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ni de fénatus-confulte, & les patriciens n'y étoient pas admis.

Or le peuple chercha toujours à faire par curies les affemblées qu'on avoit coutume de faire par centuries, & à faire par tribus les affemblées qui fe faifoient par curies; ce qui fit paffer les affaires des mains des patriciens dans celles des plébéiens.

Ainfi quand les plébéiens eurent obtenu le droit de juger les patriciens, ce qui commença lors de l'affaire de Coriolan (44), les plébéiens voulurent les juger affemblés par tribus (§§), & non par centuries: & lorsqu'on établit en faveur du peuple les nouvelles magiftratures (***) de tribuns & d'édiles, le peuple obtint qu'il s'affembleroit par curies pour les nommer ; & quand fa puiffance fut affermie, il obtint (fff) qu'ils feroient nommés dans une affemblée par tribus.

(44) Denys d'Halicarnaffe, Liv. VII.

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(§§) Contre l'ancien ufage, comme on le voit dans Denys d'Halicarnaffe, Liv. V. pag. 320, (***) Liv. VI pag 410 & 411.

(ttt) Liv. IX. pag. 605,

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CHAPITRE

X V.

Comment, dans l'état florissant de la répu blique, Rome perdit tout à coup fa

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liberté.

ANS le feu des difputes entre les patriciens & les plébéiens, ceux-ci demanderent que l'on donnât des loix fixes, afin que les jugemens ne fuffent plus l'effet d'une volonté capricieufe, ou d'un pouvoir arbitraire. Après bien des résistances, le fénat y acquiefca. Pour compofer ces loix, on nomma des décemvirs. On crut qu'on devoit leur accorder un grand pouvoir, parce qu'ils avoient à donner des loix à des partis qui étoient prefque incompatibles. On fufpendit la nomination de tous les magiftrats; & dans les comices, ils furent élus feuls adminiftrateurs de la république. Ils fe trouverent revêtus de la puiffance confulaire & de la puiffance tribunitienne. L'une leur donnoit le droit d'affembler le fénat; l'autre, celui d'affembler le peuple: mais ils ne convoquerent ni le fénat ni le peuple. Dix hommes dans la république eurent feuls toute la puiffance législative, toute la puiffance exécutrice, toute la puiffance des jugemens. Rome fe vit foumife à une tirannie auffi cruelle

cruelle que celle de Tarquin. Quand Tarquin exerçoit fes vexations, Rome étoit indignée du pouvoir qu'il avoit ufurpé: quand les décemvirs exercerent les leurs, elle fut étonnée du pouvoir qu'elle avoit donné.

Mais quel étoit ce fyftême de tirannie, produit par des gens qui n'avoient obtenu le pouvoir politique & militaire que par la connoiffance des affaires civiles; & qui, dans les circonftances de ces temps-là, avoient befoin au-dedans de la lâcheté des citoyens, pour qu'ils fe laiffaffent gouverner, & de leur courage au-dehors, pour les défendre?

Le fpectacle de la mort de Virginie, immolée par fon pere à la pudeur & à la liberté, fit évanouir la puiffance des décemvirs. Chacun fe trouva, libre, parce que chacun fut offenfé: tout le monde devint citoyen, parce que tout le monde fe trouva pere. Le fénat & le peuple rentrerent dans une liberté qui avoit été confiée à des tirans ridicules.

Le peuple Romain, plus qu'un autre. s'émouvoit par les fpectacles. Celui du corps fanglant de Lucrece fit finir la royau té. Le débiteur, qui parut fur la place couvert de plaies, fit changer la forme de la république. La vue de Virginie fit chaffer les décemvirs. Pour faire condam

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ner Manlius, il fallut ôter au peuple la vue La robe fanglante de Céfar

du capitole.

remit Rome dans la fervitude.

CHAPITRE XVI.

De la puissance législative dans la république Romaine.

ON

N n'avoit point de droits à fe difputer fous les décemvirs: mais, quand la liberté revint, on vit les jaloufies renaître: tant qu'il refta quelques privileges aux patriciens, les plébéiens les leur ôterent.

Il y auroit eu peu de mal, fi les plébéiens s'étoient contentés de priver les patriciens de leurs prérogatives, & s'ils ne les avoient pas offenfés dans leur qualité même de citoyens. Lorfque le peuple étoit affemblé par curies ou par centuries, il étoit compofé de fénateurs, de patriciens & de plébéiens. Dans les difputes, les plébéiens gagnerent ce point (*), que feuls, fans les patriciens & fans le fénat, ils pourroient faire des loix qu'on appella plébifcites; & les comices où on les fit, s'appellerent comices par tribus. Ainfi il y

(*) Denys d'Halicarnaffe, Liv. XI. pag. 725.

eut

eut des cas où les patriciens (†) n'eurent point de part à la puiffance législative, & (4) où ils furent foumis à la paiffance législative d'un autre corps de l'état. Ce fut un délire de la liberté. Le peuple, pour établir la démocratie, choqua les principes mêmes de la démocratie.

Il fembloit qu'une puiffance auffi exorbitante, auroit dû anéantir l'autorité du fénat: mais. Rome avoit des inftitutions admirables. Elle en avoit deux fur-tout; par l'une, la puiffance législative du peuple étoit réglée; par l'autre, elle étoit bornée.

Les cenfeurs, & avant eux les confuls (§), formoient & créoient, pour ainfi dire, tous les cinq ans, le corps du peuple; ils exerçoient la législation fur le corps même qui

avoit

(†) Par les loix facrées, les plébéiens purent faire des plébifcites, feuls, & fans que les patriciens fuffent admis dans leur affemblée; Denys d'Halicarnaffe, Liv.. VI. p. 410. & Liv. VII. p. 430.

(4) Par la loi faite après l'expulfion des décem virs, les patriciens furent foumis aux plébifcites, quoiqu'ils n'euffent pu y donner leur voix. Tite-Live, Liv. III. & Denys d'Halicarnaffe, Liv. XI. p. 725. & cette loi fut confirmée par celle de Publilius Philo, dictateur, l'an de Rome 416. Tite - Live, Liv. VIII.

(S) L'an 312 de Rome, les confuls faifoient en core le cens, comme il paroît par Denys d'Halicarnasse, Liv. XI.

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