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Cette preuve étoit une chofe de convention, que la loi fouffroit, mais qu'elle n'ordonnoit pas. La loi donnoit un certain dédommagement à l'accufateur qui vouloit permettre que l'accufé fe défendît par une preuve négative: il étoit libre à l'accufateur de s'en rapporter au ferment de l'accufé, comme il lui étoit libre de remettre le tort ou l'injure.

La loi (4) donnoit un tempérament, pour qu'avant le jugement, les parties, l'une dans la crainte d'une épreuve terrible, l'autre à la vue d'un petit dédommagement préfent, terminaffent leurs différends & finiffent leurs haines. On fent bien que cette preuve négative une fois confommée il n'en falloit plus d'autre, & qu'ainfi la pratique du combat ne pouvoit être une fuite de cette difpofition particuliere de la loi falique.

CHAPITRE XVII.
Maniere de penfer de nos peres.
N fera étonné de voir que nos peres
fiffent ainfi dépendre l'honneur, la for-

tune

(4) Tit. 56.

L2

tune & la vie des citoyens, de chofes qui étoient moins du reffort de la raifon que du hafard; qu'ils employaffent fans ceffe des preuves qui ne prouvoient point, & qui n'étoient liées, ni avec l'innocence, ni avec le crime.

Les Germains qui n'avoient jamais été fubjugués (*) jouiffoient d'une indépendance extrême. Les familles fe (†) `faifoient la guerre pour des meurtres, des vols, des injures. On modifia cette coutume, en mettant ces guerres fous des regles; elles fe firent par ordre & fous les yeux (4) du magiftrat: ce qui étoit préférable à une licence générale de fe nuire.

Comme aujourd'hui les Turcs, dans leurs guerres civiles, regardent la premiere victoire comme un jugement, de dieu qui décide; ainfi les peuples Germains, dans leurs affaires particulieres, prenoient l'événement du combat pour un arrêt de la providence toujours attentive à punir le criminel ou l'ufurpateur.

Taci

(*) Cela paroît par ce que dit Tacite : omnibus idem habitus.

(†) Velleius Paterculus, Liv. II, ch. CXVIII, dit les Germains décidoient toutes les affaires que par le combat.

(+) Voyez les codes des loix des barbares; & pour les temps plus modernes, Beaumanoir, fuc la coutume de Beauvoifis.

Tacite dit que, chez les Germains, lorfqu'une nation vouloit entrer en guerre avec une autre, elle cherchoit à faire quelque prifonnier qui pût combattre avec un des fiens, & qu'on jugeoit, par l'événement de ce combat, du fuccès de la guerre. Des peuples qui croyoient que le combat fingulier régleroit les affaires publiques, pouvoient bien penfer qu'il pourroit encore régler les différends des particuliers.

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Gondebaud (S), roi de Bourgogne, fut de tous les rois celui qui autorifa le plus l'ufage du combat. Ce prince rend raison de fa loi dans fa loi même: » C'eft, dit il » afin que nos fujets ne faffent plus de » ferment fur des faits obfcurs, & ne fe parjurent point fur des faits certains. Ainfi, tandis que les eccléfiaftiques (**) déclaroient impie la loi qui permettoit le combat, la loi des Bourguignons regardoit comme facrilege celle qui établissoit le ferment.

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La preuve par le combat fingulier avoit quelque raifon fondée fur l'expérience. Dans une nation uniquement guerriere, la poltronerie fuppofe d'autres vices : elle prou

(5) La loi des Bourguignons, chap. XLV. (**) Voyez les œuvres d'Agobard.

prouve qu'on a réfifté à l'éducation qu'on a reçue, & que l'on n'a pas été fenfible à l'honneur, ni conduit par les principes qui ont gouverné les autres hommes: elle fait voir qu'on ne craint point leur mépris, & qu'on ne fait point de cas de leur eftime: pour peu qu'on foit bien né, on n'y manquera pas ordinairement de l'adreffe qui doit s'allier avec la force, ni de la force qui doit concourir avec le courage; parce que, faifant cas de l'honneur, on fe fera toute fa vie exercé à des chofes fans lefquelles on ne peut l'obtenir. De plus, dans une nation guerriere, où la force, le courage & la proueffe font en honneur, les crimes véritablement odieux font ceux qui naiffent de la fourberie, de la fineffe & de la rufe, c'està-dire, de la poltronerie.

Quant à la preuve par le feu, après que l'accufé avoit mis la main fur un fer chaud ou dans l'eau bouillante, on enveloppoit la main dans un fac que l'on cachetoit : fi trois jours après il ne paroiffoit pas de marques de brûlure, on étoit déclaré innocent. Qui ne voit que chez un peuple exercé à manier des armes, la peau rude & caleuse ne devoit pas recevoir affez l'impreffion du fer chaud ou de l'eau bouillante, pour qu'il y parût trois jours après ? Et s'ily paroiffoit, c'étoit une marque que

celui qui faifoit l'épreuve étoit un efféminé. Nos payfans avec leurs mains caleufes manient le fer chaud comme ils veulent; & quant aux femmes, les mains de celles qui travailloient, pouvoient réfifter au fer chaud. Les dames (†) ne manquoient point de champions pour les défendre; & dans une nation où il n'y avoit point de luxe, il n'y avoit guere d'état moyen.

Par la loi des Thuringiens (44), une femme accufée d'adultere n'étoit condamnée à l'épreuve par l'eau bouillante, que lorfqu'il ne fe préfentoit point de champion pour elle; & la loi (SS) des Ripuaires n'admet cette épreuve que lorfqu'on ne trouve pas de témoins pour fe juftifier. Mais une femme qu'aucun de fes parens ne vouloit défendre, un homme qui ne pouvoit alléguer aucun témoignage de fa probité, étoient par cela même déjà con

vaincus.

Je dis donc que, dans les circonftaces des temps où la preuve par le combat &

la

(tt) Voyez Beaumanoir coutume de Beauvoifis, ch. LXI. Voyez auffi la loi des Angles, ch. XIV, où la preuve par l'eau bouillante n'est que fubfidiaire.

(+4) Tit. 14.
(§§) Ch. XXXI, §. 5.

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