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en compagnies de trente, de sorte que les classes inférieures deviennent ainsi naturellement les pépinières choisies des classes supérieures.

(Ibid. Seconde Partie.)

PROJET DE PAIX PERPÉTUELLE

C'est une très grande imprudence de compter que les traités passés et futurs soient toujours exécutés, et qu'il n'y aura de longtemps aucunes guerres étrangères, tant que les souverains d'Europe n'auront point signé les cinq articles fondamentaux de l'Alliance Générale absolument nécessaires pour rendre la paix durable.

Les traités de Münster, des Pyrénées, d'Aix-la-Chapelle, de Nimègue, de Ryswick, d'Utrecht, de Bade, de Londres, de Vienne, d'Hanovre et les autres traités ont réglé les principaux différends qui étaient en ce temps-là entre les souverains de l'Europe. Mais comme les plus faibles d'alors y ont cédé pour un temps partie de leurs prétentions, de peur de perdre beaucoup plus de leur territoire par la continuation de la guerre; la plupart des contractants inférieurs en force se réservaient intérieurement à faire valoir dans un temps plus favorable, c'est-à-dire dans un temps de supériorite de force, les droits, les prétentions qu'ils paraissent céder pour toujours dans ces différents traités.....

Mais si l'on peut faire envisager à celui qui veut recommencer la guerre, en premier lieu qu'il y a un moyen de rendre la paix solide et perpétuelle en Europe; en second lieu, qu'une paix solide et perpétuelle lui épargnerait de grands frais; en troisième lieu, qu'elle lui procurerait des avantages incomparablement plus réels et plus grands que l'obtention de ses prétentions par la guerre : alors,

1 Ce sont les principaux traités du xvi et du XVIIIe siècles jusqu'à l'époque où écrit l'abbé de Saint-Pierre. Le traité de Münster est l'un des traités de Westphalic.

loin de songer à la guerre, il songera à prendre les moyens de rendre la paix durable 1.

Or ces moyens consistent à la signature du traité fondamental.

J'ai eu deux vues en dressant les articles qui doivent composer cet inestimable traité; la première, de faire en sorte qu'ils contiennent tout ce qui est absolument nécessaire pour former une alliance, une société permanente et très durable; la seconde, qu'ils ne contiennent précisément que ce qui est absolument nécessaire : c'est pour cela que je les ai réduits à un si petit nombre, parce que moins il y en a moins il est difficile d'en convenir.

Premier article.

Il y aura désormais, entre les souverains qui auront signé les cinq articles suivants, une alliance perpétuelle. 1° Pour se procurer mutuellement, durant tous les siècles à venir, sûreté entière contre les grands malheurs des guerres étrangères;

2o Pour se procurer mutuellement, durant tous les siècles à venir, sûreté entière contre les grands malheurs des guerres civiles 3;

3o Pour se procurer mutuellement, durant tous les siècles à venir, sûreté entière de la conservation en entier de leurs États ;

4o Pour se procurer mutuellement, dans les temps d'affaiblissement, une sûreté beaucoup plus grande de la conservation de leur personne et de leur famille dans la possession de la souveraineté, selon l'ordre établi dans la nation;

50 Pour se procurer mutuellement une diminution très

'L'abbé de Saint-Pierre parait avoir une parfaite confiance dans la force de la raison et du bon sens. Il ne tient aucun compte des passions, des préjugés, etc. Dont on ne saurait estimer le prix, parce qu'il est au-dessus de toute estimation.

Noter ce point important: les guerres civiles ne sont pas négligées.

ECRIVAINS.

considérable de leur dépense militaire, en augmentant cependant leur sûreté;

6o Pour se procurer mutuellement une augmentation très considérable du profit annuel que produiront la continuité et la sûreté du commerce;

70 Pour se procurer mutuellement, avec beaucoup plus de facilité et en moins de temps, l'agrandissement intérieur ou l'amélioration de leurs États par le perfectionnement des lois, des règlements, et par la grande utilité de plusieurs excellents établissements;

8° Pour se procurer mutuellement sûreté entière de terminer plus promptement, sans risques et sans frais, leurs différends futurs;

90 Pour se procurer mutuellement sûreté entière de l'exécution prompte et exacte de leurs traités futurs, et de leurs promesses réciproques.

Or, pour faciliter la formation de cette alliance, ils sont convenus de prendre pour point fondamental la possession actuelle et l'exécution des derniers traités; et se sont réciproquement promis, à la garantie les uns des autres, que chaque souverain qui aura signé ce traité fondamental sera toujours conservé, lui et sa maison1, dans tout le territoire qu'il possède actuellement.

