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administration relative au territoire doit être on ne peut pas plus facile à remplir par ceux qui sont sur les lieux. Les objets qui peuvent la concerner sont :

1° De répartir les impositions;

2o D'aviser aux ouvrages publics, et aux chemins vicinaux spécialement nécessaires au village;

3o De veiller à la police des pauvres et à leur soulagement;

4o De savoir quelles sont les relations de la communauté avec les autres villages voisins et avec les grands travaux publics de l'arrondissement, et de porter à cet égard le vœu de la paroisse à l'autorité supérieure qui peut en décider.

Ces points, indispensables pour que les affaires de chaque village soient bien faites, ne sauraient être remplis par les syndics actuels qui n'ont aucune autorité, ni par les subdélégués, qui ont chacun un trop grand nombre de villages sous leur juridiction pour les connaître bien en détail1. Les commissaires aux tailles et les contrôleurs des vingtièmes, indépendamment de ce qu'ils ont aussi un assez grand arrondissement, sont dans le cas d'être trompés par les fausses déclarations et par l'intérêt général que tout le monde a de les induire en erreur relativement aux impositions. Ils n'ont aucun titre, ni droit, ni intérêt pour se mêler des chemins, ni de la police, ni des secours que réclame l'indigence.

D'ailleurs, ils annonçent toujours le gouvernement comme exigeant, comme la partie adverse de chacun 2, au au lieu qu'une administration, prise sur le lieu même, pour la répartition de l'impôt, serait la partie de ses propres concitoyens ; et s'il s'élevait des différends, l'au

Les syndics, dans le midi de la France étaient des magistrats chargés de défendre les intérêts des villes. -- Pour la perception des tailles, on avait primitivement fait élire des commissaires par les Etats (d'où leur nom d'élus); puis ils avaient été transformés en fonctionnaires royaux, délégués et subdélégués.

C'est-à-dire que, représenté par eux, le gouvernement paraît être l'ennemi des citoyens. On sait qu'en langage de jurisprudence, on désigne par parties, dans un procès, les adversaires en présence ou bien ceux qui les représentent.

torité souveraine n'aurait à y paraître que comme juge et protectrice de tous.

La nécessité de former cette administration de village, qui peut soulager votre gouvernement, Sire, d'une fonction que le peuple regarde comme odieuse, et pourvoir en même temps aux besoins spéciaux de chaque lieu, me semble donc très clairement établie par l'exposition même de la chose...

[Turgot explique ensuite que du sein des municipalités villageoises, à côté desquelles existeraient d'ailleurs des municipalités urbaines, on tirerait les municipalités du second degré, ou municipalités des districts, lesquelles enverraient à leur tour des députés aux municipalités du troisième degré ou assemblées provinciales. L'édifice serait enfin couronné par l'établissement de la grande municipalité, ou municipalité royale.]

La municipalité générale serait composée d'un député de chaque assemblée provinciale, auquel on permettrait d'avoir un adjoint pour le suppléer en cas de maladie et le seconder dans son travail de cabinet. Les adjoints pourraient assister aux assemblées comme spectateurs, mais n'y auraient ni séance, ni voix.

Tous vos ministres, au contraire, auraient l'une et l'autre; et Votre Majesté pourrait honorer quelquefois l'assemblée de sa présence, assister aux délibérations, ou déclarer sa volonté.

Ce serait dans cette assemblée qu'on ferait le partage des impositions entre les diverses provinces, et qu'on arrêterait les dépenses à faire, soit pour les grands travaux publics, soit pour les secours à donner aux provinces qui auraient essuyé des calamités, ou qui proposeraient des entreprises qu'elles ne seraient pas assez opulentes pour achever.

Par rapport à ces différents objets, Votre Majesté déclarerait, à l'ouverture de l'assemblée, ou ferait déclarer par son ministre des finances, les sommes dont elle aurait besoin, et qui devraient être imposées sur la totalité des provinces pour l'acquittement des dépenses de l'État. Elle y comprendrait la valeur des travaux publics

qu'elle aurait jugé à propos d'ordonner, et laisserait ensuite l'assemblée parfaitement libre de décréter à la pluralité des voix tels autres travaux publics qu'elle trouverait convenable, et d'accorder aux provinces qui les solliciteraient, tels secours ou tels soulagements qu'elle voudrait, à la charge d'en faire la répartition au marc la livre des autres impositions sur le reste du royaume... Ces assemblées auraient tous les avantages des assemblées d'États2 et n'auraient aucun de leurs inconvénients, ni la confusion, ni les intrigues, ni l'esprit de corps, ni les animosités et les préjugés d'ordre à ordre.

