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rejette-t-elle tout étranger qui seroit appelé à la couronne par le droit du sang.

Que si une nation peut exclure, elle a, à plus forte raison, le droit de faire renoncer. Si elle craint qu'un certain mariage n'ait des suites qui puissent lui faire perdre son indépendance, ou la jeter dans un partage, elle pourra fort bien faire renoncer les contractants, et ceux qui naîtront d'eux, à tous les droits qu'ils auroient sur elle; et celui qui renonce, et ceux contre qui on renonce, pourront d'autant moins se plaindre que l'Etat auroit pu faire une loi pour les exclure.

CHAPITRE XXIV

Que les règlements de police sont d'un autre ordre que les autres lois civiles.

Il y a des criminels que le magistrat punit, il y en a d'autres qu'il corrige. Les premiers sont soumis à la puissance de la loi, les autres à son autorité; ceux-là sont retranchés de la société, on oblige ceux-ci de vivre selon les règles de la société. Dans l'exercice de la police, c'est plutôt le magistrat qui punit que la loi; dans les jugements des crimes, c'est plutôt la loi qui punit que le magistrat. Les matières de police sont des choses de chaque instant, et où il ne s'agit ordinairement que de peu il n'y faut donc guère de formalités. Les actions de la police sont promptes, et elle s'exerce sur des choses qui reviennent tous les jours : les grandes punitions n'y sont donc pas propres. Elle s'occupe perpétuellement de détails : les grands exemples ne sont donc point faits pour elle. Elle a plutôt des règlements que des lois. Les gens qui relèvent d'elle sont sans cesse sous les yeux du magistrat : c'est donc la faute du magistrat s'ils tombent dans des excès. Ainsi il ne faut pas confondre les grandes violations des lois avec la violation de la simple police ces choses sont d'un ordre différent.

De là il suit qu'on ne s'est point conformé à la nature des choses dans cette république d'Italie1 où le port des armes à feu est puni comme un crime capital, et où il n'est pas plus fatal d'en faire un mauvais usage que de les porter.

Il suit encore que l'action tant louée de cet empereur, qui fit empaler un boulanger qu'il avoit surpris en fraude, est une action de sultan, qui ne sait être juste qu'en outrant la justice même.

1. Venise.

CHAPITRE XXV

Qu'il ne faut pas suivre les dispositions générales du droit civil, lorsqu'il s'agit de choses qui doivent être soumises à des règles particulières tirées de leur propre nature.

Est-ce une bonne loi, que toutes les obligations civiles passées dans le cours d'un voyage entre les matelots dans un navire soient nulles? François Pirard nous dit' que, de son temps, elle n'étoit point observée par les Portugois, mais qu'elle l'étoit par les François. Des gens qui ne sont ensemble que pour peu de temps, qui n'ont aucuns besoins, puisque le prince y pourvoit, qui ne peuvent avoir qu'un objet, qui est celui de leur voyage, qui ne sont plus dans la société, mais citoyens du navire, ne doivent point contracter de ces obligations qui n'ont été introduites que pour soutenir les charges de la société civile.

C'est dans ce même esprit que la loi des Rhodiens, faite pour un temps où l'on suivoit toujours les côtes, vouloit que ceux qui, pendant la tempête, restoient dans le vaisseau, eussent le navire et la charge; et que ceux qui l'avoient quitté n'eussent rien.

LIVRE VINGT-SEPTIÈME

DE L'ORIGINE ET DES RÉVOLUTIONS DES LOIS DES ROMAINS SUR LES SUCCESSIONS.

CHAPITRE UNIQUE.

Des lois romaines sur les successions.

Cette matière tient à des établissements d'une antiquité trèsreculée; et, pour la pénétrer à fond, qu'il me soit permis de chercher dans les premières lois des Romains ce que je ne sache pas que l'on y ait vu jusqu'ici.

On sait que Romulus partagea les terres de son petit Etat à ses citoyens : il me semble que c'est de là que dérivent les lois de Rome sur les successions.

