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ture, ne vînt nous reprendre, s'il parvenoit à s'établir chez nos voisins. L'histoire de notre révolution a été racontée de tant de manières différentes, et le plus souvent avec des couleurs si brillantes, si séduisantes, que les peuples, s'ils ne sont pas guidés et surveillés de très-près, rencontreront les mêmes écueils, et tomberont précisément dans les mêmes excès que nous n'avons pas su éviter. C'est une erreur de croire que les faits historiques, même véridiquement racontés, soient une leçon pour les peuples: Comment cela seroit-il possible? Les rois et les sages de la terre ont de grands efforts à faire, pour mettre à profit leur propre expérience et celle des âges antérieurs. Il seroit téméraire toutefois, et ce n'est pas mon intention, de considérer comme nulles les leçons de l'histoire, et celles surtout qu'on pourra tirer de notre révolution, quand elle sera utilement et convenablement écrite; mais l'heure de l'écrire n'est pas encore arrivée : je veux dire seulement que ce n'est pas aux peuples en fermentation qu'elle sera profitable, mais bien au petit nombre des hommes qui lisent avec fruit, comparent, méditent et réfléchissent; elle sera infructueuse pour eux-mêmes, s'ils sont sans influence, et ils seront nécessairement entraînés par le torrent s'ils ne sont pas consultés pour le resserrer dans de justes limites, et le contenir par de fortes digues. Il est encore temps d'espérer que

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les souverains et les sages nous garantiront de tous les fléaux que l'événement annoncé peut entraîner à sa suite. Ne pourroit-on pas anticiper sur les bienfaits que produiront nos annales, lorsqu'une main habile en aura élevé le monument, en faisant une analyse raisonnée de notre droit politique, tel qu'il existe aujourd'hui, et de ce qu'il nous manque pour le compléter? Nous sommes un peu plus avancés que ceux qui, n'ont pas encore commencé. On croit, en général, que la lassitude est pour nous une garantie: que nous serons plus circonspects et plus sages; cependant nous sommes encore si loin du but," nous avons tant de précautions à prendre pour éviter de nouveaux orages, que ce tableau raisonné, de ce qui est fait et de ce qui reste à faire, peut être également utile et à nous-mêmes et aux peuples engoués du système représentatif. C'est dans cette vue que j'ai conçu mon travail : la tâche que j'ai à remplir est difficile ; au moins elle me le paroît. Mon seul moyen pour aplanir les difficultés sera d'être méthodique et d'être clair. J'ai été déterminé à entreprendre ce travail par cette pensée, que je crois vraie, qu'une Charte est une âme qui n'a pas de corps, tant que les lois fondamentales et les institutions qui en résultent n'existent pas. Je crois, en outre, que le plus grand écueil que nous ayons à éviter, ainsi que tous les peuples qui, du soir au lendemain, peuvent se donner ou recevoir une

Charte, c'est le défaut de concordance entre les lois fondamentales et le principe de la monarchie, si, comme je le pense, on veut sincèrement la conserver.

Je prie qu'on se rappelle que mon intention n'est pas de donner tous les développemens que ce sujet comporte, mais seulement de l'exposer de mon mieux dans toutes ses parties. Je me suis donc efforcé d'être court. Il ne s'agit pas, pour moi surtout, de donner beaucoup à lire, mais de donner à penser à ceux qui voudront bien me lire. Je laisse à des dialecticiens, à des écrivains plus exercés et plus habiles, l'honneur de discuter plus à fond les quesions importantes. que j'élève, et qui, ce me semble, n'étoient pas encore aperçues.

CHAPITRE II.

Qu'est-ce que les Lois fondamentales? De leur

importance:

. --

Les lois, dans la signification la plus étendue, sont les rapports nécessaires qui dérivent de la nature des choses.

Cette définition, copiée dans Montesquieu, est parfaite. Elle devroit être présente constamment à l'esprit de tous ceux qui concourent à l'émission d'une loi. Comme cette définition embrasse les diverses acceptions du mot LOI, il n'en est que plus important de se pénétrer de cette première et si essentielle vérité, que, soit qu'il s'agisse des lois qui forment le code du droit des gens, des lois fondamentales qui constituent le droit politique d'un Etat, ou des lois civiles qui règlent les relations ou les transactions des particuliers entre eux, et qui forment leur état civil, ou leur code civil, il faut, dis-je, que le législateur soit pénétré de cette vérité, qu'il ne faut admettre dans les dispositions d'une loi que celles qui dérivent de la nature des choses, que celles qui ont des

rapports nécessaires avec les choses sur lesquelles la loi statue. Hors de ce principe, la loi fausse les esprits, est d'une application difficile ou impossible, produit d'autres effets que ceux qu'on a voulus, ou tombe en désuétude.

Les lois faites par les hommes sont faites pour les hommes, c'est-à-dire pour des êtres intelligens. Dieu qui a fait ses lois non seulement pour les hommes, mais pour régir et conserver l'univers, a doué de la raison les êtres intelligens; d'où il suit, toujours d'après Montesquieu, qu'il faut reconnoître une raison primitive des lois, et que les bonnes lois sont les rapports qui existent entre cette raison primitive et les différens êtres, plus, les rapports de ces différens êtres entre eux.

Avant que les lois soient faites, les principes, les antécédens de ces lois existent ce sont la raison primitive et les rapports des différens êtres entre eux. Ce qui fait que tant de lois sont mauvaises, c'est que les passions des hommes les ont égarés, et leur ont fait perdre de vue ces antécédens. Le nombre des législateurs est presque infini; un très-petit nombre de bonnes lois ont traversé les siècles depuis la réunion des hommes en société.

Ces premières données établies d'après Montesquieu, sont des vérités irréfragables, et c'est en les méditant qu'on peut apprécier ce qu'est,

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