Ne donnant ni lieu ni prise à ce qu'il y a de fâcheux dans ces divisions d'ordres, n'y laissant que ce qu'il peut y avoir d'honorifique pour les familles illustres ou pour les emplois respectables, et classant les citoyens en raison de l'utilité réelle dont ils peuvent être à l'État, et de la place qu'ils occupent indélébilement sur le sol par leurs propriétés 3, elles conduiraient à ne faire de la nation qu'un seul corps, perpétuellement animé par un seul objet, la conservation des droits de chacun et le bien public.

Elles accoutumeraient la noblesse et le clergé au remplacement des impositions dont ils ne sont pas exempts aujourd'hui, et à un remplacement dont la charge serait moins lourde que celles qui retombent sur le revenu de leurs biens. Elles donneraient pour ce remplacement des règles de répartition équitables et sûres.

Par les lumières et la justice qu'elles apporteraient dans la répartition, elles rendraient l'impôt moins oné

Le marc est un poids de 8 onces et l'expression au marc la livre était primitivement employée en parlant des poids. Dans la suite il s'est produit une confusion entre les deux sens du mot livre (poids et monnaie). On dit aujourd'hui au marc le franc, ou au centime le franc.

Cette expression signifie qu'il sera fait une répartition proportionnelle d'une somme donnée, de façon que chacun aura à payer ou à recevoir en raison de la somme totale qu'il doit ou possède.

Les États généraux, où l'on discute et vote par ordre.

3 Car Turgot a indiqué que la représentation serait proportionnelle à la propriété foncière. C'est l'idée un peu étroite des physiocrates qui reparaît ici.

reux au peuple, quoique sa recette fùt augmentée 1. Elles fourniraient par l'amélioration de cette recette les moyens de soulager les dernières classes, de supprimer par degrés les impositions spéciales au tiers état, et même à la noblesse, d'établir une seule contribution uniforme pour tous les revenus.

Alors peut-être deviendrait-il possible d'exécuter ce qui a paru chimérique jusqu'à présent, de mettre l'État dans une société complète, proportionnelle et visible d'intérêt avec tous les propriétaires tellement que le revenu public ordinaire, étant une portion déterminée des revenus particuliers, s'accrût avec eux par les soins d'une bonne administration, ou diminuât comme eux si le royaume devenait mal gouverné.

1 Par la suppression des intermédiaires et de leur obscur trafic. 2 C'est l'idée chère à Turgot, toujours ennemi de l'inégalité.

(Ibid.)

ÉCRIVAINS.

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RAYNAL
(1713-1796).

Né à Saint-Geniez en Rouergue, élevé au collège des Jésuites de Pézenas, ordonné prêtre, Guillaume Thomas François Raynal fut en 1747 attaché comme desservant à Saint-Sulpice, d'où on le renvoya bientôt, nous ignorons encore aujourd'hui pour quelle raison.

Il se fit alors connaître dans le monde des lettres et des philosophes sous le nom d'abbé Raynal, fut l'hôte de Mme Geoffrin, d'Helvétius et d'Holbach. Sa facilité lui permit de vivre aisément de sa plume. Il donna des articles au Mercure de France, et publia, en 1748, son Histoire du Stathoudérat, sorte de pamphlet sous forme historique dirigé contre la maison d'Orange; la même année, une Histoire du Parlement d'Angleterre; en 1750 des Anecdotes littéraires, etc.

Le grand ouvrage de sa vie, pour lequel il mit d'ailleurs à contribution ses amis, notamment d'Holbach et Diderot qui lui fournirent quelques tirades éloquentes, fut l'Histoire philosophique et politique des établissements et du commerce des Européens dans les deux Indes, parue en 1770. Cette « histoire » est constamment coupée de déclamations contre la religion, les moines, l'Inquisition, le despotisme, l'esclavage, etc. Cet indigeste « livre à tiroirs >> eut un immense succès. Le gouvernement s'en émut et un arrêt du conseil interdit l'introduction de l'ouvrage en France. Raynal en prépara alors une édition considérablement augmentée et beaucoup plus hardie dont l'éditeur Stoupe ne fit que trois exemplaires, un pour lui, un pour l'auteur, un troisième destiné à Léonard Pellet, éditeur à Genève, qui s'en servit pour l'édition définitive en 5 volumes in-4o de 1780.

On voulut poursuivre Raynal; il s'enfuit à Spa. L'Histoire philosophique, condamnée par arrêt du 24 mai 1781, fut brûlée. L'auteur se rendit à Berlin, ou Frédéric II le reçut froidement, puis à Saint-Pétersbourg, où Catherine II l'accueillit mieux. En 1787, il fut autorisé à rentrer en France, mais non à Paris. Il s'installa à Toulon et fut élu député aux États généraux par

Lanson. Histoire de la Littérature française, p. 720.

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