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sentences de Paul1, qui vivoit sous Niger, et dans les fragments d'Ulpien 2, qui etoit du temps d'Alexandre Sévère3, que les sœurs du côté du père pouvoient succéder; et qu'il n'y avoit que les parents d'un degre plus éloigné qui fussent dans le cas de la prohibition de la loi Voconienne.

Les anciennes lois de Rome avoient commencé à paroître dures; et les préteurs ne furent plus touchés que des raisons d'équité, de modération et de bienséance.

Nous avons vu que, par les anciennes lois de Rome, les mères n'avoient point de part à la succession de leurs enfants. La loi Voconienne fut une nouvelle raison pour les en exclure. Mais l'empereur Claude donna à la mère la succession de ses enfants, comme une consolation de leur perte : le sénatus-consulte Tertullien, fait sous Adrien, la leur donna lorsqu'elles avoient trois enfants, si elles étoient ingénues; ou quatre, si elles étoient affranchies. Il est clair que ce sénatus-consulte n'étoit qu'une extension de la loi Papienne, qui, dans le même cas, avoit accordé aux femmes les successions qui leur étoient déférées par les étrangers. Enfin Justinien leur accorda la succession, indépendamment du nombre de leurs enfants.

Les mèmes causes qui firent restreindre la loi qui empèchoit les femmes de succéder, firent renverser peu à peu celle qui avoit gêné la succession des parents par femmes. Ces lois étoient très-conformes à l'esprit d'une bonne république, où l'on doit faire en sorte que ce sexe ne puisse se prévaloir pour le luxe, ni de ses richesses, ni de l'espérance de ses richesses. Au contraire, le luxe d'une monarchie rendant le mariage à charge et coûteux, il faut y être invité, et par les richesses que les femmes peuvent donner, et par l'espérance des successions qu'elles peuvent procurer. Ainsi, lorsque la monarchie s'établit à Rome, tout le système fut changé sur les successions. Les préteurs appelèrent les parents par femmes, au défaut des parents par males; au lieu que, par les anciennes lois, les parents par femmes n'étoient jamais appelés. Le sénatus-consulte Orphitien appela les enfants à la succession de leur mère; et les empereurs Valentinien, Théodose et Arcadius, appelèrent les petitsenfants par la fille à la succession du grand-père. Enfin l'empereur Justinien ôta jusqu'au moindre vestige du droit ancien

1. Liv. IV, tit. VIII, § 3.

2. Tit. XXVI, § 6.

3. Paul et Ulpien furent tous deux assesseurs de Papinien, préfet du prêtoire. (Crév.)

4. C'est-à-dire l'empereur Pie, qui

prit le nom d'Adrien par adoption.

5. Leg. 2, cod. de Jure liberorum; Instit., liv. III, tit. 11, § 4, de Senatus-consulto Tertulliano.

6. Leg. 9, cod. de luis et legitimis liberis.

sur les successions: il établit trois ordres d'héritiers, les descendants, les ascendants, les collatéraux, sans aucune distinction, entre les måles et les femelles, entre les parents par femmes et les parents par måles, et abrogea toutes celles qui restoient à cet égard1. Il crut suivre la nature même en s'écartant de ce qu'il appela les embarras de l'ancienne jurisprudence.

LIVRE VINGT-HUITIÈME 2

DE L'ORIGINE ET DES RÉVOLUTIONS DES LOIS CIVILES
CHEZ LES FRANÇOIS.

In nova fert animus mutatas dicere formas

Corpora.

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(OVID., Métam.)

Du différent caractère des lois des peuples germains.

Les Francs étant sortis de leur pays, ils firent rédiger par les sages de leur nation les lois saliques 3. La tribu des Francs ripuaires s'étant jointe, sous Clovis, à celle des Francs saliens, elle conserva ses usages; et Théodoric3, roi d'Austrasie, les fit mettre par écrit. Il recueillit de même les usages des Bavarois et des Allemands qui dépendoient de son royaume. Car la Germanie étant affoiblie par la sortie de tant de peuples, les Francs, après avoir conquis devant eux, avoient fait un pas en arrière, et porté leur domination dans les forêts de leurs pères. Il y a apparence que le code des Thuringiens fut donné par le même Théodoric 7, puisque les Thuringiens étoient aussi ses sujets. Les Frisons ayant été soumis par Charles Martel et Pépin, leur loi n'est pas antérieure à ces princes. Charlemagne, qui le premier dompta les Saxons, leur donna la loi que nous avons. Il n'y a qu'à lire ces deux derniers codes pour voir qu'ils sortent des mains des vainqueurs. Les Wisigoths, les Bourguignons et 1. Leg. 12, cod. ibid., et les novelles

118 et 127.

