Page images
PDF
EPUB

la contestation de quelque bicoque, qu'ez lieux dignes et honorables.

Qui tient sa mort pour mal employee, si ce n'est en occasion signalee, au lieu d'illustrer sa mort, il obscurcit volontiers sa vie, laissant eschapper ce pendant plusieurs iustes occasions de se hazarder; et toutes les iustes sont illustres assez, sa conscience les trompettant suffisamment à chascun. Gloria nostra est testimonium conscientiæ nostræ 1. Qui n'est homme de bien que parce qu'on le sçaura, et parce qu'on l'en estimera mieulx aprez l'avoir sceu; qui ne veult bien faire qu'en condition que sa vertu vienne à la cognoissance des hommes, celuy là n'est pas personne de qui on puisse tirer beaucoup de service.

Crede che 'l resto di quel verno cose
Facesse degne di tenerne conto;
Ma fur sin da quel tempo si nascose,
Che non è colpa mia s' or non le conto:
Perchè Orlando a far l' opre virtuose,
Più ch'a narrarle poi, sempre era pronto;
Nè mai fu alcuno de' suoi fatti espresso,

Se non quando ebbe i testimoni appresso".

Il fault aller à la guerre pour son debvoir, et en attendre cette recompense, qui ne peult faillir à toutes

1 Notre gloire, c'est le témoignage de notre conscience. S. PAUL, Epist. ad Corinth., II, 1, 12.

2 Je crois que le reste de cet hiver Roland fit des choses trèsdignes de mémoire; mais jusqu'ici elles ont été si secrètes, que ce n'est pas ma faute si je ne les raconte point; car Roland a toujours été plus prompt à faire de belles actions, qu'à les publier; et jamais ses exploits n'ont été divulgués, que lorsqu'il en a eu des témoins. ARIOSTO, Orlando, cant. xi, stanz. 81,

belles actions, pour occultes qu'elles soyent, non pas mesme aux vertueuses pensees; c'est le contentement qu'une conscience bien reglee receoit, en soy, de bien faire. Il fault estre vaillant pour soy mesme, et pour l'advantage que c'est d'avoir son courage logé en une assiette ferme et asseuree contre les assaults de la fortune :

Virtus, repulsæ nescia sordidæ,
Intaminatis fulget honoribus:

Nec sumit, aut ponit secures
Arbitrio popularis auræ 1.

Ce n'est pas pour la montre, que nostre ame doibt iouer son roolle; c'est chez nous, au dedans, où nuls yeulx ne donnent que les nostres : là elle nous couvre de la crainte de la mort, des douleurs et de la honte mesme; elle nous asseure là de la perte de nos enfants, de nos amis et de nos fortunes; et quand l'opportunité s'y presente, elle nous conduict aussi aux hasards de la guerre, non emolumento aliquo, sed ipsius honestatis decore 2. Ce proufit est bien plus grand, et bien plus digne d'estre souhaité et esperé, que l'honneur et la gloire, qui n'est aultre chose qu'un favorable iugement qu'on faict de nous.

Il fault trier de toute une nation une douzaine d'hommes, pour iuger d'un arpent de terre et le

1 La véritable vertu brille d'un éclat que rien ne peut ternir; elle ne connaît point les refus honteux ; elle ne prend pas, elle ne quitte pas les faisceaux au gré du vent populaire. HoR., Od., III, 2, 17.

2 Non pour une récompense, mais pour la gloire de la vertu. Cic., de Finib, 1, 10.

:

iugement de nos inclinations et de nos actions, la plus difficile matiere et la plus importante qui soit, nous le remettons à la voix de la commune et de la tourbe, mere d'ignorance, d'iniustice, et d'inconstance. Est ce raison de faire despendre la vie d'un sage, du iugement des fols? An quidquam stultius, quam, quos singulos contemnas, eos aliquid putare, esse universos 1? Quiconque vise à leur plaire, il n'a iamais faict; c'est une butte qui n'a ny forme ny prinse Nil tam inestimabile est, quam animi multitudinis 2. Demetrius 3 disoit plaisamment de la voix du peuple, qu'il ne faisoit non plus de recepte de celle qui luy sortoit par en hault, que de celle qui luy sortoit par en bas celuy là dict encores plus, Ego hoc iudico, si quando turpe non sit, tamen non esse non turpe, quum id a multitudine laudetur. Null' art, nulle soupplesse d'esprit pourroit conduire nos pas à la suitte d'un guide si desvoyé et si desreglé: en cette confusion venteuse de bruits, de rapports et opinions vulgaires qui nous poulsent, il ne se peult establir aucune route qui vaille. Ne nous proposons point une fin si flottante et volage: allons constamment aprez la raison que l'approbation publicque nous suyve

1 Est-il rien de plus sot que de croire que ceux que l'on méprise individuellement sont quelque chose quand ils sont réunis. Cic., Tusc. quæst., V, 36.