La loi de la division des terres demanda que les biens d'une famille ne passassent pas dans une autre; de là il suivit qu'il

4. Chapitre XIV, partie XII.

chap. 1; Plutarque, dans sa comparai2. Denys d'Halicarnasse, liv. II, son de Numa et de Lycurgue.

n'y eut que deux ordres d'héritiers établis par la loi1: les enfants et tous les descendants qui vivoient sous la puissance du père, qu'on appela héritiers-siens; et, à leur défaut, les plus proches parents par måles, qu'on appela agnats.

Il suivit encore que les parents par femmes, qu'on appela cognats, ne devoient point succéder; ils auroient transporté les biens dans une autre famille; et cela fut ainsi établi.

Il suivit encore de là que les enfants ne devoient point succéder à leur mère, ni la mère à ses enfants : cela auroit porté les biens d'une famille dans une autre. Aussi les voit-on exclus dans la loi des douze tables; elle n'appeloit à la succession que les agnats, et le fils et la mère ne l'étoient pas entre eux.

Mais il étoit indifférent que l'héritier-sien, ou, à son défaut, le plus proche agnat, fût måle lui-même ou femelle, parce que les parents du côté maternel ne succédant point, quoiqu'une femme héritière se mariât, les biens rentroient toujours dans la famille dont ils étoient sortis. C'est pour cela que l'on ne distinguoit point dans la loi des douze tables si la personne qui succédoit étoit male ou femelle3.

Cela fit que, quoique les petits-enfants par le fils succédassent au grand-père, les petits-enfants par la fille ne lui succédèrent point; car, pour que les biens ne passassent pas dans une autre famille, les agnats leur étoient préférés. Ainsi la fille succéda à son père, et non pas ses enfants*.

Ainsi, chez les premiers Romains, les femmes succédoient, lorsque cela s'accordoit avec la loi de la division des terres; et elles ne succédoient point, lorsque cela pouvoit la choquer.

Telles furent les lois des successions chez les premiers Romains; et, comme elles étoient une dépendance naturelle de la constitution, et qu'elles dérivoient du partage des terres, on voit bien qu'elles n'eurent pas une origine étrangère, et ne furent point du nombre de celles que rapportèrent les députés que l'on envoya dans les villes grecques.

Denys d'Halicarnasse 5 nous dit que Servius Tullius trouvant 'les lois de Romulus et de Numa sur le partage des terres abolies, il les rétablit, et en fit de nouvelles pour donner aux anciennes un nouveau poids. Ainsi on ne peut douter que les lois dont nous venons de parler, faites en conséquence de ce

1. Ast si intestatus moritur, cui suus hæres nec extabit, agnatus proaimus familiam habeto (Fragment de la Lot des douze tables, dans Ulpien, titre dernier.)

2. Voyez les Fragments d'Ulpien,

§ 8, tit. xxv; Instit., tit. 11, in Procmio ad sen. cons. Tertullianum.

3. Paul, liv. IV, de Sent., tit. vii,

§ 3.

4. Instit., liv. III, tit. 1, § 45.
5. Liv. IV, pag. 276.

partage, ne soient l'ouvrage de ces trois législateurs de Rome. L'ordre de succession ayant été établi en conséquence d'une loi politique, un citoyen ne devoit pas le troubler par une volonté particulière; c'est-à-dire que, dans les premiers temps de Rome, il ne devoit pas être permis de faire un testament. Cependant il eût été dur qu'on eût été privé dans ses derniers moments du commerce des bienfaits.

On trouva un moyen de concilier à cet égard les lois avec la volonté des particuliers. Il fut permis de disposer de ses biens dans une assemblée du peuple; et chaque testament fut en quelque façon un acte de la puissance législative.

La loi des douze tables permit à celui qui faisoit son testament de choisir pour son héritier le citoyen qu'il vouloit. La raison qui fit que les lois romaines restreignirent si fort le nombre de ceux qui pouvoient succéder ab intestat, fut la loi du partage des terres; et la raison pourquoi elles étendirent si fort la faculté de tester fut que, le père pouvant vendre ses enfants 1, il pouvoit, à plus forte raison, les priver de ses biens. C'étoient donc des effets différents, puisqu'ils couloient de principes divers; et c'est l'esprit des lois romaines à cet égard.

