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L'opinion de la métempsycose est faite pour le climat des Indes. L'excessive chaleur brùle1 toutes les campagnes; on n'y peut nourrir que très-peu de bétail; on est toujours en danger d'en manquer pour le labourage; les bœufs ne s'y multiplient2 que mediocrement, ils sont sujets à beaucoup de maladies : une loi de religion qui les conserve est donc très-convenable à la police du pays.

Pendant que les prairies sont brûlées, le riz et les légumes y croissent heureusement par les eaux qu'on y peut employer: une loi de religion qui ne permet que cette nourriture est donc très-utile aux hommes dans ces climats.

La chair3 des bestiaux n'y a pas de goût, et le lait et le beurre qu'ils en tirent fait une partie de leur subsistance : la loi qui defend de manger et de tuer des vaches n'est donc pas déraisonnable aux Indes.

Athènes avoit dans son sein une multitude innombrable de peuple; son territoire étoit stérile : ce fut une maxime religieuse, que ceux qui offroient aux dieux de certains petits présents les honoroient plus que ceux qui immoloient des bœufs.

CHAPITRE XXV

Inconvénient du transport d'uue religion d'un pays à un autre.

Il suit de là qu'il y a très-souvent beaucoup d'inconvénients à transporter une religion d'un pays dans un autre 5.

« Le cochon, dit M. de Boulainvilliers, doit être très-rare « en Arabie, où il n'y a presque point de bois, et presque rien « de propre à la nourriture de ces animaux; d'ailleurs, la sa« lure des eaux et des aliments rend le peuple très-susceptible « des maladies de la peau. » La loi locale qui le défend ne sauroit être bonne pour d'autres pays où le cochon est une nourriture presque universelle, et en quelque façon nécessaire.

Je ferai ici une réflexion. Sanctorius a observé que la chair de cochon que l'on mange se transpire peu, et que même cette nourriture empêche beaucoup la transpiration des autres aliments; il a trouvé que la diminution alloit à un tiers. On sait d'ailleurs que le défunt de transpiration forme ou aigrit les maladies de la peau : la nourriture du cochon doit donc être 1. Voyage de Bernier, tome II, pag. 157.

2. Lettres édifiantes, douzième recueil, pag. 95.

3. Voyage de Bernier, tome II, pag. 137.

4. Euripide, dans Athénée, liv. pag. 40.

II,

5. On ne parle point ici de religion chrétienne, parce que, comme on a dit au liv. XXIV, chap. 1, à la fin, la religion chrétienne est le premier bien.

6. Vie de Mahomet.
7. Comme à la Chine.

8. Medecine statique, sect. 111, aphorisme 23.

défendue dans les climats où l'on est sujet à ces maladies, comme celui de la Palestine, de l'Arabie, de l'Egypte et de la Libye.

CHAPITRE XXVI

Continuation du même sujet.

M. Chardin dit qu'il n'y a point de fleuve navigable en Perse, si ce n'est le fleuve Kur, qui est aux extrémités de l'empire. L'ancienne loi des Guèbres, qui défendoit de naviguer sur les fleuves, n'avoit donc aucun inconvénient dans leur pays; mais elle auroit ruiné le commerce dans un autre.

Les continuelles lotions sont très en usage dans les climats chauds. Cela fait que la loi mahométane et la religion indienne les ordonnent. C'est un acte très-méritoire aux Indes de prier Dieu dans l'eau courante 2; mais comment exécuter ces choses dans d'autres climats?

Lorsque la religion fondée sur le climat a trop choqué le climat d'un autre pays, elle n'a pu s'y établir; et quand on l'y a introduite, elle en a été chassée. Il semble, humainement parlant, que ce soit le climat qui a prescrit des bornes à la religion chrétienne et à la religion mahométane.

Il suit de là qu'il est presque toujours, convenable qu'une religion ait des dogmes particuliers et un culte général. Dans les lois qui concernent les pratiques de culte, il faut peu de détails; par exemple, des mortifications, et non pas une certaine mortification. Le christianisme est plein de bon sens : l'abstinence est de droit divin; mais une abstinence particulière est de droit de police, et on peut la changer.

