Page images
PDF
EPUB

ou moderne n'a si bien su que la petite société de Jésus : aussi, dans un court intervalle de temps est-elle parvenue à un degré de puissance et de considération dont quelques-uns de ses membres même étaient étonnés 1.

(Principes de Politique des Souverains 2.)

1 Diderot publie ceci quelques années seulement après la condamnation des jésuites. On sait que cet ordre avait été fondé au XVIe siècle après la Réforme.

Cet ouvrage est sorti de notes écrites par Diderot en marge d'une traduction de Tacite. Il date de 1775.

HELVÉTIUS
(1715-1771)

Claude Adrien Helvétius, fermier général dès l'àge de vingttrois ans, possesseur d'une grande fortune, fut l'un des protecteurs attitrés de la philosophie au XVIIIe siècle. Il fut le commensal de Montesquieu, Voltaire, Buffon, et réunit à sa table D'Alembert, Diderot, Grimm, l'abbé Galiani. Il finit par quitter sa ferme, pour se consacrer lui-même à l'étude de la philosophie. En 1758 il publia le livre De l'Esprit, qui fit scandale, fut condamné, puis brûlé. L'auteur se vit de plus imposer une rétractation publique. En 1772, parut le livre De l'Homme. Helvétius a également composé un poème en six chants sur Le Bonheur.

C'est un esprit médiocre et confus. Il professe un matérialisme sans réserve, estime que tout le développement de l'esprit dérive de la conformation des organes, mais que d'ailleurs tous les hommes naissent égaux, doués des mêmes dispositions et des mêmes passions, que par suite l'éducation seule met entre eux quelque différence. Ces idées, comme on le voit, sont assez peu cohérentes. - Sa morale est celle de l'intérêt bien entendu.

En politique, on ne trouve chez lui que des indications vagues. Il critique la théorie de Montesquieu sur les principes du gouvernement qui, d'après lui, se ramènent tous à un seul, l'amour du pouvoir. Il réclame la liberté de pensée et la tolérance religieuse, demande qu'on enlève au clergé l'éducation de la jeunesse. Enfin, de même que les encyclopédistes ses amis, il a la plus entière confiance dans la vertu des lois et des institutions : c'est d'elles qu'il fait dépendre le bonheur et la moralité des peuples; c'est le bon législateur qui fait les bons citoyens.

D'Helvétius, qui eut son heure de célébrité, il reste un nom, que l'on cite encore assez volontiers aujourd'hui, c'est pour

quoi nous lui avons réservé une place dans ces Extraits - mais il ne subsiste ni une œuvre, ni une idée vraiment originale et . féconde.

LA VERTU DES LOIS ET DES INSTITUTIONS

Les vices et les vertus d'un peuple sont toujours un effet nécessaire de sa législation et c'est la connaissance de cette vérité qui, sans doute, a donné lieu à cette belle loi de la Chine Pour y féconder les germes de la vertu, on veut que les mandarins participent à la gloire ou à la honte des actions vertueuses ou infâmes1 commises dans leurs gouvernements; et qu'en conséquence 2, ces mandarins soient élevés à des postes supérieurs, ou rabaissés à des grades inférieurs.

Comment douter que la vertu ne soit chez tous les peuples l'effet de la sagesse plus ou moins grande de l'administration? Si les Grecs et les Romains furent si longtemps animés de ces vertus mâles et courageuses, qui sont, comme dit Balzac, des courses que l'âme fait au delà des devoirs communs, c'est que les vertus de cette espèce sont presque toujours le partage des peuples où chaque citoyen a part à la souveraineté.

Si l'histoire grecque ou romaine est pleine de traits héroïques, et si l'on parcourt presque inutilement toute l'histoire du despotisme pour en trouver de pareils, c'est que, dans ces gouvernements, l'intérêt particulier n'est jamais lié à l'intérêt public; c'est qu'en ces pays, entre mille qualités, c'est la bassesse qu'on honore, la médiocrité qu'on récompense3; c'est à cette médiocrité qu'on confie presque toujours l'administration publique ; on en écarte les gens d'esprit. Trop inquiets et trop remuants,

Il n'en est pas ainsi des autres empires de l'Orient; les gouverneurs n'y sont chargés que de lever les impôts et de s'opposer aux séditions. D'ailleurs, on n'exige point d'eux qu'ils s'occupent du bonheur des peuples de leur province. (Note de l'auteur.)