Les anciennes lois d'Athènes ne permirent point au citoyen de faire de testament. Solon le permit, excepté à ceux qui avoient des enfants; et les législateurs de Rome, pénétrés de l'idée de la puissance paternelle, permirent de tester au préjudice même des enfants. Il faut avouer que les anciennes lois d'Athènes furent plus conséquentes que les lois de Rome. La permission indéfinie de tester, accordée chez les Romains, ruina peu à peu la disposition politique sur le partage des terres; elle introduisit, plus que toute autre chose, la funcste différence entre les richesses et la pauvreté; plusieurs partages furent assemblés sur une même tête; des citoyens eurent trop, une infinité d'autres n'eurent rien. Aussi le peuple, continuellement privé de son partage, demanda-t-il sans cesse une nouvelle distribution des terres. Il la demanda dans le temps où la frugalité, la parcimonie et la pauvreté faisoient le caractère distinctif des Romains, comme dans les temps où leur luxe fut porté à l'excès.

Les testaments étant proprement une loi faite dans l'assemblée du peuple, ceux qui étoient à l'armée se trouvoient privés de la faculté de tester. Le peuple donna aux soldats le pouvoir

4. Denys d'Halicarnasse prouve, par une loi de Numa, que la loi qui permettoit au père de vendre son fils trois fois

étoit une loi de Romulus, non pas des décemvirs, liv. II.

2. Voyez Plutarque, Vie de Solon.

de faire devant quelques-uns de leurs compagnons les dispositions qu'ils auroient faites devant lui 2.

Les grandes assemblées du peuple ne se faisoient que deux fois l'an; d'ailleurs le peuple s'etoit augmenté, et les affaires aussi on jugea qu'il convenoit de permettre à tous les citoyens de faire leur testament devant quelques citoyens romains pubères, qui représentassent le corps du peuple; on prit cinq citoyens, devant lesquels l'héritier achetoit du testateur sa famille, c'est-à-dire son hérédité 5; un autre citoyen portoit une balance pour en peser le prix, car les Romains n'avoient point encore de monnoie 6.

Il y a apparence que ces cinq citoyens représentoient les cinq classes du peuple, et qu'on ne comptoit pas la sixième, composée de gens qui n'avoient rien.

Il ne faut pas dire, avec Justinien, que ces ventes étoient imaginaires : elles le devinrent; mais au commencement elles ne l'étoient pas. La plupart des lois qui réglèrent dans la suite les testaments tirent leur origine de la réalité de ces ventes; on en trouve bien la preuve dans les fragments d'Ulpien 7. Le sourd, le muet, le prodigue, ne pouvoient faire de testament: le sourd, parce qu'il ne pouvoit pas entendre les paroles de l'acheteur de la famille; le muet, parce qu'il ne pouvoit pas prononcer les termes de la nomination; le prodigue, parce que, toute gestion d'affaires lui étant interdite, il ne pouvoit pas vendre sa famille. Je passe les autres exemples.

Les testaments se faisant dans l'assemblée du peuple, ils étoient plutôt des actes du droit politique que du droit civil, du droit public plutôt que du droit privé : de là il suivit que le père ne pouvoit permettre à son fils, qui étoit en sa puissance, de faire un testament.

Chez la plupart des peuples, les testaments ne sont pas soumis à de plus grandes formalités que les contrats ordinaires, parce que les uns et les autres ne sont que des expressions de la volonté de celui qui contracte, qui appartiennent également au droit privé. Mais chez les Romains, où les testaments déri

1. Ce testament, appelé in procinctu, étoit différent de celui que l'on appela militaire, qui ne fut établi que par les constitutions des empereurs, leg. 1, ff. de militari Testamento: ce fut une de leurs cajoleries envers les soldats.

2. Ce testament n'étoit point écrit, et étoit sans formalités, sine libra et labulis, comme dit Cicéron, liv. 1 de l'Ora

leur.

3. Instit., liv. II, tit. x, § 1; Aulu

Gelle, liv. XV, chap. xxvII. On appela cette sorte de testament per æs et libram.

4. Ulpien, tit. x, § 2.

5. Théophile, Instit., liv. II. tit. x. 6. Ils n'en eurent qu'au temps de la guerre de Pyrrhus. Tite-Live, parlant du siége de Véies, dit : « Nondum argentum signatum erat.» (Liv. IV.) 7. Tit. xx, § 13.

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