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ou civiles, c'est à elles à décider dans quels cas la raison veut que cette succession soit déferée aux enfants, et dans quels cas il faut la donner à d'autres.

Dans les pays où la polygamie est établie, le prince a beaucoup d'enfants'; le nombre en est plus grand dans des pays. que dans d'autres. Il y a des Etats où l'entretien des enfants du roi seroit impossible au peuple; on a pu y établir que les enfants du roi ne lui succéderoient pas, mais ceux de sa sœur. Un nombre prodigieux d'enfants exposeroit l'Etat à d'affreuses guerres civiles. L'ordre de succession qui donne la couronne aux enfants de la sœur, dont le nombre n'est pas plus grand que ne seroit celui des enfants d'un prince qui n'auroit qu'une seule femme, prévient ces inconvénients.

Il y a des nations chez lesquelles des raisons d'Etat ou quelque maxime de religion ont demandé qu'une certaine famille fut toujours régnante: telle est aux Indes3 la jalousie de sa caste, et la crainte de n'en point descendre. On y a pensé que, pour avoir toujours des princes du sang royal, il falloit prendre les enfants de la sœur aînée du roi.

Maxime générale : nourrir ses enfants est une obligation du droit naturel; leur donner sa succession est une obligation du droit civil ou politique. De là dérivent les différentes dispositions sur les bâtards dans les différents pays du monde : elles suivent les lois civiles ou politiques de chaque pays.

CHAPITRE VII

Qu'il ne faut point décider par les préceptes de la religion lorsqu'il s'agit de ceux de la loi naturelle.

Les Abyssins ont un carême de cinquante jours très-rude, et qui les affoiblit tellement que de longtemps ils ne peuvent agir les Turcs ne manquent pas de les attaquer après leur carême. La religion devroit, en faveur de la défense naturelle, mettre des bornes à ces pratiques.

Le sabbat fut ordonné aux Juifs; mais ce fut une stupidité à cette nation de ne point se défendre *, lorsque ses ennemis choisirent ce jour pour l'attaquer.

1. Il n'est pas rare, dit Smith, de voir des pères qui aient jusqu'à deux cents enfants vivants. (P.)

2 Voyez le Recueil des Voyages qui ont servi à l'établissement de la compagnie des Indes, tome IV, part. I, pag. 114; et M. Smith, Voyage de Guinee, part. II, pag. 150, sur le royaume de Juida.

3. Voyez les Lettres édifiantes, qua

torzième recueil; et les Voyages qui ont servi à l'établissement de la compagnie des Indes, tomé III, part. II, page 644.

4. Recueil des Voyages qui ont servi à l'établissement de la compagnie des Indes, tome IV, part. I, pag 35 et 103.

5. Comme ils firent lorsque Pompée assiégea le temple. Voyez Dion, livre XXXVII.

Cambyse, assiégeant Peluze, mit au premier rang un grand nombre d'animaux que les Egyptiens tenoient pour sacrés : les soldats de la garnison n'osèrent tirer. Qui ne voit que la défense naturelle est d'un ordre supérieur à tous les préceptes?

CHAPITRE VIII

Qu'il ne faut pas régler par les principes du droit qu'on appelle canonique les choses réglées par les principes du droit civil.

Par le droit civil des Romains', celui qui enlève d'un lieu sacré une chose privée n'est puni que du crime de vol; par le droit canonique 2, il est puni du crime de sacrilége. Le droit canonique fait attention au lieu; le droit civil, à la chose. Mais n'avoir attention qu'au lieu c'est ne réfléchir, ni sur la nature et la définition du vol, ni sur la nature et la définition du sacrilége.