LIVRE VINGT-CINQUIÈME

DES LOIS DANS LE RAPPORT QU'ELLES ONT AVEC L'ÉTABLISSEMENT DE LA RELIGION DE CHAQUE PAYS ET SA POLICE EXTÉRIEURE.

CHAPITRE PREMIER

Du sentiment pour la religion.

L'homme pieux et l'athée parlent toujours de religion : l'un parle de ce qu'il aime, et l'autre de ce qu'il craint.

1. Voyage de Perse, tom. II.

2. Voyage de Bernier, tom. II.

CHAPITRE II

Du motif d'attachement pour les diverses religions.

Les diverses religions du monde ne donnent pas à ceux qui les professent des motifs égaux d'attachement pour elles : cela dépend beaucoup de la manière dont elles se concilient avec la façon de penser et de sentir des hommes.

Nous sommes extrêmement portés à l'idolâtrie, et cependant nous ne sommes pas fort attachés aux religions idolâtres; nous ne sommes guère portés aux idées spirituelles, et cependant nous sommes très-attachés aux religions qui nous font adorer un être spirituel. C'est un sentiment heureux qui vient en partie de la satisfaction que nous trouvons en nous-mêmes d'avoir été assez intelligents pour avoir choisi une religion qui tire la divinité de l'humiliation où les autres l'avoient mise. Nous regardons l'idolâtrie comme la religion des peuples grossiers, et la religion qui a pour objet un être spirituel, comme celle des peuples éclairés.

Quand, avec l'idée d'un être spirituel suprême qui forme le dogme, nous pouvons joindre encore des idées sensibles qui entrent dans le culte, cela nous donne un grand attachement pour la religion, parce que les motifs dont nous venons de parler se trouvent joints à notre penchant naturel pour les choses sensibles. Aussi les catholiques, qui ont plus de cette sorte de culte que les protestants, sont-ils plus invinciblement attachés à leur religion que les protestants ne le sont à la leur, et plus zélés pour sa propagation.

Lorsque le peuple d'Ephèse eut appris que les Pères du concile avoient décidé qu'on pouvoit appeler la Vierge mère de Dieu, il fut transporté de joie, il baisoit les mains des évêques, il embrassoit leurs genoux; tout retentissoit d'acclamations1.

Quand une religion intellectuelle nous donne encore l'idée d'un choix fait par la divinité, et d'une distinction de ceux qui la professent d'avec ceux qui ne la professent pas, cela nous attache beaucoup à cette religion. Les Mahométans ne seroient pas si bons musulmans, si d'un côté il n'y avoit pas de peuples idolâtres qui leur font penser qu'ils sont les vengeurs de l'unité de Dieu, et de l'autre des chrétiens pour leur faire croire qu'ils sont l'objet de ses préférences.

Une religion chargée de beaucoup de pratiques 2 attache

1. Lettre de saint Cyrille.

2. Ceci n'est point contradictoire avec ce que j'ai dit au chapitre pénultième du

livre précédent : ici je parle des motifs d'attachement pour une religion; et là, des moyens de la rendre plus générale.

plus à elle qu'un autre qui l'est moins; on tient beaucoup aux choses dont on est continuellement occupé : témoin l'obstination tenace des Mahométans et des Juifs, et la facilité qu'ont de changer de religion les peuples barbares et sauvages qui, uniquement occupés de la chasse ou de la guerre, ne se chargent guère de pratiques religieuses 1.

Les hommes sont extrêmement portés à espérer et à craindre, et une religion qui n'auroit ni enfer, ni paradis, ne sauroit guère leur plaire. Cela se prouve par la facilité qu'ont eue les religions étrangères à s'établir au Japon, et le zèle et l'amour avec lesquelles on les y a reçues 2.

Pour qu'une religion attache, il faut qu'elle ait une morale pure. Les hommes, fripons en détail, sont en gros de trèshonnêtes gens; ils aiment la morale; et si je ne traitois pas un sujet si grave, je dirois que cela se voit admirablement bien sur les théâtres on est sûr de plaire au peuple par les sentiments que la morale avoue, et on est sûr de le choquer par ceux qu'elle réprouve.

