Page images
PDF
EPUB

le couvre d'un nuage qui l'empêche d'être vu. Il entre d'abord dans la ville, dont il admire les travaux, ensuite dans le temple, dont, en attendant la reine, il examine les peintures; elles lui offrent l'histoire du siège de Troie. Bientôt il voit arriver dans le temple ceux de ses compagnons que la tempête avoit séparés de lui; témoin du bon accueil qu'ils reçoivent de Didon, il sort du nuage et paroît tout-à-coup à ses yeux pour lui marquer sa reconnoissance. Il envoie alors chercher Ascagne, qu'il a laissé sur le rivage; mais Vénus enlève cet enfant, et lui substitue son fils Cupidon, qui, sous la figure d'Ascagne, reçoit les caresses de Didon, et lui inspire peu à peu une vive passion pour Énée. Le soir elle donne un grand repas au prince troyen, et le prie de lui raconter l'histoire de la prise de Troie et celle de ses voyages.

ENEIS.

LIBER PRIMUS.

ILLE ego, qui quondâm gracili modulatus avenâ

Carmen, et egressus silvis, vicina coëgi

Ut quamvis avido parerent arva colono:

Gratum opus agricolis. At nunc horrentia Martis 5 Arma virumque cano, Trojæ qui primus ab oris Italiam, fato profugus, Lavinaque venit

Littora multùm ille et terris jactatus et alto,

:

Vi Superûm, sævæ memorem Junonis ob iram.

Multa quoque et bello passus, dùm conderet urbem, 10 Inferretque Deos Latio: genus undè Latinum,

Albanique patres, atque altæ monia Romæ.

Musa, mihi causas memora : quo numine læso, Quidve dolens Regina Deûm tot volvere casus

Insignem pietate virum, tot adire labores,

15 Impulerit. Tantæne animis cœlestibus iræ!

Urbs antiqua fuit (Tyrii tenuêre coloni) Carthago, Italiam contra, Tiberinaque longè

Ostia, dives opum, studiisque asperrimta belli :

[ocr errors]

L'ÉNÉIDE

LIVRE PREMIER.

AUTREFO UTREFOIS j'essayai des airs champêtres (1) sur un léger chalumeau. Bientôt, quittant les bois, j'appris aux champs voisins à répondre aux vœux de l'avide cultivateur: œuvre agréable aux habitants des campagnes. Transporté maintenant sur le théâtre sanglant de Mars, je chante les combats (2), et ce héros qui, forcé par le destin d'abandonner sa patrie, vint le premier des bords troyens aux rivages de l'Italie et de Lavinium. Long-temps poursuivi par les Dieux, et sur terre et sur mer, à cause de l'implacable ressentiment de la cruelle Junon (3), il eut encore à supporter tous les maux de la guerre, avant de fonder une ville et de fixer ses Dieux dans le Latium, première origine du peuple latin, de la colonie d'Albe et de la superbe Rome.

Muse, dis-moi les causes de ces grands évènements(4); dis pour quelle offense, pour quel sensible outrage la reine des Dieux précipita dans une longue suite de périls et de disgraces un héros célèbre par sa piété. De tels ressentiments entrentils dans les ames célestes (5)!

Sur les bords fameux qui regardent l'Italie et l'embouchure du Tibre (6) fut autrefois Carthage, ville antique habitée par les Tyriens; ville puissante et redoutable par ses richesses et par l'es

prit guerrier qui l'animoit ; ville enfin que Junon préferoit, dit-on, à toute la terre, et même à l'ile de Samos. Là étoient ses armes, là étoit son char; c'étoit là que dès-lors elle méditoit et désiroit avec passion de fixer l'empire du monde.

Mais elle avoit ouï dire que du sang troyen devoit sortir une nation qui renverseroit un jour les murs batis par les Tyriens; que, roi d'une immense contrée, ce peuple invincible dans les combats viendroit détruire la Libye; que telles étoient les destinées que filoient les Parques. Frappée de ces craintes, jointes au souvenir de la guerre que jadis elle avoit soutenue devant Troie à la tête de ses Grecs chéris, la fille de Saturne n'avoit pas non plus oublié ses motifs de vengeance et ses cruels chagrins; elle retrouvoit profondément gravés dans son cœur le jugement de Paris, le mépris injurieux qu'il avoit fait de sa beauté; et toute cette race odieuse, et les honneurs prodigués à Ganymède enlevé dans le Ciel. Animée par tant de sujets de haine (7), elle repoussoit de l'Italie et poursuivoit sur toutes les mers les foibles restes des Troyens échappés à la fureur des Grecs et de l'impitoyable Achille; et depuis plusieurs années, tristes jouets des destins, ils erroient de rivage en rivage : tant il fallut surmonter d'obstacles pour fonder la puissance romaine!

A peine ils faisoient voile pour s'éloigner de la Sicile, voguant avec allégresse, et fendant de leurs proucs d'airain l'écume de l'onde amère, quand Junon, qui gardoit dans son cœur une plaie immortelle, se dit à elle-même: « Je suis donc « vaincue ! il faut que je cède, sans pouvoir écar«ter de l'Italie le roi des Troyens !... En effet, les

Quam Juno fertur terris magis omnibus unanı 20 Posthabitâ coluisse Samo. Hic illius arma,

Hic currus fuit : hoc regnum Dea gentibus esse,
Si quà fata sinant, jam tùm tenditque fovetque.

Progeniem sed enim Trojano à sanguine duci
Audierat, Tyrias olìm quæ verteret arces;
25 Hinc populum latè regem belloque superbum
Venturum excidio Libya : sic volvere Parcas.
Id metuens, veterisque memor Saturnia belli,
Prima quod ad Trojam pro caris gesserat Argis;
Necdum etiam causæ irarum, sævique dolores
30 Exciderant animo: manet altâ mente repostum
Judicium Paridis, spretæque injuria formæ,
Et genus invisum, et rapti Ganymedis honores.
His accensa super, jactatos æquore toto

Troas, relliquias Danaûm atque immitis Achillei, 35 Arcebat longè Latio; multosque per annos Errabant acti fatis maria omnia circum:

Tantæ molis erat Romanam condere gentem!

Vix è conspectu Siculæ telluris in altum

Vela dabant læti, et spumas salis ære ruebant, 40 Cùm Juno, æternum servans sub pectore vulnus,

Hæc secum: Mene incœpto desistere victam !

Nec

posse Italia Teucrorum avertere regem!

« PreviousContinue »