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eux 1. Les grands criminels ne méritent point d'asiles; ils n'en eurent pas. Les Juifs n'avoient qu'un tabernacle portatif, et qui changeoit continuellement de lieu; cela excluoit l'idée d'asile. Il est vrai qu'ils devoient avoir un temple; mais les criminels qui y seroient venus de toutes parts auroient pu troubler lę service divin. Si les homicides avoient été chassés hors du pays, comme ils le furent chez les Grecs, il eût été à craindre qu'ils n'adorassent des dieux étrangers. Toutes ces considérations firent établir des villes d'asile, où l'on devoit rester jusqu'à la mort du souverain pontife.

CHAPITRE IV

Des ministres de la religion.

Les premiers hommes, dit Porphyre, ne sacrifioient que de l'herbe. Pour un culte si simple, chacun pouvoit être pontife dans sa famille.

Le désir naturel de plaire à la divinité multiplia les cérémonies ce qui fit que les hommes, occupés à l'agriculture, devinrent incapables de les exécuter toutes, et d'en remplir les détails.

On consacra aux dicux des lieux particuliers; il fallut qu'il y eût des ministres pour en prendre soin, comme chaque citoyen prend soin de sa maison et de ses affaires domestiques. Aussi les peuples qui n'ont point de prêtres sont-ils ordinairement barbares. Tels étoient autrefois les Pédaliens 3, tels sont encore les Wolgusky.

Des gens consacrés à la divinité devoient être honorés, surtout chez les peuples qui s'étoient formé une certaine idée d'une pureté corporelle, nécessaire pour approcher des lieux les plus agréables aux dieux, et dépendante de certaines pratiques.

Le culte des dieux demandant une attention continuelle, la plupart des peuples furent portés à faire du clergé un corps séparé. Ainsi, chez les Egyptiens, les Juifs et les Perses 5, on consacra à la divinité de certaines familles qui se perpétuoient, et faisoient le service. Il y eut même des religions où l'on ne pensa pas seulement à éloigner les ecclésiastiques des affaires, mais encore à leur ôter l'embarras d'une famille; et c'est la pratique de la principale branche de la loi chrétienne.

Je ne parlerai point ici des conséquences de la loi du céli

1. Nombr, chap. xxxv.

4. Peuple de la Sibérie. Voyez la rela

2. De Abstinentia animal., lib. II, tion de M. Everard Isbrands-Ides, dans § 5. le Recueil des Voyages du Nord, t. VIII. 5. Voyez M. Hyde.

3. Lilius Giraldus, pag. 726.

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bat: on sent qu'elle pourroit devenir nuisible à proportion que le corps du clergé seroit trop étendu, et que par conséquent celui des laïques ne le seroit pas assez.

Par la nature de l'entendement humain, nous aimons, en fait de religion, tout ce qui suppose un effort, comme, en matière de morale, nous aimons spéculativement tout ce qui porte le caractère de la sévérité. Le célibat a été plus agréable aux peuples à qui il sembloit convenir le moins, et pour lesquels il pouvoit avoir de plus fàcheuses suites. Dans les pays du midi de l'Europe, où, par la nature du climat, la loi du célibat est plus difficile à observer, elle a été retenue; dans ceux du nord, où les passions sont moins vives, elle a été proscrite. Il y a plus: dans les pays où il y a peu d'habitants, elle a été admise; dans ceux où il y en a beaucoup, on l'a rejetée. On sent que toutes ces réflexions ne portent que sur la trop grande extension du célibat, et non sur le célibat même.

CHAPITRE V

Des bornes que les lois doivent mettre aux richesses du clergé.

Les familles particulières peuvent périr: ainsi les biens n'y ont point une destination perpétuelle. Le clergé est une famille qui ne peut pas périr : les biens y sont donc attachés pour toujours, et n'en peuvent pas sortir.

Les familles particulières peuvent s'augmenter: il faut donc que leurs biens puissent croître aussi. Le clergé est une famille qui ne doit point s'augmenter : les biens doivent donc y être bornés.