2 En conséquence de ces actions vertueuses ou infàmes, c'est-à-dire selon qu'il s'est commis plus ou moins d'actions vertueuses ou infàmes.

3 Dans ces pays, l'esprit et les talents ne sont honorés que sous de grands princes et de grands ministres.

(Note de l'auteur.)

ils altéreraient 1, dit-on, le repos de l'État : repos comparable au moment de silence, qui, dans la nature, précède de quelques instants la tempète. La tranquillité d'un État ne prouve pas toujours le bonheur des sujets. Dans les gouvernements arbitraires, les hommes sont comme ces chevaux qui, ferrés par les morailles2, souffrent, sans remuer, les plus cruelles opérations le coursier en liberté se cabre au premier coup. On prend, dans ces pays, la léthargie pour la tranquillité. La passion de la gloire, inconnue chez ces nations, peut seule entretenir dans le corps politique, la douce fermentation qui le rend sain et robuste, et qui développe toute espèce de vertus et de talents. Les siècles les plus favorables aux lettres ont, par cette raison, toujours été les plus fertiles en grands généraux et en grands politiques : le même soleil vivifie les cèdres et les platanes.

Au reste, cette passion de la gloire, qui, divisée chez les païens, a reçu les hommages de toutes les républiques, n'a principalement été honorée que dans les républiques pauvres et guerrières.

(De l'Esprit, III, xxII.)

L'AMOUR DU POUVOIR EST LE SEUL PRINCIPE DE TOUS LES GOUVERNEMENTS

Dans chaque forme de gouvernement, dit M. de Montesquieu, il est un différent principe d'action. «< La crainte dans les États despotiques, l'honneur dans les monarchiques, la vertu dans les républicains sont ces divers principes moteurs. »

Le texte porte altéraient; c'est altéreraient, pensons-nous, qu'il faut lire. 2 Morailles, sortes de tenailles avec lesquelles on pince le nez des chevaux vicieux.

3 Divisée, répartie; c'est-à-dire que tous les païens en étaient plus ou moins épris.

Voir ci-dessus: Extraits de Montesquieu : Des principes des trois gouvernements.

Mais sur quelle preuve M. de Montesquieu fonde-t-il cette assertion? Est-il bien vrai que la crainte, l'honneur et l'amour de la vertu soient réellement les forces motrices et différentes des divers gouvernements? Ne pourrait-on pas au contraire assurer qu'une cause unique, mais variée dans ses applications, est également le principe d'activité de tous les empires, et que M. de Montesquieu, moins frappé du brillant de sa division, eût plus scrupuleusement discuté cette question, il fût parvenu à des idées plus profondes, plus claires et plus générales; il eût aperçu dans l'amour du pouvoir le principe moteur de tous les citoyens ; il eût reconnu dans les divers moyens d'acquérir le pouvoir, le principe auquel on doit en tous les siècles et dans tous les pays rapporter la conduite différente des hommes? En effet, dans toute nation, le pouvoir est ou, comme à Maroc et en Turquie, concentré dans un seul homme, ou, comme à Venise et en Pologne, réparti entre plusieurs, ou, comme à Sparte, à Rome et en Angleterre, partagé dans le corps entier de la nation. Conséquemment à ces diverses répartitions de l'autorité, on sent que tous les citoyens peuvent contracter des habitudes et des mœurs différentes, et cependant se proposer tous le même objet, c'est-à-dire celui de plaire à la puissance suprême, de se la rendre favorable et d'obtenir par ce moyen quelque portion ou émanation de son autorité.

Du Gouvernement d'un seul.

Le gouvernement est-il purement arbitraire? La suprême puissance réside dans les seules mains du sultan1. Ce sultan, communément mal élevé, accordet-il sa protection à certains vices, est-il sans humanité, sans amour de la gloire, sacrifie-t-il à ses caprices le bonheur de ses sujets? Les courtisans, uniquement jaloux de sa faveur, modèlent leur conduite sur la sienne, ils affectent d'autant plus de mépris pour les vertus patrio

1 Le sultan, pour les écrivains du xvme siècle, est toujours le type parfait du despote.

« PreviousContinue »