Ils sont convenus que les derniers traités, depuis et compris le traité de Münster, seront exécutés; et que, pour la sûreté commune des États de l'Europe, les renonciations faites dans le traité d'Utrecht pour empêcher les couronnes de France et d'Espagne de s'unir jamais sur une même tête seront exécutées selon leur forme et teneur 2.

Et, afin de rendre la Grande Alliance plus solide, en la rendant plus nombreuse et plus puissante, les Grands Alliés sont convenus que tous les souverains chrétiens

1 Ainsi le traité de l'abbé de Saint-Pierre vise à assurer, en même temps que la sécurité des Etats, la sécurité des dynasties.

2 L'abbé de Saint-Pierre est sincère la paix qu'il propose ne serait pas pour les puissances étrangères un marché de dupes et la France serait la première à se montrer raisonnable.

seront invités d'y entrer par la signature de ce traité fondamental.

Second article.

Chaque allié contribuera, à proportion des revenus actuels et des charges de son Etat, à la sûreté et aux dépenses communes de la Grande Alliance.

Cette contribution sera réglée pour chaque mois par les plénipotentiaires des Grands Alliés dans le lieu de leur assemblée perpétuelle 1, à la pluralité des voix pour la provision2, et aux trois quarts des voix pour la définitive.

Troisième article.

Les Grands Alliés, pour terminer entre eux leurs différends présents et à venir, ont renoncé et renoncent pour jamais, pour eux et pour leurs successeurs, à la voie des armes; et sont convenus de prendre toujours dorénavant la voie de conciliation par la médiation du reste des Grands Alliés dans le lieu de l'assemblée générale. Et en cas que cette médiation n'ait pas de succès, ils sont convenus de s'en rapporter au jugement qui sera rendu par les plénipotentiaires des autres alliés perpétuellement assemblés, et à la pluralité des voix pour la définitive, cinq ans après le jugement provisoire.

Quatrième article.

Si quelqu'un d'entre les Grands Alliés refusait d'exécuter les jugements et les règlements de la Grande Alliance, négociait des traités contraires, faisait des préparatifs de guerre, la Grande Alliance armera et agira contre lui offensivement, jusqu'à ce qu'il ait exécuté lesdits jugements ou règlements, ou donné sûreté de réparer

Il existera donc une sorte de tribunal ou parlement arbitral, une Assemblée des représentants des États Européens.

Pour la fixation provisoire.

les torts causés par les hostilités, et de rembourser les frais de la guerre suivant l'estimation qui en sera faite par les commissaires de la Grande Alliance.

Cinquième article.

Les Alliés sont convenus que les plénipotentiaires, à la pluralité des voix pour la définitive, règleront dans leur assemblée perpétuelle tous les articles qui seront jugés nécessaires et importants, pour procurer à la Grande Alliance plus de solidité, plus de sûreté, et tous les autres avantages possibles; mais l'on ne pourra jamais rien changer à ces cinq articles fondamentaux que du consentement unanime de tous les Alliés... 1

1

4° Il est visible que si les puissances de l'Europe signaient les cinq articles du projet de traité fondamental, et qu'ils en sollicitassent la signature dans les autres cours de l'Europe, il serait signé avant-cinq ou six mois de tous, ou de presque tous; et l'on serait sûr que celui qui refuserait de signer y consentirait bientôt, de peur d'être traité par l'Alliance Générale comme ennemi déclaré :

2o L'Alliance Générale une fois formée, avec la condition qu'aucun allié ne prendra jamais les armes contre son allié, à peine d'être traité comme ennemi par la Grande Alliance, aucun d'entre eux ne tentera jamais de faire une grande dépense militaire contre tous les autres:

3o Les contestations entre souverain et souverain seront nécessairement de très petite importance, et elles seront sûrement ou conciliées par la médiation de l'Al

L'abbé de Saint-Pierre prétendait faire remonter l'origine de son Projet au Grand Dessein de fédération des Etats de l'Europe conçu par Henri IV. Il dit luimême de ce projet qu'il fut « inventé par le roi Henri le Grand, approuvé par la « reine Élisabeth, par le roi Jacques, son successeur, par les Républiques et par « divers autres potentats ». Dans la suite de son livre, il s'efforcera de démontrer que la Grande Alliance est particulièrement avantageuse à l'Empereur, aux rois de France, d'Espagne, d Angleterre et de l'ologne.

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