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lement d'Angleterre a fait. Aboliffez dans une monarchie les prérogatives des feigneurs, du clergé, de la nobleffè & des villes; vous aurez bientôt un état populaire, ou bien un état defpotique.

Les tribunaux d'un grand état en Europe frappent fans ceffe, depuis plufieurs fiecles, fur la jurisdiction patrimoniale des feigneurs & fur l'eccléfiaftique. Nous ne voulons pas cenfurer des magiftrats fi fages: mais nous laiffons à décider, jufqu'à quel point la conftitution en peut être changée.

Je ne fuis point entêté des privileges des eccléfiaftiques: nrais je voudrois qu'on fixât bien une fois leur jurifdiction. Il n'eft point question de favoir, fi on a eu raifon de l'établir: mais fi elle eft établie; fi elle fait une partie des loix du pays, & fi elle y eft par tout relative; fi, entre deux pouvoirs que l'on reconnoît indépendans, les conditions ne doivent pas être réciproques; & s'il n'eft pas égal à un bon fujet de défendre la juftice du prince, ou les limites qu'elle s'eft de tout temps prefcrites.

Autant que le pouvoir du clergé eft dangereux dans une république, autant eft-il convenable dans une monarchie, fur-tout dans celles qui vont au defpotifme. Ou en feroient l'Espagne & le Portugal depuis

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la perte de leurs loix, fans ce pouvoir qui arrête feul la puiffance arbitraire? BarS riere toujours bonne, lorfqu'il n'y en a point d'autre: car, comme le defpotifme caufe à la nature humaine des maux effroyables, le mal même qui le limite eftun bien.

Comme la mer, qui femble vouloir coune vrir toute la terre, eft arrêtée par les herbes & les moindres graviers qui fe trouvent fur le rivage; ainfi les monarques, dont le pouvoir paroît fans bornes, s'arrêtent par les plus petits obftacles, & foumettent leur fierté naturelle à la plainte & à la priere.

Les Anglois, pour favorifer la liberté, ont ôté toutes les puiffances intermédiaires qui formoient leur monarchie. Ils ont bien raifon de conferver cette liberté; s'ils venoient à la perdre, ils feroient un des peuples les plus efclaves de la terre.

Mr. Lavu, par une ignorance égale de la conftitution républicaine & de la monarchique, fut un des plus grands promoteurs du defpotifme que l'on eût encore vu en Europe. Outre les changemens qu'il fit fi brufques, fi inufités, fi inouis, il vouloit ôter les rangs intermédiaires, & anéantir les corps politiques: il difföl

voit (*) la monarchie par fes chimériques rembourfemens, & fembloit vouloir racheter la conftitution même.

Il ne fuffit pas qu'il y ait dans une monarchie des rangs intermédiaires; il faut encore un dépôt de loix (b). Ce dépôt

(*) Ferdinand, roi d'Arragon, fe fit grandmaître des ordres; & cela feul altéra la confti. tution.

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(b) Mr. de MONTESQUIEU n'auroit pas mal fait de nous apprendre ce qu'il entend par le dépôt de loix. Voici ce qu'il a voulu dire peutêtre. Pour que l'autorité publique, limitée par », des loix, ne dégénere pas en defpotisme, il "faut dans un état quelque chofe qui veille à la » confervation des loix; qui empêche qu'on ne les enfreigne, qu'on ne les cublie, ou qu'on ne "les aboliffe par des ufages & des loix contraires & deftructif la conftitution de l'état. Or » cette chofe, que je nomme déjöt de loix, ne peut fe trouver que dans une partie de l'Etat, également intéreffée à foutenir l'autorité publique & les loix qui l'ont limitée, & affez éclairée d'ailleurs pour connoître les loix, leur force les moyens qui peuvent les tenir en vigueur, & » ceux qui pourroient les détruire. Le dépôt de loix ne peut réfider dans le corps des nobles à caufe de leur ignorance naturelle, de leur inatten» tion, &c. ni dans le confeil du prince, qui eft cenfé confulter plutôt la volonté du monarque » que l'obfervance des loix & la conftitution de l'état: il doit donc réfider dans ce corps politi. que qui annonce les loix, lorfqu'elles font faites,

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pôt ne peut être que dans les corps politiques, qui annoncent les loix lorfqu'elles

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& les rappellent lorfqu'on les oublie ". Tout cela pourtant ne feroit pas fort exact. Nous convenons de la néceffité d'un dépôt de loix, c'eft-à-dire, d'un arrangement dans la conftitution fondamentale d'un état qui fervant d'obstacle aux atteintes qu'on pourroit y porter prévienne les ufurpations du vouloir arbitraire. Mais faut-il que ce dépôt foit dans les corps politiques qui annoncent les loix lorsqu'el les font faites, & les rappellent lorsqu'on les oublie? Notre Auteur l'affirme, peut-être parce que telle eft la conftitution de la France. Mais à bien confidérer la chofe, il fuffit d'un corps prépofé à l'admi niftration de la juftice & des affaires publiques, qui obligé de faire exécuter les volontés du fouverain, foit tenu en même temps de n'en point faire exécu ter que de conformes aux loix & aux réglemens fur lefquels le gouvernement eft établi. Ce corps (que l'on peut nommer politique fi l'on veut) également obligé & intereffé à foutenir l'autorité du prince & les droits du peuple, fera tout à la fois la fureté du trône, & celle de la liberté publique: il n'eft donc pas néceffaire que ce corps annonce les loix; peu importe même qui les annonce & comment elles foient annoncées, pourvu qu'elles ne puiffenr opérer fans le concours de ces corps. Si l'on demande maintenant où ce dépôt eft, & en quoi il confifte? Je réponds que le dépôt des loix, eft l'inftruction particuliere fuivant laquelle certains membres d'un état, établis pour faire obferver la volonté du fou

verain conformément aux loix fondamentales & à la conftitution d'un état, fans aucun égard pour des commandemens particuliers, font tenus de fe conduire dans la fonction de leur charge. Ces ins

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les font faites, & les rappellent lorfqu'on les oublie. L'ignorance naturelle à la nobleffe, fon inattention, fon mépris pour le gouvernement civil, exigent qu'il y ait. un corps, qui faffe fans ceffe fortir les loix de la pouffiere, où elles feroient enfevelies. Le confeil du prince n'eft pas

un dépôt convenable. Il eft, par fa nature, le dépôt de la volonté momentanée du prince, qui exécute, & non pas le dépôt des loix fondamentales. De plus, le confeil du monarque change fans ceffe; il n'eft point permanent; il ne fauroit être nombreux; il n'a point à un affez haut degré la confiance du peuple; il n'eft donc pas en état de l'éclairer dans les temps difficiles, ni de le ramener à l'obéiffance.

Dans les états defpotiques, où il n'y a point de loix fondamentales, il n'y a pas non plus de dépôt de loix. De-là vient que, dans ces pays, la religion a ordinai

rement

tructions, qui empêcheront le peuple de mépri fer impunément les ordres du fouverain, les raffureront en même temps contre les volontés arbitraires & les caprices de la tyrannie; parce que d'un côté elles juftifient les condemnations contre ceux qui transgreffent les loix reçues, & que de l'autre côté elles autorifent le refus d'enregistrer celles, qui ne font pas dans l'ordre, ou celui de s'y conformer dans l'administration de la juftice & des affaires publiques. (R. d'un A.)

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