitulaires ne devinrent pas moins inutiles. Ainsi tant de lois perdirent leur autorité, sans qu'on puisse citer le moment où elles l'ont perdue; elles furent oubliées, sans qu'on en trouve d'autres qui aient pris leur place.

Une nation pareille n'avoit pas besoin de lois écrites, et ses lois écrites pouvoient bien aisément tomber dans l'oubli.

Y avoit-il quelque discussion entre deux parties, on ordonnoit le combat. Pour cela, il ne falloit pas beaucoup de suffisance. Toutes les actions civiles et criminelles se réduisent en faits. C'est sur ces faits que l'on combattoit; et ce n'étoit pas seulement le fond de l'affaire qui se jugeoit par le combat, mais encore les incidents et les interlocutoires, comme le dit Beaumanoir, qui en donne des exemples.

1. On trouve ses constitutions insérées dans la loi des Lombards, et à la snite des lois saliques.

2. Dans sa constitution insérée dans la loi des Lombards, liv. II, tit. LV,

§ 31.

3. De l'an 1200.

4. Coutume de Beauvoisis, chapitre XXXIX.

5. Chap. LXI, pag. 309 et 310,

Je trouve qu'au commencement de la troisième race, la jurisprudence étoit toute en procédés; tout fut gouverné par le point d'honneur. Si l'on n'avoit pas obéi au juge, il poursuivoit son offense. A Bourges1, si le prévôt avoit mandé quelqu'un, et qu'il ne fût pas venu: «Je t'ai envoyé chercher, disoit-il; tu as dé« daigné de venir; fais-moi raison de ce mépris. » Et l'on combattoit. Louis le Gros réforma cette coutume 2.

Le combat judiciaire étoit en usage à Orléans dans toutes les demandes de dettes. Louis le Jeune déclara que cette coutume n'auroit lieu que lorsque la demande excéderoit cinq sous. Cette ordonnance étoit une loi locale; car, du temps de saint Louis, il suffisoit que la valeur fùt de plus de douze deniers. Beaumanoir avoit ouï dire à un seigneur de loi, qu'il y avoit autrefois en France cette mauvaise coutume, qu'on pouvoit louer pendant un certain temps un champion pour combattre dans ses affaires. Il falloit que l'usage du combat judiciaire eût pour lors une prodigieuse extension.

CHAPITRE XX

Origine du point d'honneur.

On trouve des énigmes dans les codes des lois des barbares. La loi des Frisons ne donne qu'un demi-sou de composition à celui qui a reçu des coups de bâton ; et il n'y a si petite blessure pour laquelle elle n'en donne davantage. Par la loi salique, si un ingénu donnoit trois coups de bâton à un ingénu, il payoit trois sous; s'il avoit fait couler le sang, il étoit puni comme s'il avoit blessé avec le fer; et il payoit quinze sous la peine se mesuroit par la grandeur des blessures. La loi des Lombards établit différentes compositions pour un coup, pour deux, pour trois, pour quatre 7. Aujourd'hui un coup en vaut cent mille.

La constitution de Charlemagne, insérée dans la loi des Lombards, veut que ceux à qui elle permet le duel combattent avec le bâton. Peut-être que ce fut un ménagement pour le clergé; peut-être que, comme on étendoit l'usage des combats, on voulut les rendre moins sanguinaires. Le capitulaire de Louis le Débonnaire donne le choix de combattre avec le bâton ou

1. Chartre de Louis le Gros, de l'an 1145, dans le Recueil des ordonnances. 2. Ibid.

3. Chartre de Louis le Jeune, de l'an 1168, dans le Recueil des ordonnances. 4. Voyez Beaumanoir, chap. LXIII, pag. 325.

5. Voyez la Coutume de Beauvoisis, chap. XXVIII, pag. 203.

6. Additio sapientium Wilemari, tit. v.

7. Liv. I, tit. VI. § 3.
8. Liv. II, tit. v, § 23.

9. Ajouté à la loi salique sur l'an 819.

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