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prendre aucune précaution pour l'avenir. Un tyran mort ou chassé est remplacé par un nouveau tyran, souvent plus implacable et plus méchant que le premier. Le vulgaire mécontent ne se conduit pas avec plus de sagacité que le chien qui s'en prend à la pierre qu'on lui jette, sans aller jusqu'au bras qui l'a lancée...

Non, ce n'est point par des convulsions dangereuses, ce n'est point par des combats, des régicides et des crimes inutiles que les plaies des nations pourront se refermer. Ces remèdes violents sont toujours plus cruels que les maux que l'on veut faire disparaître. C'est à l'aide de la vérité que l'on peut faire descendre Astrée 1 parmi les habitants de la terre. La voix de la raison n'est ni séditieuse, ni sanguinaire. Les réformes qu'elle propose, pour être lentes, n'en sont que mieux concertées. En s'éclairant, les hommes s'adoucissent; ils connaissent le prix de la paix; ils apprennent à tolérer les abus que, sans danger pour l'État, on ne peut anéantir d'un coup2. Si l'équité permet aux nations de mettre fin à leurs peines, elle défend au citoyen isolé de troubler la patrie, et lui ordonne de sacrifier son intérêt à celui de la société. C'est en rectifiant l'opinion, en combattant le préjugé, en faisant connaître aux princes et aux peuples le prix de l'équité, que la raison peut se promettre de guérir les maux du genre humain, et d'établir solidement le règne de la liberté.

(Système social : II, 11).

DU CHOIX DES REPRÉSENTANTS 3

Pour être fidèlement représentée, la nation choisira des citoyens liés à l'État par leurs possessions, interessés à

Astrée, déesse de la justice, qui habita la terre pendant l'âge d'or, souvent appelé pour cette raison siècle d'Astrée, et remonta dans l'Olympe lorsque le crime apparut parmi les hommes.

2 Il apparaît très nettement par ces déclarations que, bien que certainement hostile au régime monarchique contemporain, d'Holbach n'est pas du tout un révolutionnaire: il attend tout du progrès de la raison et des lumières.

3 D'Holbach vient d'examiner les gouvernements mixtes, c'est-à-dire «< ceux

sa conservation ainsi qu'au maintien de la liberté, sans laquelle il ne peut y avoir ni bonheur ni sùreté. En vain une société remettrait-elle son sort entre les mains d'hommes avares, vicieux, débauchés, sans conduite, sans lumières, sans probité, qui ne connaîtraient point les droits de l'équité; le peuple ne se trompe guère sur les hommes qu'il a sous les yeux. Quiconque a du mérite et des talents se fait bientôt connaître à ses concitoyens. Une nation doit choisir des gens de bien, si elle veut être tranquille sur ses intérêts.

Pour avoir des représentants dignes de stipuler les intérêts de la patrie, la vénalité, la corruption, la licence et la brigue doivent être rigoureusement bannies des élections; un peuple qui vend lâchement ses suffrages doit s'attendre à être lâchement revendu. La voie tranquille du scrutin doit être préférée à ces élections tumultueuses qui nécessairement font disparaître le sang-froid de la raison. Quels fruits peut-on se promettre de représentants élus au milieu de la crapule et dans des orgies aussi turbulentes que le festin des Centaures et des Lapithes?

Satisfaits du choix honorable de leurs concitoyens, ou, si l'on veut, du salaire fixé par la nation, les représentants s'engageront de la façon la plus solennelle à ne recevoir ni faveurs, ni pensions, ni grâces du trône, sous peine d'être déchus, par le fait, du droit de stipuler les

<< dans lesquels l'autorité souveraine est partagée et contrebalancée par des «< corps chargés de stipuler les intérêts de la société et de réclamer en son nom << contre les abus dont elle peut souffrir. Il a montré les dangers de cette forme de gouvernement, qui ne peut pas fonctionner longtemps sans que l'équilibre entre le souverain, les corps et la nation soit rompu. A cette occasion il est amené à dire ce qu'il pense du gouvernement représentatif en général, du suffrage universel et de la façon dont il devrait être organisé. On voit par ce morceau que d'Holbach serait partisan d'un suffrage tout à fait restreint, puisqu'il réduirait le corps électoral aux propriétaires fonciers.

Il s'agit du festin de noces de Pirithoüs, roi des Lapithes, dont les Centaures, excités par le dieu Mars, voulurent enlever la fiancée Hippodamie. Les assistants, parmi lesquels se trouvaient Nestor, Hercule, Thésée, firent un grand carnage de Centaures.

Tout ce passage est une allusion aux mœurs électorales et parlementaires des Anglais au XVIe siècle.

intérêts de leurs concitoyens. Que ceux-ci d'ailleurs se conservent le droit de révoquer les pouvoirs qu'ils trouveront avoir remis en des mains infidèles. N'est-il donc pas dans l'ordre que les représentants dépendent de leurs constituants, qui seuls doivent juger s'ils sont bien ou mal représentés?

Nul représentant d'un peuple ne doit être perpétuel, ni transmettre son droit à sa postérité. Les intérêts de tout homme sont sujets à varier: tout corps permanent se fait des droits et des intérêts à part. La naissance ne donne ni les talents, ni la sagesse, ni les vertus nécessaires pour remplir des fonctions desquelles dépend le bien-être d'une nation entière. Le mérite personnel doit conduire à cette magistrature honorable.

