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Le gouvernement ariftocratique a, par lui même, une certaine force que la démocratie n'a pas. Les nobles y forment un corps qui, par fa prérogative & pour fon intérêt particulier, réprime le peuple: il fuffit qu'il y ait des loix pour qu'à cet égard elles foient exécutées.

Mais autant qu'il eft aifé à ce corps de réprimer les autres, autant eft-il difficile qu'il fe réprime lui-même (†). Telle eft la nature de cette conftitution, qu'il femble qu'elle mette les mêmes gens fous la puiffance des loix, & qu'elle les en retire.

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Or, un corps pareil ne peut fe réprí mer que de deux manières; ou par une grande vertu, qui fait que les nobles fe trouvent en quelque façon égaux à leur peuple, ce qui peut former une grande république; ou par une vertu moindre, qui eft une certaine modération qui rend les nobles au moins égaux à eux-mêmes; ce qui fait leur confervation.

La

(+) Les crimes publics y pourront être punis, parce que c'eft l'affaire de tous; les crimes particuliers n'y feront pas punis, parce que l'affaire de tous eft de ne les pas punir.

La modération eft donc l'ame de ces gouvernemens. J'entens celle qui est fondée fur la vertu, non pas celle qui vient d'une lâcheté & d'une pareffe de l'ame.

CHAPITRE V.

Que la vertu n'eft point le principe du gouvernement monarchique.

D

ANS les monarchies, la politique fait faire les grandes chofes avec le moins de vertu qu'elle peut; comme dans les plus belles machines, l'art emploie auffi peu de mouvemens, de forces & de roues qu'il eft poffible.

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L'état fubfifte indépendamment de l'amour pour la patrie, du defir de la vraie gloire du renoncement à foi même, du facrifice de fes plus chers intérêts, & de toutes ces vertus héroïques que nous trouvons dans les anciens, & dont nous avons feulement entendu parler.

Les loix y tiennent la place de toutes ces vertus, dont on n'a aucun befoin; l'état vous en dispense: une action qui fe fait fans bruit, y eft en quelque façon fans conféquence.

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Quoique tous les crimes foient publics par leur nature on diftingue pourtant les crimes véritablement publics d'avec les crimes privés, ainfi appellés, parce qu'ils offenfent plus un particulier, que la fociété entiere.

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Or, dans les républiques, les crimes privés font plus publics, c'eft-à-dire choquent plus la conftitution de l'état, que les particuliers: & dans les monarchies, les crimes publics font plus privés, c'eft à dire, choquent plus les fortunes particulieres, que la conftitution de l'état

·

même.

Je fupplie qu'on ne s'offenfe pas de ce que j'ai dit; je parle après toutes les histoires. Je fais très bien qu'il n'eft pas rare qu'il y ait des princes vertueux; mais je dis que dans une monarchie il est trèsdifficile que le peuple le foit (*).

Qu'on life ce que les hiftoriens de tous les temps ont dit fur la cour des monarques; qu'on fe rappelle les converfations

des

(*) Je parle ici de la vertu politique, qui eft la vertu morale dans le fens qu'elle fe dirige au bien général, fort peu des vertus morales particulieres, & point du tout de cette vertu qui a du rap. port aux vérités révélées. On verra bien ceci au Liv. V. Chap. II.

des hommes de tous les pays fur le miférable caractere des courtifans: ce ne font point des chofes de fpéculation, mais d'une trifte expérience.

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L'ambition dans l'oifiveté la baffeffe dans l'orgueil, le defir de s'enrichir fans travail, l'aversion pour la vérité, la flatterie, la trahifon, la perfidie, l'abandon de tous fes engagemens, le mépris des devoirs du citoyen, la crainte de la vertu du prince, l'efpérance de fes foibleffes, & plus que tout cela, le ridicule perpétuel jetté fur la vertu, forment, je crois, le caractere du plus grand nombre des courtifans, marqué dans tous les lieux & dans tous les temps. Or, il eft très-mal aifé que la plupart des principaux d'un état foient mal-honnêtes gens, & que les inférieurs foient gens de bien; que ceux - là foient trompeurs; & que ceux-ci confentent à n'être que dupes.

Que fi dans le peuple il fe trouve quelque malheureux honnête homme (*), le cardinal de Richelieu, dans fon teftament politique, infinue qu'un monarque doit fe garder de s'en fervir (†). Tant il eft

vrai

(*) Entendez ceci dans le fens de la note précédénte.

(†) Il ne faut pas, y eft-il dit, fe fervir de gens de bas lieu; ils font trop aufteres & trop difficiles.

vrai que la vertu n'eft pas le reffort de ce gouvernement! Certainement elle n'en eft point exclue; mais elle n'en eft pas le reffort.

CHAPITRE VI.

Comment on fupplée à la vertu dans le gouvernement monarchique.

autre.

E hâte, & je marche à grands pas, afin Jauhote, & marche afin croie pas que je faffe une fatire du gouvernement monarchique. Non; s'il manque d'un reffort, il en a un L'HONNEUR, c'eft-à-dire, le préjugé de chaque perfonne & de chaque condition, prend la place de la vertu politique dont j'ai parlé, & la représente par- tout. Il y peut, joint à la force des loix, conduire au but du gouvernement comme la vertu même.

Ainfi dans les monarchies bien réglées, tout le monde fera à peu près bon citoyen, & on trouvera rarement quelqu'un qui foit homme de bien; car, pour être homme de bien ($), il faut avoir

inten

(f) Ce mot, homme de bien, ne s'entend ici que dans un fens politique.

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