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premier, les magiftratures font des témoi gnages de vertu, des dépôts que la patrie confie à un citoyen, qui ne doit vivre, agir & penfer que pour elle; il ne peut donc pas les refufer (*). Dans le fécond les magiftratures font des témoignages d'honneur: or, telle eft la bizarrerie de l'honneur, qu'il fe plaît à n'en accepter aucun que quand il veut, & de la maniere qu'il veut (1).

Le

(*) Platon, dans fa république, Liv. VIII, met ces refus au nombre des marques de la corrup tion de la république. Dans fes loix, Liv. VI il veut qu'on les punifle par une amende. A Venife, on les punit par Fexit.

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(1) Je dis que les loix doivent dans tout gou. vernement forcer un citoyen à accepter des emplois publics, qui ne donnent aucun avantage, & qui ne font pas de nature à exiger plus de temps & plus de foins que ne le fouffrent les occupations ordinaires de la vie: mais ces loix ne doi vent être faites que lorfque Pétat pourroit manquer de fujets difpofés à fe charger volontairement de ces emplois. D'un côté il faut que les affaires fe faffent: un citoyen doit toujours être prêt de fervir fa patrie lorfque l'état le demande; mais,. d'un autre côté, on doit éviter la contrain. te lorfqu'elle n'eft pas abfolument néceffaire. La bizarrerie de l'honneur dont notre Auteur parle, me paroît une chimere. Il faut fe faire un hon neur d'accepter tout emploi dont on eft jugé digne & duquel on fe fent capable. (R. d'us A.)

Le feu roi de Sardaigne (†) puniffoit ceux qui refufoient les dignités & les emplois de fon état; il fuivoit, fans le favoir, des idées républicaines. Sa maniere de gouverner d'ailleurs prouve affez que ce n'étoit pas là fon intention.

SECONDE QUESTION. Eft-ce une bonne maxime, qu'un citoyen puiffe être obligé d'accepter dans l'armée une place inférieure à celle qu'il a occupée ? On voyoit fouvent chez les Romains le capitaine fervir l'année d'après fous fon lieutenant (4). C'eft que, dans les républiques, la vertu demande qu'on faffe à l'état un facrifice continuel de foi-même & de fes répugnances. Mais, dans les monarchies, Phonneur vrai ou faux ne peut fouffrir ce qu'il appelle fe dégrader.

Dans les gouvernemens defpotiques, où l'on abufe également de l'honneur, des poftes & des rangs, on fait indifférem

†) Victor Amédée.

ment

(+) Quelques centurions ayant appellé au peuple pour demander l'emploi qu'ils avoient eu: Il est juste, mes compagnons, dit un centurion, que vous regardiez comme honorables tous les poftes où vous défendrez la république. Tite Live, liv. XLII.

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ment d'un prince un goujat, & d'un goujat un prince (m).

TROISIEME QUESTION. Mettrat-on fur une même tête les emplois civils & militaires? Il faut les unir dans la république, & les féparer dans la monarchie. Dans les républiques, il feroit bien e dangereux de faire de la profeffion des armes un état particulier, diftingué de celui qui a les fonctions civiles; & dans les monarchies, il n'y auroit pas moins de péril à donner les deux fonctions à la même perfonne.

On ne prend les armes dans la répu blique qu'en qualité de défenfeur des loix & de la patrie; c'eft parce que l'on eft p citoyen, qu'on fe fait pour un temps foldat. S'il y avoit deux états diftingués,

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on

(m) Je répondrois à cette queftion comme à la premiere. L'honneur eft proprement cette qualité morale qui nous porte à toute action louable, & qui nous empêche d'en faire de blåmables. L'honneur exige donc qu'on fe dégrale lorfque l'Etat l'exige, fi tant eft qu'on puiffe donner ce terme au fervice qu'on rend à la patrie dans un poste inférieur à celui qu'on a occupé. L'amour de la patrie exige quelquefois qu'on furmonte fes pasfions & qu'on facrifie fes intérêts particuliers à celui de l'Etat; F'honneur prefcrit le même devoir: point de différence à cet égard entre les Etats républicains & les monarchiques. (R. d'un A.)

on feroit fentir à celui qui, fous les armes, fe croit citoyen, qu'il n'eft que foldat.

Dans les monarchies, les gens de guerre n'ont pour objet que la gloire, ou du moins l'honneur ou la fortune. On doit

bien fe garder de donner les emplois civils à des hommes pareils: il faut, au contraire, qu'ils foient contenus par les ma giftrats civils; & que les mêmes gens n'aient pas en même temps la confiance du peuple, & la force pour en abuser (§).

Voyez dans une nation où la république fe cache fous la forme de la monarchie, combien l'on craint un état particulier de gens de guerre; & comment le guerrier refte toujours citoyen, ou même magistrat, afin que ces qualités foient un gage pour la patrie, & qu'on ne l'oublie ja

mais.

Cette divifion de magiftratures en civiles & militaires, faite par les Romains après la perte de la république, ne fut pas une chofe arbitraire. Elle fut une fuite du changement de la constitution de Rome; elle étoit de la nature du gouvernement monarchique; & ce qui ne fut

que

(§) Ne imperium ad optimos nobilium transferretur, fenatum militia vetuit Gallienus, etiam adire exercitum. Aurelius Victor, de viris illus trib.

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que commencé fous Augufte (**), les empereurs fuivans (tt) furent obligés de l'achever, pour tempérer le gouvernement militaire.

Ainfi Procope, concurrent de Valens à l'empire, n'y entendoit rien, lorfque donnant à Hormifdas, prince du fang-royal de Perfe, la dignité de proconful (44), il rendit à cette magiftrature le commandement des armées qu'elle avoit autrefois; à moins qu'il n'eût des raifons particulieres. Un homme qui afpire à la fouveraineté, cherche moins ce qui eft utile à l'état, que ce qui l'eft à fa cause.

Con

QUATRIEME QUESTION. vient-il que les charges foient vénales? Elles ne doivent pas l'être dans les états defpotiques, où il faut que les fujets foient placés ou déplacés dans un inftant par le prince.

Cette vénalité eft bonne dans les états monarchiques: parce qu'elle fait faire. comme un métier de famille, ce qu'on ne voudroit pas entreprendre pour la ver

tu;

(**) Augufte ôta aux fénateurs, proconfuls & gouverneurs, le droit de porter les armes. Dion, liv. XXXIII.

(††) Conftantin. Voyez Zozime, liv. Il. (4) Ammian Marcellin, liv. XXVI. More veterum & bella recturo.

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