Comme le mari peut demander la séparation à cause de l'infidélité de sa femme, la femme la demandoit autrefois à cause de l'infidélité du mari3. Cet usage, contraire à la disposition des lois romaines", s'étoit introduit dans les cours d'église", où l'on ne voyoit que les maximes du droit canonique ; et effectivement, à ne regarder le mariage que dans des idées purement spirituelles et dans le rapport aux choses de l'autre vie, la violation est la même. Mais les lois politiques et civiles de presque tous les peuples ont avec raison distingué ces deux choses. Elles ont demandé des femmes un degré de retenue et de continence qu'elles n'exigent point des hommes, parce que la violation de la pudeur suppose dans les femmes un renoncement à toutes les vertus; parce que la femme, en violant les lois du mariage, sort de l'état de sa dépendance naturelle; parce que la nature a marqué l'infidélité des femmes par des signes certains: outre que les enfants adultérins de la femme sont nécessairement au mari et à la charge du mari, au lieu que les enfants adultérins du mari ne sont pas à la femme ni à la charge de la femme.

CHAPITRE IX

Que les choses qui doivent être réglées par les principes du droit civil
peuvent rarement l'être par les principes des lois de la religion,

Les lois religieuses ont plus de sublimité, les lois civiles ont plus d'étendue.

1. Leg. 5, ff. ad leg. Juliam peculatús.

2. Cap. Quisquis XVII, quæstione 4; Cujas, Observ., liv. XIII, chap. XIX, tom. III.

3. Beaumanoir, ancienne coutume de Beauvoisis, chap. XVIII.

4. Leg. 1, cod. ad leg. Jul. de adult. 5. Aujourd'hui, en France, elles ne connoissent point de ces choses.

Les lois de perfection tirées de la religion ont plus pour objet la bonté de l'homme qui les observe, que celle de la société dans laquelle elles sont observées: les lois civiles, au contraire, ont plus pour objet la bonté morale des hommes en général, que celle des individus.

Ainsi, quelque respectables que soient les idées qui naissent immédiatement de la religion, elles ne doivent pas toujours servir de principe aux lois civiles, parce que celles-ci en ont un autre, qui est le bien général de la société.

Les Romains firent des règlements pour conserver dans la république les mœurs des femmes : c'étoient des institutions politiques. Lorsque la monarchie s'établit, ils firent là-dessus des lois civiles et ils les firent sur les principes du gouvernement civil. Lorsque la religion chrétienne eut pris naissance, les lois nouvelles que l'on fit eurent moins de rapport à la bonté générale des mœurs qu'à la sainteté du mariage: on considéra moins l'union des deux sexes dans l'Etat civil, que dans un Etat spirituel.

D'abord, par la loi romaine1, un mari qui ramenoit sa femme dans sa maison après la condamnation d'adultère fut puni comme complice de ses débauches. Justinien 2, dans un autre esprit, ordonna qu'il pourroit, pendant deux ans, l'aller reprendre dans le monastère.

Lorsqu'une femme qui avoit son mari à la guerre n'entendoit plus parler de lui, elle pouvoit, dans les premiers temps, aisément se remarier, parce qu'elle avoit entre ses mains le pouvoir de faire divorce. La loi de Constantin 3 voulut qu'elle attendit quatre ans, après quoi elle pouvoit envoyer le libelle de divorce au chef; et, si son mari revenoit, il ne pouvoit plus l'accuser d'adultère. Mais Justinien établit que, quelque temps qui sc fùt écoulé depuis le départ du mari, elle ne pouvoit se remarier, à moins que, par la déposition et le serment du chef, elle ne prouvât la mort de son mari. Justinien avoit en vue l'indissolubilité du mariage; mais on peut dire qu'il l'avoit trop en vue. Il demandoit une preuve positive, lorsqu'une preuve négative suffisoit; il exigeoit une chose très-difficile, de rendre compte de la destinée d'un homme éloigné, et exposé à tant d'accidents; il présumoit un crime, c'est-à-dire la désertion du mari, lorsqu'il étoit si naturel de présumer sa mort. Il choquoit

1. Leg. 11, § ult. ff. ad leg. Jul. de cio de moribus sublato. adult.

2. Novelle 134, chap. x.
3. Leg. 7, cod. de Repudiis et Judi-

4. Auth. Hodie quantiscumque, cod. de Repud.

le bien public, en laissant une femme sans mariage; il choquoit l'intérêt particulier, en l'exposant à mille dangers.

