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D'HOLBACH
(1723-1789)

Paul Henri Dietrich, baron d'Holbach, né à Heidelsheim (duché de Bade), vint de bonne heure à Paris, où il se présenta comme un Mécène; il devint le «maître d'hôtel de la philosophie », puis lui-même philosophe. Il se fit probablement aider dans la rédaction de sès ouvrages, notamment par Diderot. Il se distinguait par une connaissance assez approfondie des sciences naturelles, qu'il s'efforça de propager en France.

Son œuvre est vaste et la critique théologique y tient une grande place. Il débute en 1767 par le Christianisme dévoilé, et publie en 1770, sous le nom de Mirabaud, son œuvre capitale, le Système de la Nature, exposé méthodique et intelligent d'une philosophie matérialiste et déterministe, dont la conséquence est un parfait athéisme. Le livre effraya Voltaire et Frédéric II, et Goethe dira plus tard qu'il éprouvait en le lisant la même impression qu'à la vue d'un « spectre cadavéreux. »>

Les principaux ouvrages politiques de d'Holbach sont d'abord et surtout le Système social (1773), puis la Politique naturelle ou Discours sur les vrais principes du gouvernement (1773) et l'Ethocratie ou Le Gouvernement fondé sur la morale (1776). Plus spécialement il a attaqué l'intolérance religieuse dans La contagion sacrée (1768) et l'Intolérance convaincue de crime et de folie (1769).

D'Holbach est infiniment supérieur à Helvétius. C'est un esprit cohérent, trop systématique même; mais il sait comprendre et enchaîner les idées. C'est de plus le théoricien politique des encyclopédistes (il a d'ailleurs collaboré pour son compte à · l'Encyclopédie); et pourtant ce n'est pas en politique, mais bien plutôt dans l'exposé de ses idées sur la nature qu'il a montré surtout la force de son esprit.

Trois choses en politique sont particulièrement odieuses à d'Holbach le despotisme, l'autorité religieuse, le gouvernement militaire. Ce n'est pas qu'il soit un partisan de la liberté politique; il ne réclame que la liberté civile sous toutes ses formes, et n'est spécialement attaché à aucun régime, n'admire aucune constitution, pas même la constitution anglaise, qu'il juge sévèrement. Il semble qu'au fond il soit d'avis de conserver le gou

vernement déjà établi, mais il fait cette réserve importante que tout gouvernement doit toujours se considérer, au moins théoriquement, comme le représentant de la société et le dépositaire d'une autorité dont il ne peut pas user arbitrairement. Il doit s'en servir pour assurer le règne de la loi, laquelle doit assurer à son tour l'accord de l'intérêt particulier et de l'intérêt général et cet accord est le principe même de la morale. Aussi est-ce du gouvernement que dépendent le bonheur et la vertu des peuples, et le meilleur moyen qu'il ait de faire régner l'un et l'autre est de favoriser les progrès de la raison et la diffusion des lumières, par suite de retirer au clergé l'éducation des futurs citoyens. Il faut donc que ce gouvernement soit fort, absolu même au besoin, mais non pas arbitraire; qu'il soit surtout éclairé et ami des lumières bref, qu'il soit philosophe.

DÉFINITIONS ET PRINCIPES GÉNÉRAUX

La politique devrait être l'art de régler les passions des hommes et de les diriger vers le bien de la société; mais elle n'est trop souvent que l'art d'armer les passions des membres de la société pour leur destruction mutuelle, et pour celle de l'association qui devrait faire leur bonheur. Elle n'est communément si vicieuse que parce qu'elle n'est point fondée sur la nature, sur l'expérience, sur l'utilité générale, mais sur les passions, les caprices et l'utilité particulière de ceux qui gouvernent la so

ciété.

La politique, pour être utile, doit fonder ses principes sur la nature, c'est-à-dire se conformer à l'essence et au but de la société. Celle-ci n'étant qu'un tout formé par la réunion d'un grand nombre de familles et d'individus, rassemblés pour se procurer plus facilement leurs besoins réciproques, les avantages qu'ils désirent, des secours mutuels, et surtout la faculté de jouir en sûreté des biens que la nature et l'industrie peuvent fournir, il s'ensuit que la politique destinée à maintenir la société doit entrer dans ces vues, en faciliter les moyens, écarter tous les obstacles qui pourraient les traverser.

Les hommes en se rapprochant les uns des autres pour

vivre en société ont fait, soit formellement, soit tacitement, un pacte 1, par lequel ils se sont engagés à se rendre des services et à ne point se nuire. Mais comme la nature de chaque homme le porte à chercher à tout moment son bien-être dans la satisfaction de ses passions ou de ses caprices passagers, sans aucun égard pour ses semblables, il fallut une force qui le ramenât à son devoir, l'obligeat de s'y conformer, et lui rappelåt ses engagements, que souvent la passion pouvait lui faire oublier. Cette force, c'est la Loi; elle est la somme des volontés de la société, réunies pour fixer la conduite de ses membres, ou pour diriger leurs actions de manière à concourir au but de l'association.

