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La loi qui fixe la maniere de donner les billets de fuffrage, eft encore une loi fondamentale dans la démocratie. C'est une grande queftion, fi les fuffrages doivent être publics, ou fecrets. Ciceron (*) écrit que les loix (†) qui les rendirent fecrets dans les derniers temps de la république Romaine, furent une des grandes caufes de fa chûte.

Comme ceci fe pratique diversement dans différentes républiques, voici, je crois, ce qu'il en faut penfer.

Sans doute que, lorfque le peuple donne fes fuffrages, ils doivent être publics (+); & ceci doit être regardé comme une loi fondamentale de la démocratie. Il faut que le petit peuple foit éclairé par les principaux, & contenu par la gravité de certains perfonnages. Ainfi dans la république Romaine, en rendant les fuffrages fecrets, on détruifit tout; il ne fut plus poffible d'éclairer une populace qui fe perdoit. Mais, lorfque, dans une ariftocratie, le corps des nobles donne les fuffrages (S), ou, dans

(*) Liv. I. & III. des loix.

une

(†) Elles s'appelloient loix tabulaires. On donnoit à chaque citoyen deux tables; la premiere marquée d'un A, pour dire antiquo; l'autre d'un U & d'une R, uti rogas.

(4) A Athenes, on levoit les mains.
(§) Comme à Venife.

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une démocratie, le fénat (**); comme il n'eft là question que de prévenir les brigues, les fuffrages ne fauroient être trop fecrets.

La brigue eft dangereuse dans un fénat; elle eft dangereufe dans un corps de nobles: elle ne l'eft pas dans le peuple, dont la nature eft d'agir par paffion. Dans les états où il n'a point de part ati gouvernement, il s'échauffera pour un acteur, comme il auroit fait pour les affaires. Le malheur d'une république, c'eft lorfqu'il n'y a plus de brigues; & cela arrive, lorfqu'on a corrompu le peuple à prix d'argent: il devient de fang-froid, il s'affectionne à l'argent, mais il ne s'affectionne plus aux affaires: fans fouci du gouvernement, & de ce qu'on y propofe, il attend tranquil lement fon falaire.

C'est encore une loi fondamentale de la démocratie, que le peuple feul faffe des loix (e). Il y a pourtant mille occafions où il eft

(**) Les trente tyrans d'Athènes voulurent que les fuffrages des Areopagites fuffent publics, pour les diriger à leur fantaifie. Lyfias, orat. contra Agorat. Cap. VIII.

(e) Celui qui fait les loix commande: celui qui commande eft le fouverain: fi le peuple feul ne fait

les

il est néceffaire que le fénat puiffe ftatuer; il eft même fouvent à propos d'effayer une loi avant de l'établir. La conftitution de Rome & celle d'Athenes étoient très- fages: les arrêts du fénat (*) avoient force de loi pendant un an; ils ne devenoient perpétuels que par la volonté du peuple.

CHAPITRE III.

Des loix relatives à la nature de l'arifto-
cratie.

DANS

ANS l'ariftocratie, la fouveraine puiffance eft entre les mains d'un certain nombre de perfonnes. Ce font elles qui font les loix, & qui les font exécuter; & le refte du peuple n'eft tout au plus, à leur égard, que comme dans une monarchie les fujets font à l'égard du monarque.

On n'y doit point donner le fuffrage par fort; on n'en auroit que les inconvéniens.

En

les loix, il n'eft pas fouverain; & le gouvernement n'eft point démocratique. Le peuple peut faire les Joix, foit par lui-même, foit par fes repréfentans : il importe de faire attention à ceci pour ne point confondre l'aristocratie avec la démocratie. (R. d'un А.)

(*) Voyez Denys d'Halicarnaffe, Liv. IV. & IX.

En effet, dans un gouvernement qui a déja établi les diftinctions les plus affligeantes, quand on feroit choifi par le fort, on n'en feroit pas moins odieux; c'est le noble qu'on envie, & non pas le magiftrat.

Lorfque les nobles font en grand nombre, il faut un fénat qui regle les affaires que le corps des nobles ne fauroit décider, & qui prépare celles dont il décide. Dans ce cas, on peut dire que l'ariftocratie eft en quelque forte dans le fénat, la démocratie dans le corps des nobles, & que le peuple n'eft rien.

Ce fera une chofe très-heureufe dans l'a riftocratie, fi, par quelque voie indirecte, on fait fortir le peuple de fon anéantiffe. ment: ainfi à Genes la banque de faint Georges, qui eft adminiftrée en grande partie par les principaux du peuple (†), donne à celui-ci une certaine influence dans le gouvernement, qui en fait toute la profpérité.

Les fénateurs ne doivent point avoir le droit de remplacer ceux qui manquent dans le fénat, rien ne feroit plus capable de perpétuer les abus. A Rome, qui fut, dans les premiers tems, une efpece d'arifto

cratie,

(†) Voyez M. Addisson, voyages d'Italie, p. 16.

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eratie, le fénat ne fe fuppléoit pas luimême; les fénateurs nouveaux étoient nommés (*) par les cenfeurs.

Une autorité exorbitante, donnée toutà-coup à un citoyen dans une république, forme une monarchie, ou plus qu'une monarchie. Dans celles - ci les loix ont pourvu à la conftitution, ou s'y font accommodées; le principe du gouvernement arrête le monarque mais, dans une république où un citoyen fe fait donner (†) un pouvoir exorbitant, l'abus de ce pouvoir eft plus grand, parce que les loix, qui ne l'ont point prévu, n'ont rien fait pour l'arrêter.

L'exception à cette regle eft, lorfque la conftitution de l'état eft telle, qu'il a befoin d'une magiftrature qui ait un pouvoir exorbitant. Tel étoit Rome avec fes dictateurs, telle eft Venife avec fes inquifiteurs d'état; ce font des magiftratures terribles, qui ramennent violemment l'état à la liberté. Mais, d'où vient que ces magistratures fe trouvent fi différentes dans ces deux républiques? C'eft que Rome défendoit les reftes de fon ariftocratie contre le

peu

(*) Ils le furent d'abord par les confuls. (+) C'eft ce qui renverfa la république Romai ne. Voyez les Confidérations fur les caufes de la grandeur des Romains & de leur décadence. Paris 1755.

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