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CHAPITRE V.

Comment la monarchie. pourvoit à
fa fureté.

A monarchie ne fe détruit pas

elle-même, comme l'état defpotique; mais un état d'une grandeur médiocre pourroit être d'abord envahi. Elle a donc des places fortes qui défendent fes frontieres, & des armées pour défendre fes places fortés (k). Le plus petit terrein s'y difpute avec art, avec courage, avec opiniâtreté. Les états defpotiques font entr'eux des invafions; il n'y a que les monarchies qui faffent la guerre (1).

Les places fortes appartiennent aux monarchies; les états defpotiques craignent d'en avoir. Ils n'ofent les confier à perfonne; car perfonne n'y aime l'état & le prince.

(k) Les fages Républiques ont tout cela; & font de même tout ce que les Monarques les plus fenfès peuvent faire. (R. d'un A.)

(Se nuire par des invafions n'est-ce pas faire la guerre? Comment donc appeller les defcentes des Anglois fur les côtes de France. Avouons que Mr. de MONTESQUIEU a fouvent des idées trèsfingulieres. (R. d'un A.)

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CHA

CHAPITRE VI.

De la force défenfive des états en général.

OUR

POUR Pour qu'un état foit dans fa force, il faut que fa grandeur foit telle, qu'il y ait un rapport de la viteffe avec laquelle on peut exécuter contre lui quelque entreprife, & la promptitude qu'il peut emplo yer pour la rendre vaine. Comme celui qui attaque peut d'abord paroître partout, il faut que celui qui défend puiffe fe montrer par-tout auffi; & par conféquent, que l'étendue de l'état foit médiocre, afin qu'elle foit proportionnée au degré de viteffe que la nature a donné aux hommes pour fe tranfporter d'un lieu à

un autre.

La France & l'Espagne font précisément de la grandeur requife. Les forces fe communiquent fi bien, qu'elles fe portent d'abord là où l'on veut; les armées s'y joignent & paffent rapidement d'une frontiere à l'autre, & l'on n'y craint aucune des chofes qui ont befoin d'un certain temps pour être exécutées.

En France, par un bonheur admirable, la capitale fe trouve plus près des diffé

rentes

rentes frontieres juftement à proportion de leur foibleffe; & le prince y voit mieux chaque partie de fon pays, à mesure qu'elle eft plus exposée.

Mais lorsqu'un vafte état, tel que la Perfe, eft attaqué, il faut plufieurs mois pour que les troupes difperfées puiffent s'affembler; & on ne force pas leur marche pendant tant de temps, comme on fait pendant quinze jours. Si l'armée qui eft fur la frontiere eft battue, elle eft furement difperfée, parce que fes retraites ne font pas prochaines. L'armée victorieufe, qui ne trouve pas de résistance, s'avance à grandes journées, paroît devant la capitale & en forme le fiége, lorfqu'à peine les gouverneurs des provinces peuvent être avertis d'envoyer du fecours. Ceux qui jugent la révolution prochaine, la hâtent en n'obéiffant pas. Car des gens, fideles uniquement parce que la punition eft proche, ne le font plus dès qu'elle eft éloignée; ils travaillent à leurs intérêts particuliers. L'empire fe diffout, la capitale eft prife, & le conquérant dispute les provinces avec les gouverneurs.

La vraie puiffance d'un prince ne con fifte pas tant dans la facilité qu'il y a à conquérir, que dans la difficulté qu'il y a à l'attaquer; &, fi j'ofe parler ainfi, dans N 5

Pim

l'immutabilité de fa condition. Mais l'aggrandiffement des états leur fait montrer de nouveaux côtés par où on peut les prendre.

Ainfi, comme les monarques doivent avoir de la fageffe pour augmenter leur puiffance, ils ne doivent pas avoir moins de prudence, afin de la borner. En fai fant ceffer les inconvéniens de la petiteffe, il faut qu'ils aient toujours l'œil fur les inconvéniens de la grandeur.

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CHAPITRE VIL

Réflexions.

Es ennemis d'un grand prince qui a fi long-temps régné, l'ont mille fois accufé, plutôt, je crois, fur leurs crain tes que fur leurs raifons, d'avoir formé & conduit le projet de la monarchie univerfelle. S'il y avoit réuffi, rien n'auroit été plus fatal à l'Europe, à fes anciens fujets, à lui, à fa famille. Le ciel, qui connoît les vrais avantages, l'a mieux fervi par des défaites, qu'il n'auroit fait par des victoires. Au lieu de le rendre le feul roi de l'Europe, il le favorifa plus, en le rendant le plus puiffant de tous.

Sa

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I

יך

Sa nation, qui, dans les pays étrangers, n'eft jamais touchée que de ce qu'elle a quitté; qui, en partant de chez elle, regarde la gloire comme le fouverain bien, & dans les pays éloignés comme un obstacle à fon retour; qui indifpofe par fes bonnes qualités mêmes, parce qu'elle paroit y joindre du mépris; qui peut fupporter les bleffures, les périls & les fatigues, & non pas la perte de fes plaisirs; qui n'aime rien que fa gaieté, & fe confole de la perte d'une bataille lorfqu'elle a chanté le général, n'auroit jamais été jusqu'au bout d'une entreprife, qui ne peut manquer dans un pays fans manquer dans tous les autres, ni manquer un moment fans manquer pour toujours.

CHAPITRE VIII.

Cas où la force défenfive d'un état eft
inférieure à fa force offenfive.

C'E

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'ETOIT le mot du fire de Coucy au roi Charles V, » que les Anglois ne font jamais fi foibles, ni fi aifés à vain» cre que chez eux C'est ce qu'on difoit des Romains; c'eft ce qu'éprouverent les Carthaginois; c'eft ce qui arrivera

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à toute

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