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CHAPITRE XIII

De la jalousie.

Il faut bien distinguer, chez les peuples, la jalousie de passion d'avec la jalousie de coutume, de mœurs, de lois. L'une est une fièvre ardente qui dévore; l'autre, froide, mais quelquefois terrible, peut s'allier avec l'indifférence et le mépris.

L'une, qui est un abus de l'amour, tire sa naissance de l'a-mour même. L'autre tient uniquement aux mœurs, aux manières de la nation, aux lois du pays, à la morale, et quelquefois même à la religion.

Elle est presque toujours l'effet de la force physique du climat, et elle est le remède de cette force physique.

CHAPITRE XIV

Du gouvernement de la maison en Orient.

On change si souvent de femmes en Orient qu'elles ne peuvent avoir le gouvernement domestique. On en charge donc les eunuques, on leur remet toutes les clefs, et ils ont la disposition des affaires de la maison1.

«En Perse, dit M. Chardin, on donne aux femmes leurs ha<< bits, comme on feroit à des enfants 2. » Ainsi ce soin qui semble leur convenir si bien, ce soin, qui partout ailleurs est le premier de leurs soins, ne les regarde pas.

CHAPITRE XV.

Du divorce et de la répudiation.

Il y a cette différence entre le divorce et la répudiation, que le divorce se fait par un consentement mutuel à l'occasion d'une incompatibilité mutuelle; au lieu que la répudiation se

1. Ceci n'est point exact. Les eunugues ne sont que pour la garde des femmes, pour les servir, et pour toutes les affaires du dehors, auxquelles des femmes presque toujours enfermées ne peuvent vaquer. Mais le gouvernement intérieur et domestique leur appartient, et les eunuques ne s'en mêlent pas. (Guys, Lettres sur la Grèce, no xxx.)

2. Les Persans disent que les femmes ne servent qu'à la génération; et ils n'en font aucun cas pour leur adresse, pour leur esprit et pour leur application à toutes sortes d'ouvrages: aussi ne se mêlent-elles communément de rien. pas même du ménage. Elles passent

leur vie dans la nonchalance, l'oisiveté et la mollesse, étant tout le jour occupées, ou à se faire frotter par de petites esclaves, ce qui est une des plus grandes voluptés des Asiatiques; ou à fumer le tabac du pays, qui est si doux que l'on en peut prendre du matin au soir sans en être incommodé; les moins vicieuses s'appliquent à des ouvrages à l'aiguille, qu'elles font très-bien on leur donne leur nourriture tout apprêtée, et quelquefois leurs habits tout faits, comme on feroit à des enfants. (Chardin, Voyage en Perse, descript. du Gouv., chap. XIL.) (P.)

fait par la volonté et par l'avantage d'une des deux parties, indépendamment de la volonté et de l'avantage de l'autre.

Il est quelquefois si nécessaire aux femmes de répudier, et il leur est toujours si fâcheux de le faire que la loi est dure, qui donne ce droit aux hommes sans le donner aux femmes. Un mari est le maître de la maison: il a mille moyens de tenir ou remettre ses femmes dans le devoir; et il semble que, dans ses mains, la répudiation ne soit qu'un nouvel abus de sa puissance. Mais une femme qui répudie n'exerce qu'un triste remède. C'est toujours un grand malheur pour elle d'être contrainte d'aller chercher un second mari, lorsqu'elle a perdu la plupart de ses agréments chez un autre. C'est un des avantages des charmes de la jeunesse dans les femmes que, dans un âge avancé, un mari se porte à la bienveillance par le souvenir de ses plaisirs.

C'est donc une règle générale que, dans tous les pays où la loi accorde aux hommes la faculté de répudier, elle doit aussi l'accorder aux femmes. Il y a plus dans les climats où les femmes vivent sous un esclavage domestique, il semble que la loi doive permettre aux femmes la répudiation, et aux maris seulement le divorce.

Lorsque les femmes sont dans un sérail, le mari ne peut répudier pour cause d'incompatibilité de mœurs : c'est la faute du mari, si les mœurs sont incompatibles.

La répudiation pour raison de la stérilité de la femme ne sauroit avoir lieu que dans le cas d'une femme unique1 : lorsque l'on a plusieurs femmes, cette raison n'est, pour le mari, d'aucune importance.