Lorsque le culte extérieur a une grande magnificence, cela nous flatte, et nous donne beaucoup d'attachement pour la religion. Les richesses des temples et celles du clergé nous affectent beaucoup. Ainsi la misère même des peuples est un motif qui les attache à cette religion qui a servi de prétexte à ceux qui ont causé leur misère.

CHAPITRE III

Des temples.

Presque tous les peuples policés habitent dans des maisons. De là est venu naturellement l'idée de bâtir à Dieu une maison où ils puissent l'adorer, et l'aller chercher dans leurs craintes ou leurs espérances 3.

En effet, rien n'est plus consolant pour les hommes qu'un lieu où ils trouvent la divinité plus présente, et où tous ensemble ils font parler leur foiblesse et leur misère.

Mais cette idée si naturelle ne vient qu'aux peuples qui cultivent les terres; et on ne verra pas bâtir des temples chez ceux qui n'ont pas de maisons eux-mêmes.

1. Cela se remarque par toute la terre. Voyez, sur les Turcs, les missions du Levant; le Recueil des Voyages qui ont servi à l'établissement de la compagnie des Indes, t. III, part. I, p. 201, sur les Maures de Batavia; et le P. La bat, sur les nègres mahométans, etc.

2. La religion chrétienne et les reli

gions des Indes: celles-ci ont un enfer et un paradis, au lieu que la religion des Sintos n'en a point.

3. Dans le christianisme, il y eut ces raisons particulières que la célébration des mystères y fut fréquente, et qu'on ne la permit que dans le temples. (Chabrit, de la Mon. franç., liv. I, ch. xv. (P.)

C'est ce qui fit que Gengiskan marqua un si grand mépris pour les mosquées1. Ce prince interrogea les Mahometans; il approuva tous leurs dogmes, excepté celui qui porte la nécessité d'aller à la Mecque il ne pouvoit comprendre qu'on ne pût pas adorer Dieu partout. Les Tartares n'habitaient point de maisons, ne connoissoient point de temples.

Les peuples qui n'ont point de temples ont peu d'attachement pour leur religion : voilà pourquoi les Tartares ont été de tout temps si tolérants; pourquoi les peuples barbares qui conquirent l'empire romain ne balancèrent pas un moment à embrasser le christianisme; pourquoi les sauvages de l'Amérique sont si peu attachés à leur propre religion, et pourquoi, depuis que nos missionnaires leur ont fait bàtir au Paraguay des églises, ils sont si fort zélés pour la nôtre.

Comme la divinité est le refuge des malheureux, et qu'il n'y a pas de gens plus malheureux que les criminels, on a été naturellement porté à penser que les temples étoient un asile✦ pour eux; et cette idée parut encore plus naturelle chez les Grecs, où les meurtriers, chassés de leur ville et de la présence des hommes, sembloient n'avoir plus de maisons que les temples, ni d'autres protecteurs que les dieux.

Ceci ne regarda d'abord que les homicides involontaires; mais, lorsqu'on y comprit les grands criminels, on tomba dans une contradiction grossière : s'ils avoient offensé les hommes, ils avoient à plus forte raison offensé les dieux.

Ces asiles se multiplièrent dans la Grèce. Les temples, dit Tacite, étoient remplis de débiteurs insolvables et d'esclaves méchants; les magistrats avoient de la peine à exercer la police; le peuple protégeoit les crimes des hommes, comme les cérémonies des dieux; le sénat fut obligé d'en retrancher un grand nombre.

Les lois de Moïse furent très-sages. Les homicides involontaires étoient innocents, mais ils devoient ètre ôtés de devant les yeux des parents du mort: il établit donc un asile pour

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impériale, les cuisines et les écuries da
roi; et ces derniers lieux-ci sont des
asiles partout, soit à la ville, soit à la
campagne. Le roi seul en peut tirer, ou
son ordre spécial; mais quand le roi
donne cet ordre, ce n'est pas directe-
ment, mais en défendant de porter à
manger au fugitif dans le lieu où il est :
ce qui le réduit enfin à en sortir. (Char-
din, Voyage en Perse, tom. II, pag. 31,
edition d'Amst., 1755, in-40.) (P.)
5. Annales, liv. III.

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