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gouvernement foit tel, qu'un citoyen ne puiffe pas craindre un autre citoyen.

Lorfque, dans la même perfonne ou dans le même corps de magiftrature, la puiffance législative eft réunie à la puisfance exécutrice, il n'y a point de liberté; parce qu'on peut craindre que le même monarque ou le même fénat ne faffe des foix tiranniques, pour les exécuter tiranniquement (e).

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(e) Voici une démonftration évidente de tout ce que nous avons dit dans les notes précédentes a & d; car le paffage de notre auteur revient à ceci, quand on le combine avec ce qui précede.

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Lorfque la puiffance de faire des loix pour un " temps ou pour toujours, & de corriger ou d'a"broger celles qui font faites, eft réunie dans la même perfonne ou dans le même corps de » magiftrature, à la puiffance de faire la paix ou la guerre, d'envoyer ou de recevoir des ambaffadeurs, d'établir la fureté, de prévenir les invalions, il n'y a point de liberté, parce qu'on » peut craindre que le même monarque ou le mê,, me fénat ne faffe des loix tiranniques, pour les exécuter tiranniquement " Mais de grace, quelle connexion la puissance de faire des loix a-telle avec celle d'envoyer des ambaffadeurs, pour qu'on puiffe regarder celle-ci comme exécutrice de ce que le législateur établit ? Comment l'acte d'envoyer des ambaffadeurs &c. peut-il opérer tiranniquement fur des loix, auxquelles il ne s'étend point.

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Il n'y a point encore de liberté, fi la puiffance de juger n'eft pas féparée de la puiffance législative, & de l'exécutrice. Si elle étoit jointe à la puiffance législative, le

point. La puiffance législative dénonce une peine contre les affemblées; fuppofons que ce foit une loi tirannique, l'acte d'envoyer des ambaffadeurs &c. peut-il être un moyen d'exécuter tiranniquement cette loi? Il faut en dire tout autant des paffages qui fuivent, & pour les rendre compréhenfibles les corriger de cette façon. La puiffance législative eft cette partie du gouvernement qui or. donne, en déclarant la volonté du fouverain par des loix la judiciaire eft celle qui prononce files actions tombent fous la loi l'exécutrice eft celle qui fait exécuter la volonté du fouverain. Ces trois puis. fances, diftinguées de telle maniere, nous éclairciffent la penfée de notre auteur, qui revient à ceci. La puiffance législative défend les affemblées privées: cette loi eft fuppofée tirannique. Si Ja puiffance législative fe trouvoit jointe à l'exécu trice, celle-ci pourroit exécuter tiranniquement les peines portées par cette loi: parce qu'en ce cas la volonté fe trouveroit combinée à la force: De même fi la puiffance judiciaire fe trouvoit jointe à la législative, les jugemens ne fuivroient pas tant l'efprit de la loi, ou fon équité, mais la volonté & les vues particulieres de celui qui l'a faite. Le jage feroit législateur, comme notre auteur s'exprime très bien. En interprétant ainfi Mr. de MONTESQUIEU, il y a moyen de l'entendre, & tout ce qu'il dit prouve évidemment qu'on ne peut l'expliquer d'une autre façon, à moins d'en ôter tout le fens & de tomber dans l'abfurde. (R. d'un A.)

le pouvoir fur la vie & la liberté des citoyens feroit arbitraire; car le juge feroit législateur. Si elle étoit jointe à la puisfance exécutrice, le juge pourroit avoir la force d'un oppreffeur.

Tout feroit perdu, fi le même homme, ou le même corps des principaux, ou des nobles, ou du peuple, exerçoient ces trois pouvoirs celui de faire des loix, celui d'exécuter les réfolutions publiques, & celui de juger les crimes ou les différends des particuliers.

Dans la plupart des royaumes de l'Europe, le gouvernement eft modéré; parce que le prince qui a les deux premiers pouvoirs, laiffe à fes fujets l'exercice du troifieme. Chez les Turcs, où ces trois ponvoirs font réunis fur la tête du fultan, ä regne un affreux defpotifme.

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Dans les républiques d'Italie, où ces trois pouvoirs font réunis, la liberté fe trouve moins que dans nos monarchies (f). Auffi le gouvernement a-t-il befoin, pour fe maintenir, de moyens auffi violens que te gouvernement des Turcs; témoins les

(f) Je dis ici ce que j'ai dit plus haut à la note (e) & tous les paffages fuivans en font des preuves. (R. d'un A.)

les inquifiteurs d'état (*), & le tronc où tout délateur peut à tous les momens jetter avec un billet fon accufation.

Voyez quelle peut être la fituation d'un citoyen dans ces républiques. Le même corps de magiftrature a, comme exécuteur des loix, toute la puiffance qu'il s'eft donnée comme législateur. Il peut ravager l'état par fes volontés générales; & comme il a encore la puiffance de juger, il peut détruire chaque citoyen par fes volontés particulieres.

Toute la puiffance y eft une; &, quoiqu'il n'y ait point de pompe extérieure qui découvre un prince defpotique, on le fent à chaque inftant.

Auffi les princes qui ont voulu fe rendre defpotiques, ont-ils toujours commencé par réunir en leur perfonne toutes les magiftratures, & plufieurs rois d'Europe toutes les grandes charges de leur état.

Je crois bien que la pure ariftocratie héréditaire des républiques d'Italie, ne répond pas précisément au defpotifme de l'Afie. La multitude des magiftrats adoucit quelquefois la magiftrature; tous les nobles ne concourent pas toujours aux mêmes deffeins; on y forme divers tribunaux

(*) A Venife.

bunaux qui fe temperent. Ainfi à Venife le grand confeil, a la législation; le prégady, l'exécution; les quaranties, le pouvoir de juger. Mais le mal eft, que ces tribunaux différens font formés par des magistrats du même corps; ce qui ne fait guere qu'une même puiffance.

La puiffance de juger ne doit pas être donnée à un fénat permanent, mais exercée par des perfonnes tirées du corps du peuple (†), dans certains temps de l'année, de la maniere prefcrite par la loi, pour former un tribunal qui ne dure qu'autant que la néceffité le requiert.

De cette façon, la puiffance de juger, fi terrible parmi les hommes, n'étant attachée, ni à un certain état, ni à une certaine profeffion, devient, pour ainfi dire, invifible & nulle. On n'a point continuellement des juges devant les yeux, & l'on craint la magiftrature & non pas les magistrats.

Il faut même que, dans les grandes accufations, le criminel, concurremment avec la loi, fe choififfe des juges; ou du moins qu'il en puiffe récufer un fi grand nombre, que ceux qui reftent, foient cenfés être de fon choix.

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(†) Comme à Athenes.

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