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luxe donne cette efpérance; chacun prend les marques de la condition qui précede la fienne. Mais à force de vouloir fe distinguer, tout devient égal, & on ne fe diftingue plus comme tout le monde veut fe faire regarder, on ne remarque perfonne.

Il réfulte de tout cela une incommodité générale. Ceux qui excellent dans une profeffion mettent à leur art le prix qu'ils veulent; les plus petits talens fuivent cet exemple; il n'y a plus d'harmonie entre les befoins & les moyens. Lorsque je fuis forcé de plaider, il eft nécesfaire que je puiffe payer un avocat; lorsque je fuis malade, il faut que je puiffe avoir un médecin.

Quelques gens ont penfé qu'en affemblant tant de peuple dans une capitale, on diminuoit le commerce, parce que les hommes ne font plus à une certaine distance les uns des autres. Je ne le crois pas; on a plus de defirs, plus de befoins, plus de fantaifies quand on eft enfemble.

CHA

CHAPITRE IL

Des loix fomptuaires dans la démocratie.

JE

E viens de dire que, dans les républiques, où les richeffes font également partagées, il ne peut point y avoir de luxe; & comme on a vu au livre cinquieme (*), que cette égalité de diftribution faifoit l'excellence d'une république (a), il fuit que moins il y a de luxe dans une république, plus elle eft parfaite. Il n'y

(*) Chap. III. & IV.

en

(a) Le luxe n'eft pas plus étranger à une répu blique qu'à tout autre état, parce qu'il peut être la fuite de l'induftrie & du travail auffi bien que de toute autre caufe. Tant que la conftitution d'un gouvernement n'eft point altérée, le plus & le moins de dépenfes d'un citoyen n'y portent point de changement: c'eft même une regle géné rale que, dans tout gouvernement, de quelque nature qu'il foit, dans lequel on eft obligé de chercher fa fubfiftance par l'industrie & le travail, il faut du luxe, c'eft-à-dire, des dépenfes qui ramenent au général les acquifitions des particu liers; & qui faifant fubfifter nombre de citoyens accroît par ces dépenfes mêmes les forces de l'état: car fa richeffe croît & décroît fuivant la citculation qui fe fait des richeffes du particulier. (R. d'un A.)

en avoit point chez les premiers Romains; il n'y en avoit point chez les Lacédémoniens; & dans les républiques où l'égalité n'est pas tout-à-fait perdue, l'efprit de commerce, de travail & de vertu, fait que chacun y peut & que chacun y veut vivre de fon propre bien, & que par conféquent il y a peu de luxe.

Les loix du nouveau partage des champs, demandées avec tant d'inftance dans quelques républiques, étoient falutaires par leur nature. Elles ne font dangereufes que comme action fubite. En ôtant toutà-coup les richesses aux uns, & augmentant de même celles des autres, elles font dans chaque famille une révolution, & en doivent produire une générale dans l'état.

A mesure que le luxe s'établit dans une république l'efprit fe tourne vers l'intérêt particulier. A des gens à qui il ne faut rien que le néceffaire, il ne refte à defirer que la gloire de la patrie & la fienne propre. Mais une ame corrompue par le luxe a bien d'autres defirs. Bientôt. elle devient ennemie des loix qui la gênent. Le luxe que la garnifon de Rhege commença à connoître, fit qu'elle en égorgea les habitans.

Si-tôt que les Romains furent corrompus, leurs defirs devinrent immenfes. On

Tom. I.

K

en

en peut juger par le prix qu'ils mirent aux chofes. Une cruche de vin de Falerne (†) fe vendoit cent deniers Romains; un barril de chair falée du Pont en coûtoit quatre cens; un bon cuifinier quatre talens; les jeunes garçons n'avoient point de prix. Quand, par une impétuofité (4) générale, tout le monde fe portoit à la volupté, que devenoit la vertu?

CHAPITRE III.

Des loix fomptuaires dans l'aristocratie.

L'ARISTOCRATIE mal conftitutée a ce malheur, que les nobles y ont les richeffes, & que cependant ils ne doivent pas dépenfer; le luxe contraire à l'efprit de modération en doit être banni. Il n'y a donc que des gens très- pauvres qui ne peuvent pas recevoir, & des gens trèsriches qui ne peuvent pas dépenfer.

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A Venife, les loix forcent les nobles à la modeftie. Ils fe font tellement accoutumés

(†) Fragment du 365 livre de Diodore, rapporté par Conft. Porphyrog. extrait des vertus & des vices.

(+) Cùm maximus omnium impetus ad luxu riam effet, ibid.

=tumés à l'épargne, qu'il n'y a que les courtifanes qui puiffent leur faire donner de l'argent. On fe fert de cette voie pour entretenir l'induftrie; les femmes les plus méprifables y dépenfent fans danger, pendant que leurs tributaires y menent la vie du monde la plus obfcure.

Les bonnes républiques Grecques avoient à cet égard des inftitutions admirables. Les riches employoient leur argent en fêtes, en chœurs de mufique, en chariots, en chevaux pour la courfe, en magiftrature onéreufe. Les richeffes y étoient auffi à charge que la pauvreté (b).

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CHAPITRE IV.

Des loix fomptuaires dans les monarchies.

L

ES Suions, nation Germanique, rendent honneur aux richeffes, dit Ta

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(b) Si, dans une république, l'induftrie & le travail y produifent l'abondance, & par l'abondance le luxe, & que ce luxe faffe vivre nombre de citoyens & d'habitans, ce moyen ne vaudrat-il pas les fêtes, les choeurs de mufique, les chariots & les chevaux pour la courfe, & toutes les admirables inftitutions des républiques Grecques, que notre Auteur admire? (R. d'un A.)

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