Page images
PDF
EPUB

ב

[ocr errors]

la jouiffance d'un bonheur conftant & d'une douce tranquillité : & s'il avoit craint que les efprits, accoutumés à n'ètre. arrêtés que par une peine cruelle, ne pusfent plus l'être par une plus douce, il auroit agi (4) d'une maniere fourde & infenfible; il auroit, dans les cas particuliers les plus graciables, modéré la peine du crime, jufqu'à ce qu'il eût pu parvenir à la modifier dans tous les cas.

Mais le defpotifme ne connoît point cés refforts ; il ne mene pas par ces voies; il peut abufer de lui, mais c'eft tout ce qu'il peut faire au Japon il a fait un effort til eft devenu plus cruel que lui-même.

Des ames par- tout effarouchées & ren3 dues plus atroces, n'ont pu être condui tes que par une atrocité plus grande.

[ocr errors]

Voilà l'origine, voilà l'efprit des loix du Japon. Mais elles ont eu plus de fureur que de force. Elles ont réuffi à 0 détruire le chriftianifme; mais des efforts fi inouis font une preuve de leur impuisfance. Elles ont voulu établir une bonne police, & leur foibleffe a paru encore mieux.

[ocr errors]

[+] Remarquez bien ceci comme une maxime de pratique dans les cas où les efprits ont été gâtés par des peines trop rigoureuses.

[ocr errors]

Il faut lire la relation de l'entrevue de l'empereur & du deyro à Meaco (§). Le nombre de ceux qui y furent étouffés, ou tués par des garnemens, fut incroya ble; on enleva les jeunes filles & les garçons; on les retrouvoit tous les jours expofés dans des lieux publics à des heures indues, tous nuds, coufus dans des facs de toiles, afin qu'ils ne connuffent pas les lieux par où ils avoient paffé; on vola tout ce qu'on voulut; on fendit le ventre à des chevaux pour faire tomber ceux qui les montoient; on renverfa des voitures pour dépouiller les dames. Les Hollandois, à qui l'on dit qu'ils ne pouvoient paffer la nuit fur des échafauds fans être affaffinés, en defcendirent, &c.

Je pafferai vite fur un autre trait. L'empereur adonné à des plaifirs infâmes, ne fe marioit point: il couroit rifque de mourir fans fucceffeur. Le deyro lui envoya deux filles très belles: il en époufa une par refpect, mais il n'eut aucun commerce avec elle. Sa nourrice fit chercher les plus belles femmes de l'empire; tout étoit inutile: la fille d'un armurier étonna

[ocr errors]

fon

[§] Recueil des voyages qui ont fervi à l'éta bliffement de la compagnie des Indes, Tome V,

pag. 2.

fon goût (**); il fe détermina, il en eut un fils. Les dames de la cour, indignées de ce qu'il leur avoit préféré une perfonne d'une fi baffe naiffance, étoufferent l'enfant. Ce crime fut caché à l'empereur, il auroit verfé un torrent de fang. L'a

trocité des loix en empèche donc l'exécution lorfque la peine eft fans mefure, on est souvent obligé de lui préférer l'impunité.

S

CHAPITRE XIV.

De l'efprit du fénat de Rome.

[ocr errors]

OUS le confulat d'Acilius Glabrio & de Pifon, on fit la loi Acilia (*) pour arrêter les brigues. Dion dit (†) que le fénat engagea les confuls à la propofer parce que le tribun C. Cornelius avoit réfolu de faire établir des peines terribles contre ce crime, à quoi le peuple étoit fort

[**] Ibid.

[*] Les coupables étoient condamnés à une amende; ils ne pouvoient plus être admis dans l'ordre des fénateurs & nommés à aucune magistrature, Dion, Liv. XXXVI.

[+] Ibid.

fort porté. Le fénat penfoit que des peines immodérées jetteroient bien la terreur dans les efprits; mais qu'elles auroient cet effet, qu'on ne trouveroit plus perfonne pour accufer, ni pour condamner; au lieu qu'en propofant des peines modiques, on auroit des juges & des accufa

teurs.

CHAPITRE XV.

Des loix des Romains, à l'égard des peines.

me trouve fort dans mes maximes,

J'loque j'ai pour moi les Romains; &

je crois que les peines tiennent à la nature du gouvernement, lorfque je vois ce grand peuple changer à cet égard de loix civiles, à mesure qu'il changeoit de loix politiques.

Les loix royales, faites pour un peuple compofé de fugitifs, d'efclaves & de brigands, furent très-féveres. L'efprit de la république auroit demandé que les décemvirs n'euffent pas mis ces loix dans leurs douze tables: mais des gens qui afpiroient à la tirannie, n'avoient garde de fuivre l'efprit de la république.

Tite - Live (*) dit, fur le fupplice de Métius Suffétius, dictateur d'Albe, qui fut condamné par Tullus Hoftilius à être tiré par deux chariots, que ce fut le premier & le dernier fupplice où l'on témoigna avoir perdu la mémoire de l'humanité. Il fe trompe: 'la loi des douze tables eft pleine de difpofitions très - cruelles (†).

Celle qui découvre le mieux le deffein des décemvirs, eft la peine capitale prononcée contre les auteurs des libelles & les poëtes. Cela n'eft guere du génie de la république, où le peuple aime à voir les grands humiliés. Mais des gens qui vouloient renverfer la liberté, craignoient des écrits qui pouvoient rappeller l'efprit de la liberté (4).

Après l'expulfion des décemvirs, pref que toutes les loix qui avoient fixé les peines furent ôtées. On ne les abrogea pas expreffément: mais, la loi Porcia ayant défendu

[*] Liv. I.

[+] On y trouve le fupplice du feu, des peines prefque toujours capitales, le vol puni de mort, &c.

:

[+] Sylla, animé du même efprit que les décemvirs, augmenta comme eux les peines contre les écrivains fatyriques.

« PreviousContinue »