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prairies, aime à voir les rochers & les montagnes.

Les familles patriciennes avoient eu, de tout temps, de grandes prérogatives. Ces. diftinctions, grandes fous les rois, devinrent bien plus importantes après leur expulfion. Cela caufa la jaloufie des plébéiens, qui voulurent les abbaiffer. Les conteftations frappoient fur la conftitution, fans affoiblir le gouvernement; car, pourvu que les magiftratures confervaffent leur autorité, il étoit affez indifférent de quelle famille étoient les magiftrats.

Une monarchie élective, comme étoit Rome, fuppofe néceffairement un corps ariftocratique puiffant, qui la foutienne, fans quoi elle fe change d'abord en tirannie ou en état populaire. Mais un état populaire n'a pas befoin de cette diftinction de familles, pour fe maintenir. C'est ce qui fit que les patriciens qui étoient des parties néceffaires de la conftitution du temps des rois, en devinrent une partie fuperflue du temps des confuls; le peuple put les abbaiffer fans fe détruire lui-même, & chanla conftitution fans la corrompre. ger

Quand Servius Tullius eut avili les patriciens, Rome dut tomber, des mains des rois, dans celles du peuple. Mais le peuen abbaiffant les patriciens, ne dut

ple,

point craindre de retomber dans celles des rois.

Un état peut changer de deux manie res; ou parce que la conftitution fe corrige, ou parce qu'elle fe corrompt. S'il a confervé fes principes, & que la conftitution change, c'eft qu'elle fe corrige; s'il a perdu fes principes, quand la conftitution vient à changer, c'eft qu'elle fe corrompt.

Rome, après l'expulfion des rois, devoit être une démocratie. Le peuple avoit déja la puiffance législative: c'étoit fon fuffrage unanime qui avoit chaffé les rois; & s'il ne perfiftoit pas dans cette volonté, les Tarquins pouvoient à tous les inftans revenir. Prétendre qu'il eût voulu les chaffer, pour tomber dans l'efclavage de quelques familles, cela n'étoit pas raifonnable. La fituation des chofes demandoit donc que Rome fût une démocratie, & cependant elle ne l'étoit pas. Il fallut tempérer le pouvoir des principaux, & que les loix inclinaffent vers la démocratie.

Souvent les états fleuriffent plus dans le paffage infenfible d'une conftitution à une autre, qu'ils ne le faifoient dans l'une ou l'autre de ces conftitutions. C'est pour lors que tous les refforts du gouvernement font tendus; que tous les citoyens ont des prétentions; qu'on s'attaque, ou qu'on fe

careffe;

careffe; & qu'il y a une noble émulation entre ceux qui défendent la conftitution qui décline, & ceux qui mettent en avant celle qui prévaut.

CHAPITRE XIV.

Comment la diftribution des trois pouvoirs commença à changer, après l'expulfion des rois.

Q

UATRE chofes choquoient principale ment la liberté de Rome. Les patriciens obtenoient feuls tous les emplois facrés, politiques, civils & militaires; on avoit attaché au confulat un pouvoir exorbitant; on faifoit des outrages au peuple ; enfin on ne lui laiffoit prefqu'aucune influence dans les fuffrages. Ce furent ces quatre abus que le peuple corrigea.

1o. Il fit établir, qu'il y auroit des ma giftratures où les plébéiens pourroient prétendre; & il obtint peu à peu qu'il auroit part à toutes, excepté à celle d'entre- roi.

2o. On décompofa le confulat, & on en forma plufieurs magiftratures. On créa des préteurs (*), à qui on donna la puis

() Tite-Live, Décade I. Liv. VI.

fance

fance de juger les affaires privées; on nomma des quefteurs (†), pour faire juger les crimes publics; on établit des édiles, à qui on donna la police; on fit des trésoriers (4) qui eurent l'administration des deniers pu blics enfin, par la création des cenfeurs, on ôta aux confuls cette partie de la puisfance législative qui regle les mœurs des citoyens, & la police momentanée des divers corps de l'état. Les principales prérogatives qui leur refterent, furent de préfider aux grands (§) états du peuple, d'asfembler le fénat, & de commander les armées.

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3°. Les loix facrées établirent des tribuns, qui pouvoient, à tous les inftans, arrêter les entreprifes des patriciens; & n'empêchoient pas feulement les injures particulieres, mais encore les générales.

Enfin les plébéiens augmenterent leur influence dans les décifions publiques. Le peuple Romain étoit divifé de trois manie. res, par centuries, par curies, & par tribus: & quand il donnoit fon fuffrage, il étoit affemblé & formé d'une de ces trois manieres.

Dans

(t) Queftores parricidii; Pomponius, leg. 2, ff. de orig. jur.

(4) Plutarque, vie de Publicola,

(9) Comitiis centuriatis.

Dans la premiere, les patriciens, les principaux, les gens riches, le fénat, ce qui étoit à peu près la même chose, avoient prefque toute l'autorité; dans la feconde, ils en avoient moins; dans la troifieme, encore moins.

La divifion par centuries étoit plutôt une divifion de cens & de moyens, qu'une divifion de perfonne. Tout le peuple étoit partagé en cent quatre-vingt-treize centuries (**), qui avoient chacune une voix. Les patriciens & les principaux formoient les quatre-vingt-dix-huit premieres centuries; le refte des citoyens étoit répandu dans les quatre-vingt- quinze autres. Les patriciens étoient donc, dans cette divifion, les maîtres des fuffrages.

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Dans la divifion par curies (tt), les patriciens n'avoient pas les mêmes avantages. Ils en avoient pourtant. Il falloit confulter les aufpices, dont les patriciens étoient les maîtres; on n'y pouvoit faire de propofition au peuple, qui n'eût été auparavant portée au fénat, & approuvée par un fénatus confulte. Mais, dans la divifion par tribus, il n'étoit question ni d'auspices, ni

(**). Voyez là-deffus Tite-Live, Liv. 1. & Denys d'Halicarnaffe, Liv. IV & VII.

(tt) Denys d'Halicarnaffe, Liv. IX. pag. 598.

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