2. J'ai pensé me tuer depuis trois mois pour achever un livre de l'Origine et des Révolutions de nos lois civiles. Il formera trois heures de lecture; mais je vous assure qu'il m'a coûté tant de travail, que mes cheveux en sont blanchis. (Montesquieu à Mgr Cerati, lettre du 18 mars 1748.)

3. Voyez le Prologue de la loi salique. M. de Leibnitz dit, dans son Traité de l'Origine des Francs, que

cette loi fut faite avant le règne de Clovis; mais elle ne put l'être avant que les Francs fussent sortis de la Germanie: ils n'entendoient pas pour lors la langue latine.

4. Voyez Grégoire de Tours.

5. Voyez le Prologue de la loi des Bavarois, et celui de la loi salique. 6. Ibid.

7. Lex Angliorum Werinorum, hoc est Thuringorum.

8. Ils ne savoient point écrire.

les Lombards, ayant fondé des royaumes, firent écrire leurs lois, non pas pour faire suivre leurs usages aux peuples vaincus, mais pour les suivre eux-mêmes.

Il y a dans les lois saliques et ripuaires, dans celles des Allemands, des Bavarois, des Thuringiens et des Frisons, une simplicité admirable on y trouve une rudesse originale, et un esprit qui n'avoit point été affoibli par un autre esprit. Elles changèrent peu, parce que ces peuples, si l'on en excepte les Francs, restèrent dans la Germanie. Les Francs mêmes y fondèrent une grande partie de leur empire: ainsi leurs lois furent toutes germaines. Il n'en fut pas de même des lois des Wisigoths, des Lombards et des Bourguignons; elles perdirent beaucoup de leur caractère, parce que ces peuples, qui se fixèrent dans leurs nouvelles demeures, perdirent beaucoup du leur.

Le royaume des Bourguignons ne subsista pas assez longtemps pour que les lois du peuple vainqueur pussent recevoir de grands changements. Gondebaut et Sigismond, qui recueillirent leurs usages, furent presque les derniers de leurs rois. Les lois des Lombards reçurent plutôt des additions que des changements. Celles de Rotharis furent suivies de celles de Grimoald, de Luitprand, de Rachis, d'Aistulphe; mais elles ne prirent point de nouvelle forme. Il n'en fut pas de même des lois des Wisigoths1; leurs rois les refondirent, et les firent refondre par le clergé.

Les rois de la première race ôtèrent bien aux lois saliques et ripuaires ce qui ne pouvoit absolument s'accorder avec le christianisme; mais ils en laissèrent tout le fond. C'est ce qu'on ne peut pas dire des lois des Wisigoths.

Les lois des Bourguignons, et surtout celles des Wisigoths, admirent les peines corporelles. Les lois saliques et ripuaires ne les reçurent pass; elles conservèrent mieux leur caractère.

Les Bourguignons et les Wisigoths, dont les provinces étoient très-exposées, cherchèrent à se concilier les anciens habitants, et à leur donner des lois civiles les plus impartiales'; mais les 1. Euric les donna; Leuvigilde les 2. Voyez le Prologue de la loi des corrigea. Voyez la Chronique d'Isidore. Bavarois. Chaindasuinde et Recessuinde les réformèrent. Egiga fit faire le Code que nous avons*, et en donna la commission aux évêques on conserva pourtant les lois de Chaindasuinde et de Recessuinde, comme il paroit par le seizième concile de Tolède.

Le Fuero Juzgo, ou Livre des Juges, qu'Alphonse, roi d'Espagne, fit imprimer en

3. On en trouve seulement quelquesunes dans le décret de Childebert.

4. Voyez le Prologue du Code des Bourguignons, et le Code même, surtout le tit. XII, § 5, et le tit. XXXVIII. Voyez aussi Grégoire de Tours, liv. II, chap. xxxIII; et le Code des Wisigoths. 1600, est le corps le plus complet des lois gothiques.

rois francs, sûrs de leur puissance, n'eurent pas ces égards1. Les Saxons, qui vivoient, sous l'empire des Francs, eurent une humeur indomptable, et s'obstinèrent à se révolter. On trouve dans leurs lois 2 des duretés du vainqueur, qu'on ne voit point dans les autres codes des lois des barbares.

On y voit l'esprit des lois des Germains dans les peines pécuniaires, et celui du vainqueur dans les peines afflictives..

Les crimes qu'ils font dans leur pays sont punis corporellement, et on ne suit l'esprit des lois germaniques que dans la punition de ceux qu'ils commettent hors de leur territoire.

On y déclare que, pour leurs crimes, ils n'auront jamais de paix, et on leur refuse l'asile des églises mèmes.