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La loi des Maldives2 permet de reprendre une femme qu'on a répudiée. La loi du Mexique défendoit de se réunir, sous peine de la vie. La loi du Mexique étoit plus sensée que celle des Maldives dans le temps même de la dissolution, elle songeoit à l'éternité du mariage; au lieu que la loi des Maldives semble se jouer également du mariage et de la répudiation.

La loi du Mexique n'accordoit que le divorce. C'étoit une nouvelle raison pour ne point permettre à des gens qui s'étoient volontairement séparés de se réunir. La répudiation semble plutôt tenir à la promptitude de l'esprit et à quelque passion de l'âme; le divorce semble être une affaire de conseil. que, dans ce cas il faut moins de dépenses.

1. Cela ne signifie pas que la répudiation pour raison de stérilité soit permise dans le christianisme.

2. Voyage de François Pirard. On la reprend plutôt qu'une autre, parce

3. Histoire de sa conquéte, par Solis, pag. 499.

Le divorce a ordinairement une grande utilité politique; et quant à l'utilité civile, il est établi pour le mari et pour la femme, et n'est pas toujours favorable aux enfants.

CHAPITRE XVI

De la répudiation et du divorce chez les Romains.

Romulus permit au mari de répudier sa femme, si elle avoit commis un adultère, préparé du poison, ou falsifié les clefs1. Il ne donna point aux femmes le droit de répudier leur mari. Plutarque appelle cette loi une loi très-dure.

Comme la loi d'Athènes 2 donnoit à la femme aussi bien qu'au mari la faculté de répudier, et que l'on voit que les femmes obtinrent ce droit chez les premiers Romains, nonobstant la loi de Romulus, il est clair que cette institution fut une de celles que les députés de Rome rapportèrent d'Athènes, et qu'elle fut mise dans les lois des douze tables.

Cicéron dit que les causes de répudiation venoient de la loi des douze tables. On ne peut donc pas douter que cette loi n'eût augmenté le nombre des causes de répudiation établies par Romulus.

La faculté du divorce fut encore une disposition, ou du moins une conséquence de la loi des douze tables. Car dès le moment que la femme ou le mari avoient séparément le droit de répudier, à plus forte raison pouvoient-ils se quitter de concert, et par une volonté mutuelle.

La loi ne demandoit point qu'on donnât des causes pour le divorce. C'est que, par la nature de la chose, il faut des causes pour la répudiation, et qu'il n'en faut point pour le divorce, parce que là où la loi établit des causes qui peuvent rompre le mariage, l'incompatibilité mutuelle est la plus forte de toutes.

Denys d'Halicarnasse 3, Valère Maxime, et Aulu-Gelle7, rapportent un fait qui ne me paroît pas vraisemblable. Ils disent que, quoiqu'on eût à Rome la faculté de répudier sa femme, on eut tant de respect pour les auspices que personne, pendant cinq cent vingt ans, n'usa de ce droit jusqu'à Carvilius Ruga, 1. Vie de Romulus. On croit que ce 4. Justinien changea cela, novel. 117, passage de Plutarque est altéré, et qu'il chap. x. faut lire παίδων, au lieu de κλείδων : alors il s'agiroit de supposition d'enfants, et non de falsification de clefs. (P.)

2. C'étoit une loi de Solon.

3. Mimam res suas sibi habere jussit, ex duodecim tabulis causam addidit. (Philip. II.)

5. Liv. II.

6. Liv. II, chap. I.

7. Liv. IV, chap. III.

8. Selon Denys d'Halicarnasse et Valère Maxime; et cinq cent vingt-trois, selon Aulu-Gelle. Aussi ne mettent-ils pas les mêmes consuls.

qui répudia la sienne pour cause de stérilité. Mais il suffit de connoître la nature de l'esprit humain pour sentir quel prodige ce seroit que, la loi donnant à tout un peuple un droit pareil, personne n'en usàt. Coriolan, partant pour son exil, conseilla1 à sa femme de se marier à un homme plus heureux que lui. Nous venons de voir que la loi des douze tables et les mœurs des Romains étendirent beaucoup la loi de Romulus. Pourquoi ces extensions, si l'on n'avoit jamais fait usage de la faculté de répudier? De plus, si les citoyens eurent un tel respect pour les auspices qu'ils ne répudièrent jamais, pourquoi les législateurs de Rome en eurent-ils moins? Comment la loi corrompit-elle sans cesse les mœurs?

