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Mais l'avis d'Hélénus, qui long-temps nous parla
Des gouffres de Carybde et des rocs de Scylla,
Revient à notre esprit; nous craignons cette route,
Où, contraint d'affronter les monstres qu'il redoute,
Le matelot prudent en son cours hasardeux,

Doit, fuyant les deux bords, les éviter tous deux.
Chacun de nous vouloit retourner sur sa trace,
Quand, des rocs de Pélore, un des vents de la Thrace,
De sa puissante haleine emporte les nochers
Aux lieux où le Pantage, à travers des rochers,
S'élance dans les mers au golfe de Mégare.
Aux plaines de Thétis aucun détour n'égare
Nos vaisseaux que ce Grec, par nos soins secouru,
Conduit vers chaque bord qu'il avoit parcouru :
Des jeux de la fortune, incroyable caprice!
Le guide des Troyens est un soldat d'Ulysse!

En face de Plemmyre, assailli par les mers,
Une île est élevée au sein des flots amers.
Ortygie est le nom qu'elle eut aux premiers âges;
Ce nom lui reste encor. C'est sur ses beaux rivages
Qu'Alphée, amant fidèle, et voyageur heureux,
Suivant secrètement son penchant amoureux,

Jussi numina magna loci veneramur ; et inde
Exsupero præpingue solum stagnantis Helori.
Hinc altas cautes projectaque saxa Pachyni
Radimus; et fatis numquam concessa moveri
Apparet Camarina procul, campique Geloi,
Immanisque Gela, fluvii cognomine dicta.
Arduus inde Agragas ostentat maxima longè
Monia, magnanimûm quondam generator equorum.
Teque datis linquo ventis, palmosa Selinus:
Et vada dura lego saxis Lilybeïa cæcis.

Et quittant sans regret l'Élide sa patrie,

Se glissoit sous les mers vers sa nymphe chérie;

Tous deux au même lit murmuroient leurs

amours;

Tous deux dans la même onde alloient finir leur cours:

Leurs berceaux sont divers, leurs tombeaux sont les mêmes.
J'adore de ces lieux les puissances suprêmes.
Je passe ces rochers qu'élève dans les airs
Pachinum, dont le pied s'avance au sein des mers.
Je rase de plus près les campagnes fangeuses,
Qu'engraissent d'Hélorus les eaux marécageuses.
Plus loin, c'est Camarine, à qui l'ordre des cieux
Défend de déplacer et son peuple et ses dieux;
Et le riche Gélas, arrosant de ses ondes,
La ville de son nom, et ses plaines fécondes.
J'avance, et d'Agragas je vois de loin les tours;
Agragas, dont les prés, dans de plus heureux jours,
En foule nourrissoient, de leurs fécondes herbes,
Les troupeaux florissans de ces coursiers superbes
Qui, dans les champs de Mars, emportoient les guerriers.
Je te passe à ton tour, ô terre des palmiers!
Heureuse Sélinos! et vous, rochers terribles,
Que l'affreux Lilybée en pièges invisibles,

Hinc Drepani me portus et illætabilis ora Accipit. Hic, pelagi tot tempestatibus actus, Heu! genitorem, omnis curæ casûsque levamen, Amitto Anchisen: hîc me, pater optime, fessum Deseris, heu! tantis nequidquam erepte periclis ! Nec vates Helenus, quùm multa horrenda moneret, Hos mihi prædixit luctus, non dira Celano. Hic labor extremns, longarum hæc meta viarum. Hinc me digressum vestris deus appulit oris.

Sic pater Æneas, intentis omnibus, unus Fata renarrabat divûm, cursusque docebat. Conticuit tandem, factoque hîc fine quievit.

Sous sa perfide mer, déguise aux matelots.

De-là, rapidement emporté sur les flots, Drépane me reçoit ; le malheureux Drépane, Où le sort aux regrets pour jamais me condamne. Là, périt mon vieux père après tant de travaux, Anchise, mon seul bien, seul espoir de mes maux. Là, tu laisses ton fils, ô père vénérable! Au moment où me rit un sort plus favorable! Sauvé de tant d'écueils, tu péris dans le port. Ah! le sage Hélénus, interprête du sort, Des oracles divins les terribles ministres, L'horrible Céléno, ses menaces sinistres Qui m'annoncoient du sort tant d'effroyables coups, Ne m'avoient pas prédit le plus cruel de tous. Là, cessent mes travaux. De ce triste rivage, Enfin, des dieux plus doux m'ont porté dans Carthage...: Ainsi parloit Énée. Enfin, de son discours Le besoin du repos vint arrêter le cours; Chacun part à regret, et grave en sa mémoire Les récits du héros, ses malheurs et sa gloire.

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