Nous avons retenu les dispositions du Lévitique sur les biens du clergé, excepté celles qui regardent les bornes de ces biens: effectivement, on ignorera toujours parmi nous quel est le terme après lequel il n'est plus permis à une communauté religieuse d'acquérir.

Ces acquisitions sans fin paroissent aux peuples si déraisonnables, que celui qui voudroit parler pour elles seroit regardé comme un imbécile.

Les lois civiles trouvent quelquefois des obstacles à changer des abus établis, parce qu'ils sont liés à des choses qu'elles doivent respecter: dans ce cas, une disposition indirecte marque plus le bon esprit du législateur qu'une autre qui frapperoit sur la chose même. Au lieu de défendre les acquisitions du clergé, il faut chercher à l'en dégoûter lui-même : laisser le droit et ôter le fait.

Dans quelques pays de l'Europe, la considération des droits

des seigneurs a fait établir en leur faveur un droit d'indemnité sur les immeubles acquis par les gens de mainmorte. L'intérêt du prince lui a fait exiger un droit d'amortissement dans le même cas. En Castille, où il n'y a point de droit pareil, le clergé a tout envahi; en Aragon, où il y a quelque droit d'amortissement, il a acquis moins; en France, où ce droit et celui d'indemnité sont établis, il a moins acquis encore, et l'on peut dire que la prospérité de cet Etat est due en partie à l'exercice de ces deux droits. Augmentez-les, ces droits, et arrêtez la mainmorte, s'il est possible.

Rendez sacré et inviolable l'ancien et nécessaire domaine du clergé ; qu'il soit fixe et éternel comme lui: mais laissez sortir de ses mains les nouveaux domaines.

Permettez de violer la règle lorsque la règle est devenue un abus; souffrez l'abus lorsqu'il rentre dans la règle.

On se souvient toujours à Rome d'un mémoire qui y fut envoyé à l'occasion de quelques démêlés avec le clergé. On y avoit mis cette maxime : « Le clergé doit contribuer aux char«ges de l'Etat, quoi qu'en dise l'Ancien Testament. » On en conclut que l'auteur du mémoire entendoit mieux le langage de la maltôte que celui de la religion.

CHAPITRE VI

Des monastères.

Le moindre bon sens fait voir que ces corps qui se perpétuent sans fin ne doivent pas vendre leurs fonds à vie, ni faire des emprunts à vie, à moins qu'on ne veuille qu'ils se rendent héritiers de tous ceux qui n'ont point de parents, et de tous ceux qui n'en veulent point avoir. Ces gens jouent contre le peuple, mais ils tiennent la banque contre lui.

CHAPITRE VII

Du luxe de la superstition.

:

<< Ceux-là sont des impies envers les dieux, dit Platon', qui «nient leur existence, ou qui l'accordent, mais soutiennent « qu'ils ne se mêlent point des choses d'ici-bas; ou enfin qui « pensent qu'on les apaise aisément par des sacrifices trois << opinions également pernicieuses. » Platon dit là tout ce que la lumière naturelle a jamais dit de plus sensé en matière de religion.

La magnificence du culte extérieur a beaucoup de rapport 1. Des Lois, liv. X.

à la constitution de l'Etat. Dans les bonnes républiques, on n'a pas seulement réprimé le luxe de la vanité, mais encore celui de la superstition; on a fait dans la religion des lois d'épargne. De ce nombre sont plusieurs lois de Solon, plusieurs lois de Platon sur les funérailles, que Cicéron a adoptées; enfin quelques lois de Numa 1 sur les sacrifices.

<«< Des oiseaux, dit Cicéron, et des peintures faites en un « jour, sont des dons très-divins 2. Nous offrons des choses «< communes, dit un Spartiate3, afin que nous ayons tous les « jours le moyen d'honorer les dieux. »

Le soin que les hommes doivent avoir de rendre un culte à la divinité est bien différent de la magnificence de ce culte. <«< Ne lui offrons point nos trésors, si nous ne voulons lui «< faire voir l'estime que nous faisons des choses qu'elle veut « que nous méprisions.

