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c'eft toujours un inconvénient, que le peuple juge lui-même fes offenses); il faut, pour y remédier, que les loix pourvoient autant qu'il eft en elles à la fureté des particuliers.

Dans cette idée, les législateurs de Rome firent deux chofes; ils permirent aux accufés de s'exiler (†) avant le jugement (4): & ils voulurent que les biens des condamnés fuffent confacrés, pour que le peuple J n'en eût pas la confifcation. On verra dans le livre XI les autres limitations que l'on mit à la puiffance que le peuple avoit de juger.

Solon fut bien prévenir l'abus que le peuple pourroit faire de fa puiffance dans 1 le jugement des crimes: il voulut que l'aréopage revit l'affaire; que, s'il croyoit l'accufé injuftement abfous (§), il l'accufât de nouveau devant le peuple; que, s'il le croyoit injuftement condamné,

(†) Cela eft bien expliqué dans l'oraifon de Cicéron pro Cacinnâ, à la fin.

(+) C'étoit une loi d'Athenes, comme il paroît par Démofthene: Socrate refufa de s'en fervir.

(§) Démofthene, fur la couronne, pag. 494. édit, de Francfort, de l'an 1604.

né (**), il arrêtât l'exécution, & lui fit rejuger l'affaire: loi admirable, qui foumettoit le peuple à la cenfure de la magistrature qu'il refpectoit le plus, & à la fienne même!

Il fera bon de mettre quelque lenteur dans des affaires pareilles, fur-tout du moment que l'accufé fera prifonnier, afin que le peuple puiffe fe calmer & juger de fang - froid.

Dans les états defpotiques, le prince peut juger lui-même. Il ne le peut dans les monarchies: la conftitution feroit dé truite, les pouvoirs intermédiaires dépendans, anéantis; on verroit ceffer toutes les formalités des jugemens; la crainte s'empareroit de tous les efprits; on verroit la pâleur fur tous les vifages; plus de confiance, plus d'honneur, plus d'amour, plus de fureté, plus de monarchie.

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Voici d'autres réflexions. Dans les états monarchiques, le prince eft la partie qui pourfuit les accufés, & les fait punir ou abfoudre; s'il jugeoit lui-même, il feroit le juge & la partie.

(**) Voyez Philoftrate, vie des fophiftes, 1. vie d'fchines.

Dans

Liv.

Dans ces mêmes états, le prince a fouvent les confifcations; s'il jugeoit les crimes, il feroit encore le juge & la partie.

De plus, il perdroit le plus bel attribut de fa fouveraineté, qui eft celui de faire grace (†): il feroit infenfé qu'il fit & défit fes jugemens: il ne voudroit pas être en contradiction avec lui-même.

Outre que cela confondroit toutes les idées; on ne fauroit fi un homme feroit abfous, ou s'il recevroit fa grace.

Lorfque Louis XIII. voulut être juge dans le procès du duc de la Valette (+), & qu'il appella, pour cela, dans fon cabinet, quelques officiers du parlement & quelques confeillers d'état; le roi les ayant forcés d'opiner fur le décret de prife de corps, le président de Believre dit: 35 qu'il voyoit dans cette affaire une chofe étrange, un prince opiner au procès d'un de fes fujets; que les rois ne s'étoient réfervés que les graces, & qu'ils

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(tt) Platon ne pense pas que les rois, qui font, dit-il, prêtres, puiffent affifter au jugement où l'on condamne à la mort, à l'exil, à la prifon.

(+4) Voyez la relation du procès fait à Mr. le duc de la Valette. Elle eft imprimée dansles mémoires de Montrefor, Tom. I. pag. 62.

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renvoyoient les condamnations vers leurs officiers. Et votre majesté voudroit bien voir fur la félette un hom,, me devant elle, qui, par fon jugement, iroit dans une heure à la mort? Que la face du prince, qui porte les » graces, ne peut foutenir cela; que fa vue feule levoit les interdits des égli fes; qu'on ne devoit fortir que content de devant le prince ". Lorfqu'on jugea le fonds, le même préfident dit dans fon avis: cela eft un jugement fans exemple, voire contre tous les exemples du paffé jufqu'à huy, qu'un roi de France ait condamné en qualité de juge par fon avis, un gentilhomme » à mort ($$) (a).

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(§§) Cela fut changé dans la fuite. Voyez la même relation.

(a) Cette raifon de Mr. de MONTESQUIEU, pour prouver qu'un monarque ne doit point juger lui-même paroit affez frivole, & le difcours du préfident de Believre, qu'il nous cite, n'eft gueres propre à la confirmer. Quand un accufé eft condamné, ce ne font pas proprement les juges qui lui infligent la peine, c'eft la loi. Or la loi eft la volonté du fouverain; donc c'est toujours le fouverain qui condamne, foit que les fentences foient portées par des tribunaux, foit par le prince. Il paroît par-là que la faculté de juger ne fait point perdre l'attribut de faire grace;

encore

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עד

1

Les jugemens rendus par le prince feroient une fource intariffable d'injuftices & d'abus; les courtifans extorqueroient, par leur importunité, fes jugemens. Quelques empereurs Romains eurent la fureur de juger nuls regnes n'étonnerent plus l'univers par leurs injuftices.

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Claude, dit Tacite (***), ayant attiré à lui le jugement des affaires & les fonctions des magiftrats, donna occafion à

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encore moins peut-on avancer que fi le fouverain jugeoit lui même il feroit en contradiction avec lui-même, & qu'il fe trouveroit dans le cas de faire de défaire fes propres jugemens: car l'attribut de faire grace eft la faculté d'exempter dans un cas particulier d'une peine ftatuée par la loi Or pourquoi un fouverain qui donne une: loi générale, & qui jugeroit les accufes fuivant cette loi, ne pourroit-il pas exempter de cette 미 loi dans un cas où le bien public lui paroîtroit l'exiger, fans que pour cela il fe trouvât en contradiction avec lui-même. Prononcer fuivant des loix, faites pour contenir les citoyens dans leur devoir, & exempter quelqu'un d'une peine portée par la loi, lorfque les circonftances femblent l'exiger, peut-on nommer cela faire & défaire fes jugemens? Les autres raifons, que notre Auteur nous donne pour prouver qu'un prince ne doit pas juger lui-même, font bonnes, fi fenfées, & fi judicieufes, qu'il auroit bien pu fe paffer d'y ajouter celle dont nous venons de montrer l'infuffifance: (R. d'un A.):

ET

(***) Annal. Liv. XI.

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