La faculté d'élire des représentants ne peut appartenir qu'à de vrais citoyens, c'est-à-dire à des hommes intéressés au bien du public, liés à la patrie par des possessions qui lui répondent de leur attachement. Ce droit n'est pas fait pour une populace désœuvrée, pour des vagabonds indigents, pour des àmes viles et mercenaires. Des hommes qui ne tiennent point à l'État ne sont pas faits pour choisir les administrateurs de l'État.

Par le mot peuple, on ne désigne point ici une populace imbécile, qui, privée de lumières et de bon sens, peut à chaque instant devenir l'instrument et le complice des démagogues turbulents qui voudraient troubler la société. Tout homme qui a de quoi subsister honnêtement du fruit de sa possession, tout père de famille qui a des terres dans un pays, doit être regardé comme citoyen. L'artisan, le marchand, le mercenaire doivent être protégés par l'État, qu'ils servent utilement à leur manière, mais ils n'en sont de vrais membres que lorsque, par leur travail et leur industrie, ils y ont acquis des biens-fonds1.

1 Cette idée vaut la peine d'ètre remarquée. Elle coïncide avec le développement des idées physiocratiques : les économistes avaient habitué leurs contemporains à considérer la terre comme la source unique des richesses. D'aut re part on sent une certaine défiance de l'auteur à l'égard des gens instables, comme les commerçants, qui ne sont pas fixés en un certain lieu, attachés à

C'est le sol, c'est la glèbe qui fait le citoyen. Un politique moderne a dit avec raison que la terre constitue la base physique et politique d'un État.

Une représentation sagement distribuée pourrait remédier aux inconvénients qui résultent de la trop grande étendue d'une nation. Dans ce cas, chaque province ou district pourrait avoir une assemblée de représentants ou d'états provinciaux établie dans chaque district, qui choisiraient quelques-uns de leurs membres ou députés pour se rendre à l'Assemblée nationale ou aux États généraux1. Ces états particuliers donneraient leurs instructions à leurs députés, et leur prescriraient la conduite qu'ils auraient à suivre d'après le vœu du district ou de la province.

Enfin les États ou représentants d'une nation doivent avoir le droit de s'assembler à volonté pour travailler aux affaires publiques, ou bien à des temps fixés, sans avoir besoin d'une convocation expresse. Ils doivent pareillement se séparer de leur plein gré. L'expérience nous montre que les princes, toujours ennemis des obstacles qui s'opposent à leurs volontés arbitraires, ne sont pas empressés à convoquer les représentants de leurs peuples; ou bien ils dissolvent leurs assemblées dès qu'ils prévoient ne pas pouvoir les amener à leurs vues.

(Ibid. II, IV.)

LE GOUVERNEMENT ET LES MOEURS PUBLIQUES

Un illustre moderne 2 semble accorder au climat une influence trop grande sur les institutions humaines. Quoiqu'on ne puisse pas nier que cette cause n'agisse d'une façon très marquée sur les hommes et ne contri

une certaine partie du sol. On retrouvera des défiances analogues chez les Constituants.

1 C'est un plan analogue à celui que proposera Turgot (Voy. les Extraits de Turgot).

2 Montesquieu (Voy. les Extraits de Montesquieu).

bue visiblement à plusieurs de leurs usages, de leurs lois, de leurs opinions, etc., il suffit pourtant d'ouvrir les yeux pour s'apercevoir que ce n'est pas le climat qui influe de la façon la plus forte sur les êtres de l'espèce humaine et sur leurs institutions. Ne voyons-nous pas le despotisme établir également son trône dans les sables. brûlants de la Libye, et dans les forêts glacées du septentrion; dans les plaines fertiles de l'Indoustan, et dans les déserts de la Scythie? Il est vrai que l'habitant énervé d'un pays chaud, dont le sol généreux lui fournit presque tous ses besoins sans culture, doit être plus mou, plus lâche, plus efféminé, et par conséquent plus disposé à recevoir des fers que l'habitant robuste d'un pays montueux ou d'une terre ingrate qui l'oblige à travailler; mais pourquoi voit-on l'Arabe vagabond éluder depuis tant de siècles le joug de l'esclavage qui, depuis des milliers d'années, accable le Persan, l'Égyptien et le Maure ses voisins? Le climat de l'Arabie differe-t-il donc beaucoup de celui de la Chaldée, de l'Assyrie, de Maroc? Le Tartare indompté habite-t-il une région plus favorable que le Sibérien? Est-il un mortel plus endurci à la fatigue, et pourtant plus esclave que le Russe, le Japonais et. le Turc? Ils bravent la mort avec courage, et cependant ils vivent dans les fers.

Mais sans aller chercher des exemples éloignés, ne voyons-nous pas le pays des Romains, des conquérants du monde, habité de nos jours par des esclaves qui rampent aux pieds d'un prêtre? Les Espagnols et les Portugais, engourdis aujourd'hui dans l'esclavage, la paresse et la misère, n'occupent-ils donc pas les contrées qui furent jadis cultivées par des Ibériens et des Lusitaniens remplis de courage et d'activité? Enfin le climat, le soleil, la terre ont-ils changé pour ces Grecs qui, descendus des défenseurs les plus généreux de la liberté, tremblent aujourd'hui à la vue d'un janissaire ??

2

1 On sait quelles difficultés Rome éprouva à dompter les peuples de la péninsule Ibérique.

Les janissaires composaient la milice turque on les recrutait d'ordinaire

ÉCRIVAINS.

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