2 Rien de moins appréciable que les jugements de la multitude. TITE LIVE, XXXI, 34.-Le sens et l'origine de cette citation avaient échappé à Coste et aux autres éditeurs. V. LECLerc.

3 Philosophe cynique, fameux à Rome sous le règne de Néron. Et moi, bien qu'une chose ne soit pas honteuse en elle-même, je dis cependant qu'elle semble l'être si elle est louée par la multitude. Cic., de Finib., II, 15.

par là, si elle veult; et, comme elle despend toute de la fortune, nous n'avons point loy de l'esperer plustost par aultre voye que par celle là. Quand, pour sa droicture, ie ne suyvrois le droict chemin, ie le suyvrois pour avoir trouvé, par experience, qu'au bout du compte, c'est communement le plus heureux et le plus utile: Dedit hoc providentia hominibus munus, ut honesta magis iuvarent'. Le marinier ancien disoit ainsin à Neptune, en une grande tempeste : « 0 dieu, tu me sauveras, si tu veulx; si tu veulx, tu me perdras mais si tiendray ie tousiours droict mon timon 2. >> l'ai veu de mon temps mill' hommes soupples, mestis, ambigus, et que nul ne doubtoit plus prudents mondains que moy, se perdre où ie me suis sauvé :

Risi successu posse carere dolos 3.

Paul Emile, allant en sa glorieuse expedition de Macedoine, advertit sur tout le peuple à Rome, « de contenir leur langue de ses actions, pendant son absence.» Que la licence des iugements est un grand destourbier aux grands affaires! d'autant que chascun n'a pas la fermeté de Fabius, à l'encontre des voix communes contraires et iniurieuses, qui aima mieulx laisser desmembrer son auctorité aux vaines

5

1 C'est un bienfait de la providence des dieux, que les choses honnêtes sont aussi les plus utiles. QUINTIL., Inst. orat., I, 12. 2 SÉNÈQUE, Epist. 85.

3 J'ai ri de voir que la ruse pouvait échouer. OVIDE, Héroid., I, 18.

TITE LIVE, XLIV, 22.

* Jette un grand trouble dans les affaires.

fantasies des hommes, que faire moins bien sa charge, avecques favorable reputation et populaire consente

ment.

Il y a ie ne sçais quelle doulceur naturelle à se sentir louer; mais nous luy prestons trop de beaucoup :

Laudari haud metuam, neque enim mihi cornea fibra est: Sed recti finemque, extremumque esse recuso,

Euge tuum, et belle 1.

Ie ne me soulcie pas tant quel ie sois chez aultruy, comme ie me soulcie quel ie sois en moy mesme : ie veulx estre riche par moy, non par emprunt2. Les estrangiers ne veoyent que les evenements et apparences externes; chascun peult faire bonne mine par le dehors, plein au dedans de fiebvre et d'effroy : ils ne veoyent pas mon cœur, ils ne veoyent que mes contenances. On a raison de descrier l'hypocrisie qui se treuve en la guerre : car qu'est il plus aysé à un homme practique, que de gauchir aux dangiers, et de contrefaire le mauvais, ayant le cœur plein de mollesse? Il y a tant de moyens d'eviter les occasions de se hazarder en particulier, que nous aurons trompé mille fois le monde, avant que de nous engager à un dangereux pas; et lors mesme, nous y trouvant empestrez, nous sçaurons bien, pour ce coup, couvrir notre ieu d'un bon visage et d'une parole asseuree, quoyque l'ame nous tremble au dedans : et qui auroit

1 Je ne hais pas d'être loué, car je ne suis pas de pierre, mais jamais un Que cela est beau! ne me paraîtra le terme et le but qu'on doive proposer à la vertu. PERSE, Sat., I, 47.

2 VAR. « Je veulx estre riche de mes propres richesses, non des richesses empruntees. » Édit. de 1588.

« PreviousContinue »