Mais comme la Société, surtout quand elle est nombreuse, ne pourrait que très difficilement s'assembler, et sans tumulte faire connaître ses intentions, elle est obligée de choisir des citoyens à qui elle accorde sa confiance; elle en fait les interprètes de ses volontés, elle les rend dépositaires du pouvoir nécessaire pour les faire exécuter. Telle est l'origine de tout Gouvernement, qui, pour être légitime, ne peut être fondé que sur le consentement libre de la société, sans lequel il n'est qu'une violence, une usurpation, un brigandage. Ceux qui sont chargés du soin de gouverner, s'appellent Souverains, Chefs, Législateurs, et suivant la forme que la société a voulu donner à son gouvernement, ces souverains s'appellent Monarques, Magistrats, Représentants, etc. Le gouvernement, n'empruntant son pouvoir que de la société, et n'étant établi que pour son bien, il est évident qu'elle peut révoquer ce pouvoir quand son intérêt l'exige, changer la forme de son gouvernement, étendre ou limiter le pouvoir qu'elle confie à ses chefs, sur

D'Holbach dit ailleurs (Syst. Soc. II, 1) que c'est un pacte tacite qui, pour n'être pas rédigé par écrit, ou clairement énoncé, n'en est pas moins réel ».

Ainsi il est bien entendu que, même dans le gouvernement monarchique, le souverain tient son autorité de la nation; c'est une souveraineté consentie. Aussi le monarque peut-il être « révoqué », aussi bien qu'un représentant du peuple.

lesquels elle conserve toujours une autoritè suprême, par la loi immuable de la nature qui veut que la partie soit subordonnée au tout.

Ainsi les souverains sont les ministres de la société, ses interprètes, les dépositaires d'une portion plus ou moins grande de son pouvoir, et non ses maîtres absolus ni les propriétaires des nations. Par un pacte, soit exprimé, soit tacite, ces souverains s'engagent à veiller au maintien, et à s'occuper du bien-être de la société ce n'est qu'à ces conditions que cette société consent à obéir. Nulle société sur la terre n'a pu ni voulu conférer irrévocablement à ses chefs le droit de lui nuire : une telle concession serait annulée par la nature, qui veut que chaque société, ainsi que chaque individu de l'espèce humaine, tende à se conserver, et ne puisse consentir à son malheur permanent.

Les lois, pour être justes, doivent avoir pour but invariable l'intérêt général de la société, c'est-à-dire assurer au plus grand nombre des citoyens les avantages pour lesquels ils se sont associés. Ces avantages, sont la liberté, la propriété, la sûreté. La Liberté est la faculté de faire pour son propre bonheur tout ce qui ne nuit pas au bonheur de ses associés; en s'associant, chaque individu a renoncé à l'exercice de la portion de sa liberté naturelle qui pourrait préjudicier à celle des autres 1. L'exercice de la liberté nuisible à la société, se nomme licence. La Propriété est la faculté de jouir des avantages que le travail et l'industrie ont procurés à chaque membre de la société. La Sûreté est la certitude que chaque membre doit avoir de jouir de sa personne et de ses biens sous la protection des lois, tant qu'il observera fidèlement ses engagements avec la société.

La justice assure à tous les membres de la société la possession des avantages ou droits qui viennent d'être rapportés. D'où l'on voit que, sans justice, la société est

C'est une définition de la liberté sur laquelle on est à peu près tombé d'accord à la fin du xvme siècle.

hors d'état de procurer aucun bonheur. La justice se nomme aussi Équite, parce qu'à l'aide des lois, faites pour commander à tous, elle égalise tous les membres de la société, c'est-à-dire les empêche de se prévaloir les uns contre les autres de l'inégalité que la nature ou l'industrie peuvent avoir mise entre leurs forces 1.

Les Droits sont tout ce que les lois équitables de la société permettent à ses membres de faire, pour leur propre félicité. Ces droits sont évidemment limités par le but invariable de l'association; la société de son côté a des droits sur tous ses membres en vertu des avantages qu'elle leur procure, et tous ses membres sont en droit d'exiger d'elle ou de ses ministres, ces avantages en faveur desquels ils vivent en société et renoncent à une portion de leur liberté naturelle. Une société, dont les chefs et les lois ne procurent aucuns biens à ses membres, perd évidemment ses droits sur eux les chefs qui nuisent à la société perdent le droit de lui commander. Il n'est point de patrie sans bien-être; une société sans équité ne renferme que des ennemis; une société opprimée ne contient que des oppresseurs et des esclaves

et des esclaves ne peuvent être citoyens; c'est la liberté, la propriété, la sûreté qui rendent la patrie chère, et c'est l'amour de la patrie qui fait le citoyen. (Système de la Nature: I, Ix.)

LA LIBERTÉ

Faute d'avoir des idées vraies de la liberté, les peuples furent communément les dupes de ceux qui sacrifiaient évidemment la patrie à l'ambition qu'ils avaient d'y jouer eux-mêmes un ròle distingué. Les factions, dans les corps politiques, peuvent être comparées aux hérésies et aux disputes dans la religion les peuples y prennent part sans jamais y rien comprendre; ils se battent pour

Définition un peu vague de l'égalité, et d'où l'on peut tirer des conséquences qui risqueraient fort de dépasser ia pensée de l'auteur.

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