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Quelqu'inconvénient fe fait-il fentir dans un état? un gouvernement violent veut foudain le corriger; & au lieu de fonger à faire exécuter les anciennes loix, on établit une peine cruelle qui arrête le mal fur le champ. Mais on use le reffort du gouvernement; l'imagination fe fait à cette grande peine, comme elle s'étoit faite à la moindre; &, comme on diminue la crainte pour celle-ci, l'on eft bien - tôt forcé d'établir l'autre dans tous les cas. Les vols fur les grands chemins étoient communs dans quelques états; on voulut les arrêter on inventa le fupplice de la roue, qui les fufpendit pendant quelque temps. Depuis ce temps, on a volé comme auparavant fur les grands chemins.

De nos jours, la défertion fut très-fré quente; on établit la peine de mort contre les déferteurs, & la défertion n'eft pas diminuée. La raifon en eft bien naturelle: un foldat accoutumé tous les jours à expofer fa vie, en méprife ou fe flatte d'en méprifer le danger. Il eft tous les jours accoutumé à craindre falloit donc laiffer une peine (*) qui faifoit porter une flétriffure pendant la vie; on a prétendu augmenter la peine, & on l'a réellement diminuée.

*) nonte: il

(*) On fendoit le nez, on coupoit les oreilles.

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Il ne faut point mener les hommes par les voies extrêmes; on doit être ménager des moyens que la nature nous donne pour les conduire. Qu'on examine lacaufe de tous les relâchemens; on verra qu'elle vient de l'impunité des crimes, & non pas de la modération des peines.

Suivons la nature, qui a donné aux hommes la honte comme leur fléau; & que la plus grande partie de la peine, soit l'infamie de la fouffrir.

Que s'il fe trouve des pays où la honte ne foit pas une fuite du fupplice, cela vient de la tirannie, qui a infiigé les mêmes peines aux félérats & aux gens de bien.

Et fi vous en voyez d'autres, où les hommes ne font retenus que par des fupplices cruels, comptez encore que cela vient en grande partie de la violence du gouvernement, qui a employé ces fupplices pour des fautes légeres.

Souvent un législateur, qui veut corriger un mal, ne fonge qu'à cette correction; fes yeux font ouverts fur cet objet, & fermés fur les inconvéniens. Lorfque le mal eft une fois corrigé, on ne voit plus que la dureté du législateur: mais il reste un vice dans l'état, que cette dureté

a pro

a produit; les efprits font corrompus, ils fe font accoutumés au defpotifme.

Lyfandre (t) ayant remporté la victoire fur les Athéniens, on jugea les prifonniers ; on accufa les Athéniens d'avoir précipité tous les captifs de deux galeres, & réfolu en pleine affemblée de couper le poing aux prifonniers qu'ils feroient. Ils furent tous égorgés, excepté Adymante qui s'étoit oppofé à ce décret. Lyfandre reprocha à Philocles avant de le faire mourir, qu'il avoit dépravé les efprits, & fait des leçons de cruauté à toute la Grece. Les Argiens, dit Plutarque (4), ayant fait mourir quinze cens de leurs citoyens, les Athéniens firent apporter les facrifices d'expiation, afin qu'il plût aux dieux de détourner du cœur des Athéniens une fi cruelle penfée ".

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Il y a deux genres de corruption; l'un, lorfque le peuple n'obferve point les loix; l'autre, lorfqu'il eft corrompu par les loix: mal incurable, parce qu'il eft dans le remede même.

(†) Xenophon, hift. Liv. II.

(+) Oeuvres morales, de ceux qui manient les affaires d'état.

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CHAPITRE XIII.

Impuiffance des loix Japonoifes.

Es péines outrées peuvent corrompre _t. le defpotifme même: jettous les yeux fur le Japon.

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On y punit de mort prefque tous les crimes (*), parce que la défobéiffance à un fi grand empereur que celui du Japon, eft un crime énorme. Il n'eft pas aqueftion de corriger le coupable, mais de venger le prince. Ces idées font tirées ter de la fervitude, & viennent fur tout de it ce que, l'empereur étant propriétaire de Ath tous les biens, prefque tous les crimes fe

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font directement contre fes intérêts.

l'a On punit de mort les menfonges qui lo fe font devant les magiftrats (†); chofe lo contraire à la défenfe naturelle.

I

Ce qui n'a point l'apparence d'un crime eft là féverement puni; par exemple, un homme

[*] Voyez Kempfer.

[+] Recueil des voyages qui ont fervi à l'établiffement de la compagnie des Indes. Tom. III, part. 2, pag. 428.

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homme qui hazarde de l'argent au jeu eft puni de mort.

Il est vrai que le caractere étonnant de ce peuple opiniâtre, capricieux, déterminé, bizarre, & qui brave tous les périls & tous les malheurs, femble à la premfere vue abfoudre fes législateurs de l'atrocité de leurs loix. Mais, des gens qui natu rellement méprifent la mort & qui s'ou vrent le ventre pour la moindre fantaifie, font-ils corrigés ou arrêtés par la vue continuelle des fupplices? & ne s'y familiarifent-ils pas ?

Les relations nous difent, au fujet de l'éducation des Japonois, qu'il faut trai ter les enfans avec douceur, parce qu'ils s'obstinent contre les peines; que les efclaves ne doivent point être trop rudement traités, parce qu'ils fe mettent d'abord en défense. Par l'esprit qui doit régner dans le gouvernement domeftique, n'auroit-on pas pu juger de celui qu'on devoit porter dans le gouvernement politique & civil?

Un législateur fage auroit cherché à ramener les efprits par un jufte tempérament des peines & des récompenses; par des maximes de philofophie, de morale & de religion, afforties à ces caracteres; par la jufte application des regles de l'honneur; par le fupplice de la honte; par

la

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