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PRÉCIS HISTORIQUE

ET LITTÉRAIRE

SUR VIRGILE.

MARTIAL a dit: Sint Mecenates, non deerunt, Flacce, Marones. « Qu'il existe des Mécènes, nous ne manquerons >> pas de Virgiles. » Sans donner à cette idée poétique et peut-être intéressée plus de valeur et de confiance qu'elle n'en mérite, il est certain que l'heureux concours de circonstances qui fit naître à la même époque, Auguste, Mécène, Pollion, Varus et Virgile, servit beaucoup à développer le génie de ce grand poète, celui de tous les auteurs qui a le plus honoré et embelli la langue latine, et dont les ouvrages, éternels modèles de bon goût, présentent à la fois le plus de sagesse dans leur conception, le plus d'élégance dans leur exécution, et souvent les idées les plus morales, comme les sentiments les plus nobles et les plus touchants. Ces titres justifient l'intérêt que doivent inspirer les moindres détails que l'on a pu recueillir sur la naissance, la vie, les ouvrages et la destinée de Virgile. L'histoire d'un per

sonnage célèbre est sa plus ressemblante image; c'est en effet, comme le dit Plutarque, dans les particularités les plus petites et les plus communes de la vie et de la fortune d'un homme, que l'on peut retrouver les causes qui ont déterminé la tournure de son esprit et le genre de ses travaux.

Publius Virgilius Maron naquit le quinzième jour d'octobre, l'an de Rome 684, sous le consulat de Pompée et de Crassus, dans un petit village aujourd'hui connu sous le nom de Pétula, autrefois nommé Andes, et très-proche de Mantoue, capitale de la nouvelle Étrurie, ville plus ancienne de trois cents ans que Rome, au rapport même de Virgile, suivant ces vers du dixième livre de l'Eneide.

Ille etiam patriis agmen ciet Ocnus ab oris,
Fatidicæ Mantûs et Tusci filius amnis:

Qui muros, matrisque dedit tibi, Mantua, nomen;
Mantua dives avis, etc.

» Ocnus, le fier Ocnus, quitte aussi sa patrie.

» La prêtresse Manto, du fleuve d'Étrurie

» Eut cet enfant divin, et lui-même, dit-on,

» De sa mère, à Mantoue a donné le beau nom,

>> Mantoue, ouvrage heureux de plus d'un chef illustre. »

(DELILLE.)

Il rappelle également et constate le lieu de sa naissance dans le second livre des Géorgiques, par ce vers touchant :

Et qualem infelix amisit Mantua campum,

« Va dans ces prés ravis à ma chère Mantoue. »

(DELILLE.)

Les historiens sont peu d'accord sur la profession du père de Virgile. Les uns prétendent qu'il était fils d'un potier de terre; les autres, que son père était aux gages d'un certain Magus, messager public, qui, pour récompenser son industrie, le reçut dans sa famille et l'adopta pour gendre. Intéressé par son beau-père à l'exploitation de ses propriétés, il en augmenta si bien la valeur, que, de sa part dans leur produit, comme dans celui des troupeaux, et du profit de ses abeilles, il parvint à acheter des bois qui augmentèrent son aisance. On ajoute qu'il mourut aveugle après une longue vieillesse.

D'autres assurent que son père, nommé Vergilius, était le compagnon d'un astronome ambulant, qui se mêlait d'exercer la médecine ou plutôt l'astrologie, sciences alors inséparables, et pratiquées par un grand nombre de Grecs; ce qui ferait conjecturer que le père de Virgile pourrait avoir été de cette nation; le nom de Maron autoriserait cette idée, et permettrait de le croire issu de l'un des compagnons de Léonidas. On sait que parmi les trois cents Spartiates qui se sacrifièrent au passage des Thermopiles, on en compte un fort célèbre, qui portait le même nom le père de Virgile.

que

Sa mère s'appelait Maïa; elle était de famille patricienne, et parente de Varus. Devenue veuve, elle eut un autre époux, et donna bientôt à Virgile un frère appelé Proculus. Quelques historiens assurent au contraire que Maron, père du poète, fut le second mari de sa mère. Le seul fait şur lequel il n'y a point d'incertitude, c'est que Virgile na

quit dans un séjour ainsi que dans une condition très obscurs comme si le sort eût pris plaisir à montrer le contraste le plus frappant entre son origine presqu'inconnue et l'éclat de sa renommée que le nombre des siècles agrandit encore, loin de l'avoir affaiblie.

On ne peut s'occuper des récits fabuleux qui nous sont parvenus sur la naissance de Virgile, que pour faire sentir le rapport singulièrement remarquable qui existe entre Homère et lui, comine il s'en trouve dans les sujets de leurs poëmes. Homère est né dans l'indigence; les parents de Virgile étaient également pauvres. L'un vit le jour au bord d'une rivière ; l'autre dans un fossé. Un peuplier prit racine au lieu même où Virgile naquit, et l'on attribuait à cet arbre des vertus surnaturelles; Hérodote nous apprend qu'Homère eut également son peuplier qu'on visitait avec beaucoup de vénération. A ne considérer que ces conformités, on se persuaderait, si on y attachait quelque croyance, que les mêmes astres influèrent sur la naissance de l'un et de l'autre, et produisirent un même résultat. Mais tout ce qu'il y a de vraisemblable dans ces inventions de l'antiquité, c'est que les historiens latins crurent convenable de répéter, d'après Hérodote, ce qui pouvait donner une apparence de merveilleux à la chronique imaginaire de leur compatriote.

Il paraît constant que Virgile reçut une éducation soignée, et qu'il annonça de bonne heure autant de goût pour l'étude, que d'heureuses dispositions à s'instruire. On l'envoya dès l'âge de douze ans à Crémone; il y resta jusqu'à sa seizième année. Il se rendit alors à Milan, et ensuite à

Naples où la philosophie et les belles-lettres avaient des écoles et des maîtres renommés. Virgile y perfectionna son instruction, et donna beaucoup de soins à l'étude des meilleurs auteurs de la Grèce et de Rome. Le voisinage de Marseille lui facilita la connaissance des premiers, car cette ville déjà fameuse à cette époque, et célèbre également aujourd'hui par son goût reconnu pour les arts et les lettres, conservait alors toute la pureté de l'harmonieux langage de la Grèce, au milieu des nations barbares dont elle était environnée.

La physique et les mathématiques furent en même temps les sciences favorites de Virgile, et captivèrent principalement son application. Ce fut à ce genre d'étude qu'il dut cette régularité de pensée, cette justesse d'expression, cet ordre enfin dans la conduite de ses sujets, qui font le caractère particulier de son talent. Il s'attacha d'abord à la philosophie d'Épicure, dans l'école de Scyron cité deux fois dans les ouvrages de Cicéron qui fait également l'éloge de son savoir et de sa vertu.

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C'est dans l'école de ce philosophe, pour qui Virgile conserva une estime et une affection constantes et près duquel on le verra chercher un asile dans les troubles de sa patrie, que commença la liaison de ce grand poète avec Varus, alors son compagnon d'étude. Le goût des vers les unissait plus étroitement encore; on assure même que par une suite de son attachement pour Varus, Virgile voulut qu'il se fit honneur d'une tragédie qu'il avait composée, et que cette complaisance de l'amitié fut la première cause qui

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