La loi de Justinien 1, qui mit parmi les causes de divorce le consentement du mari et de la femme d'entrer dans le monastère, s'éloignoit entièrement des principes des lois civiles. Il est naturel que des causes de divorce tirent leur origine de certains empêchements qu'on ne devoit pas prévoir avant le mariage; mais ce désir de garder la chasteté pouvoit être prévu, puisqu'il est en nous. Cette loi favorise l'inconstance dans un Etat qui, de sa nature, est perpétuel; elle choque le principe fondamental du divorce, qui ne souffre la dissolution d'un mariage que dans l'espérance d'un autre; enfin, à suivre même les idées religieuses, elle ne fait que donner des victimes à Dieu sans sacrifice.

CHAPITRE X

Dans quel cas il faut suivre la loi civile qui permet, et non pas la loi de la religion qui défend.

Lorsqu'une religion qui défend la polygamie s'introduit dans un pays où elle est permise, on ne croit pas, à ne parler que politiquement, que la loi du pays doive souffrir qu'un homme qui a plusieurs femmes embrasse cette religion, à moins que le magistrat ou le mari ne les dédommagent en leur rendant de quelque manière leur état civil. Sans cela leur condition seroit déplorable: elles n'auroient fait qu'obéir aux lois, et elles se trouveroient privées des plus grands avantages de la société.

CHAPITRE XI

Qu'il ne faut point régler les tribunaux humains par les maximes des tribunaux qui regardent l'autre vie.

Le tribunal de l'inquisition, formé par les moines chrétiens sur l'idée du tribunal de la pénitence, est contraire à toute bonne police. Il a trouvé partout un soulèvement général; et il auroit cédé aux contradictions, si ceux qui vouloient l'établir n'avoient tiré avantage de ces contradictions mêmes.

Ce tribunal est insupportable dans tous les gouvernements. Dans la monarchie, il ne peut faire que des délateurs et des traitres; dans les républiques, il ne peut former que des malhonnêtes gens; dans l'Etat despotique, il est destructeur comme lui.

1. Auth. Quod hodie, cod. de Repud.

CHAPITRE XII

Continuation du même sujet.

C'est un des abus de ce tribunal, que, de deux personnes qui y sont accusées du même crime, celle qui nie est condam-. née à la mort, et celle qui avoue évite le supplice. Ceci est tiré des idées monastiques, où celui qui nie paroit être dans l'impénitence et damne, et celui qui avoue semble être dans le repentir et sauvé. Mais une pareille distinction ne peut concerner les tribunaux humains: la justice humaine, qui ne voit que les actions, n'a qu'un pacte avec les hommes, qui est celui de l'innocence; la justice divine, qui voit les pensées, en a deux, celui de l'innocence et celui du repentir.

CHAPITRE XIII

Dans quel cas il faut suivre, à l'égard des mariages, les lois de la religion; et dans quel cas il faut suivre les lois civiles.

Il est arrivé, dans tous les pays et dans tous les temps, que la religion s'est mêlée des mariages. Dès que de certaines choses ont été regardées comme impures ou illicites, et que cependant elles étoient nécessaires, il a bien fallu y appeler la religion pour les légitimer dans un cas, et les réprouver dans les

autres.

D'un autre côté, les mariages étant, de toutes les actions humaines, celle qui intéresse le plus la société, il a bien fallu qu'ils fussent réglés par les lois civiles.

Tout ce qui regarde le caractère du mariage, sa forme, la manière de le contracter, la fécondité qu'il procure, qui a fait comprendre à tous les peuples qu'il étoit l'objet d'une bénédiction particulière qui, n'y étant pas toujours attachée, dépendoit de certaines gràces supérieures : tout cela est du ressort de la religion.

Les conséquences de cette union par rapport aux biens, les avantages réciproques, tout ce qui a du rapport à la famille nouvelle, à celle dont elle est sortie, à celle qui doit naitre tout cela regarde les lois civiles.

Comme un des grands objets du mariage est d'ôter toutes les incertitudes des conjonctions illégitimes, la religion y imprime son caractère; et les lois civiles y joignent le leur, afin qu'il ait toute l'authenticité possible. Ainsi, outre les conditions que demande la religion pour que le mariage soit valide, les lois civiles en peuvent encore exiger d'autres.

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