2

En rapprochant deux passages de Plutarque, on verra disparoître le merveilleux du fait en question. La loi royale permettoit au mari de répudier dans les trois cas dont nous avons parlé. « Et elle vouloit, dit Plutarques, que celui qui ré<«< pudieroit dans d'autres cas fùt obligé de donner la moitié de « ses biens à sa femme, et que l'autre moitié fùt consacrée à « Cérès. » On pouvoit donc répudier dans tous les cas, en se soumettant à la peine. Personne ne le fit avant Carvilius Ruga, qui, comme dit encore Plutarque", « répudia sa femme pour «< cause de stérilité, deux cent trente ans après Romulus; » c'est-à-dire qu'il la répudia soixante et onze ans avant la loi des douze tables, qui étendit le pouvoir de répudier et les causes de répudiation.

Les auteurs que j'ai cités disent que Carvilius Ruga aimoit sa femme; mais qu'à cause de sa stérilité les censeurs lui firent faire serment qu'il la répudieroit, afin qu'il pùt donner des enfants à la république; et que cela le rendit odieux au peuple. Il faut connoître le génie du peuple romain, pour découvrir la vraie cause de la haine qu'il conçut pour Carvilius. Ce n'est point parce que Carvilius répudia sa femme qu'il tomba dans la disgrace du peuple; c'est une chose dont le peuple ne s'embarrassoit pas 6. Mais Carvilius avoit fait un serment aux censeurs, qu'attendu la stérilité de sa femme, il la répudieroit pour donner des enfants à la république. C'étoit

1. Voyez le discours de Véturie, dans Denys d'Halicarnasse, liv. VIII.

2. Plutarque, Vie de Romulus. 3. Ibid.

4. Dans la comparaison de Thésée et de Romulus.

5. Avant la loi des douze tables, il n'y avoit point de censeurs; leur création est postérieure de quelques années aux décemvirs. (Crév.)

6. Valère Maxime dit cependant que Carvilius Ruga fut blàmé, parce qu'on ne pensoit pas que le désir d'avoir des enfants dit l'emporter sur la foi conjugale. Qui quenquam tolerabili ratione motus videbatur. reprehensione tamen non caruit: quia nec cupiditatem quidem liberorum conjugali fidei præponi debuisse arbitrabantur. (Lib. II, cap. 1.) (P.)

un joug que le peuple voyoit que les censeurs alloient mettre sur lui. Je ferai voir dans la suite de cet ouvrage les répugnances qu'il eut toujours pour des règlements pareils. Mais d'où peut venir une telle contradiction entre ces auteurs? Le voici Plutarque a examiné un fait, et les autres ont raconté une merveille.

LIVRE DIX-SEPTIÈME

COMMENT LES LOIS DE LA SERVITUDE POLITIQUE ONT DU RAPPORT AVEC LA NATURE DU CLIMAT.

CHAPITRE PREMIER

De la servitude politique.

La servitude politique ne dépend pas moins de la nature du climat, que la civile et la domestique, comme on va le faire voir.

CHAPITRE II

Différence des peuples par rapport au courage.

Nous avons déjà dit que la grande chaleur énervoit la force et le courage des hommes, et qu'il y avoit dans les climats froids une certaine force de corps et d'esprit qui rendoit les hommes capables des actions longues, pénibles, grandes et hardies. Cela se remarque non-seulement de nation à nation, mais encore dans le même pays, d'une partie à une autre. Les peuples du nord de la Chine2 sont plus courageux que ceux du midi; les peuples du midi de la Coree3 ne te sont pas tant que ceux du nord.

Il ne faut donc pas être étonné que la làcheté des peuples des climats chauds les ait presque toujours rendus esclaves, et que le courage des peuples des climats froids les ait maintenus libres. C'est un effet qui dérive de sa cause naturelle.

Ceci s'est encore trouvé vrai dans l'Amérique les empires despotiques du Mexique et du Perou étoient vers la ligne, et presque tous les petits peuples libres étoient et sont encore vers les pôles.

1. Au liv. XXIII, chap. XXI. 2. Le P. Duhalde, t. I, p. 112.

3. Les livres chinois le disent ainsi. Ibid., tome IV, pag. 448.

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