«Que doivent penser les dieux des dons des impies, dit ad<< mirablement Platon, puisqu'un homme de bien rougiroit de << recevoir des présents d'un malhonnête homme ? »

Il ne faut pas que la religion, sous prétexte de dons, exige des peuples ce que les nécessités de l'Etat leur ont laissé; et, comme dit Platon 5, des hommes chastes et pieux doivent offrir des dons qui leur ressemblent.

Il ne faudroit pas non plus que la religion encourageât les dépenses des funerailles. Qu'y a-t-il de plus naturel que d'òter la différence des fortunes daus une chose et dans les moments qui égalisent toutes les fortunes?

CHAPITRE VIII
Du pontificat.

Lorsque la religion a beaucoup de ministres, il est naturel qu'ils aient un chef, et que le pontificat y soit établi. Dans la monarchie, où l'on ne sauroit trop séparer les ordres de l'Etat, et où l'on ne doit point assembler sur une même tète toutes les puissances, il est bon que le pontificat soit séparé de l'empire. La même nécessité ne se rencontre pas dans le gouvernement despotique, dont la nature est de réunir sur une mème tète tous les pouvoirs. Mais, dans ce cas, il pourroit arriver que le prince regarderoit la religion comme ses lois mêmes, et comme

1. Rogum vino ne respergito. (Loi des douze tables.)

2. Divinissima autem dona aves, et formæ ab uno pictore uno absolutæ die. (De Legibus, lib, II, § 45.) Gicéron copie ici les propres termes de Pla

ton, de Legibus, lib. XII.

3. Plutarque attribue ce beau mot à Lycurgue. (P.)

4. Des Lois, liv. IV.
5. Ibid., liv. XII.

des effets de sa volonté. Pour prévenir cet inconvénient, il faut qu'il y ait des monuments de la religion; par exemple, des livres sacrés qui la fixent et qui l'établissent. Le roi de Perse est le chef de la religion: mais l'Alcoran règle la religion; l'empereur de la Chine est le souverain pontife: mais il y a des livres qui sont entre les mains de tout le monde, auxquels il doit lui-même se conformer. En vain un empereur voulut-il les abolir, ils triomphèrent de la tyrannie.

CHAPITRE IX

De la tolérance en fait de religion.

Nous sommes ici politiques, et non pas théologiens; et, pour les théologiens mêmes, il y a bien de la différence entre tolérer une religion et l'approuver.

Lorsque les lois d'un Etat ont cru devoir souffrir plusieurs religions, il faut qu'elles les obligent aussi à se tolérer entre elles. C'est un principe, que toute religion qui est réprimée devient elle-même réprimante; car sitôt que, par quelque hasard, elle peut sortir de l'oppression, elle attaque la religion qui l'a réprimée, non pas comme une religion, mais comme une tyrannie.

Il est donc utile que les lois exigent de ces diverses religions, non-seulement qu'elles ne troublent pas l'Etat, mais aussi qu'elles ne se troublent pas entre elles. Un citoyen ne satisfait point aux lois en se contentant de ne pas agiter le corps de l'Etat il faut encore qu'il ne trouble pas quelque citoyen que ee soit.

CHAPITRE X

Continuation du même sujet.

Comme il n'y a guère que les religions intolérantes qui aient un grand zèle pour s'établir ailleurs, parce qu'une religion qui peut tolérer les autres ne songe guère à sa propagation, ce sera une très-bonne loi civile, lorsque l'Etat est satisfait de la religion déjà établie, de ne point souffrir l'établissement d'une autre'.

Voici donc le principe fondamental des lois politiques en fait de religion. Quand on est maitre de recevoir dans un Etat une nouvelle religion, qu de ne la pas recevoir, il ne ne faut pas l'y établir; quand elle y est établie, il faut la tolérer.

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