Les évêques eurent une autorité immense à la cour des rois wisigoths; les affaires les plus importantes étoient décidees dans les conciles. Nous devons au code des Wisigoths toutes les maximes, tous les principes et toutes les vues de l'inquisition d'aujourd'hui; et les moines n'ont fait que copier contre les Juifs des lois faites autrefois par les évêques.

Du reste, les lois de Gondebaud pour les Bourguignons paroissent assez judicieuses; celles de Rotharis et des autres princes lombards le sont encore plus. Mais les lois des Wisigoths, celles de Recessuinde, de Chaindasuinde et d'Egiga sont puériles, gauches, idiotes; elles n'atteignent point le but; pleines de rhétorique, et vides de sens, frivoles dans le fond, et gigantesques dans le style.

CHAPITRE II

Que les lois barbares furent toutes personnelles.

C'est un caractère particulier de ces lois des barbares, qu'elles ne furent point attachées à un certain territoire : le Franc étoit jugé par la loi des Francs, l'Allemand par la lof des Allemands, le Bourguignon par la loi des Bourguignons, le Romain par la loi romaine; et, bien loin qu'on songeât dans ces temps-là à rendre uniformes les lois des peuples conquérants, on ne pensa pas même à se faire législateur du peuple vaincu.

Je trouve l'origine de cela dans les mœurs des peuples germains. Ces nations étoient partagées par des marais, des lacs et des forêts: on voit même dans César3 qu'elles aimoient à se séparer. La frayeur qu'elles eurent des Romains fit qu'elles se réunirent chaque homme, dans ces nations mêlées, dut être 1. Voyez ci-dessous le chap. III. chap. IV, § 2 et 7.

2. Voyez le chap. 11, § 8 et 9; et le

3. De Bello Gallico, lib. VI.

jugé par les usages et les coutumes de sa propre nation. Tous ces peuples, dans leur particulier, étoient libres et indépendants; et, quand ils furent mêlés, l'indépendance resta encore : la patrie étoit commune, et la république particulière; le territoire étoit le même, et les nations diverses. L'esprit des lois personnelles étoit donc chez ces peuples avant qu'ils partissent de chez eux, et ils le porterent dans leurs conquêtes.

On trouve cet usage établi dans les formules de Marculfe1, dans les codes des lois des barbares, surtout dans la loi des Ripuaires, dans les décrets des rois de la première race3, d'où dérivèrent les capitulaires que l'on fit là-dessus dans la seconde. Les enfants suivoient la loi de leur père, les femmes celle de leur mari, les veuves revenoient à leur loi, les affranchis avoient celle de leur patron. Ce n'est pas tout: chacun pouvoit prendre la loi qu'il vouloit; la constitution de Lothaire Ier exigea que ce choix fût rendu public.

CHAPITRE III

Différence capitale entre les lois saliques et les lois des Wisigoths
et des Bourguignons.

J'ai dit que la loi des Bourguignons et celle des Wisigoths étoient impartiales; mais la loi salique ne le fut pas : elle établit entre les Francs et les Romains les distinctions les plus affligeantes. Quand 11 on avoit tué un Franc, un barbare ou un homme qui vivoit sous la loi salique, on payoit à ses parents une composition de 200 sous; on n'en payoit qu'une de 100, lorsqu'on avoit tué un Romain possesseur 12, et seulement une de 45, quand on avoit tué un Romain tributaire. La composition pour le meurtre d'un Franc, vassal 18 du roi, étoit de 600 sous; et celle du meurtre d'un Romain, convive1⁄4 du roi15, n'étoit que de 300. Elle mettoit donc une cruelle différence

1. Liv. I, form. 8. 2. Chap. XXXI.

3. Celui de Clotaire, de l'an 560, dans l'édition des Capitulaires de Baluze, tom. I, art. 4; ibid., in fine.

4. Capitulaires ajoutés à la loi des Lombards, liv. I, tit. xxv, chap. LXXI; liv. II, tit. XLI, chap. vII; et tit. LVI, chap. I et II.

5. Ibid., liv. II, tit. v.

6. Ibid., liv. II, tit. vII, chap. 1. 7. ibid., chap. 11.

8. Ibid, tit. xxxv, chap. 1.

10. Au chapitre de ce livre. 11. Loi salique, tit. XLIII. § 1. 12.Qui res in pago ubi remanet proprias habet. (Loi salique, titre XL, § 7.)

13. Qui in truste dominica est. (Loi salique, tit. XLIII, § 4.)

14. Si romanus homo conviva regis fuerit. (Ibid., § 6.)

15. Les principaux Romains s'attachoient à la cour, comme on le voit par la vie de plusieurs évêques qui y furent élevés. Il n'y avoit guère que les Ro

9. Dans la Loi des Lombards, liv. II, mains qui sussent écrire. tit. 57.

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