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de n'être pas comprise. Elles seroient enfin aussi avancées vis-à-vis un gouvernement nouveau qui parviendroit à s'établir, ou qui seulement en auroit la prétention, qu'elles le sont vis-à-vis le gouvernement actuel. Ajoutez à ces vérités que les individus qui sont parties intégrantes des diverses institutions encore précaires, n'ont d'engagement avec le Roi que comme individus ; comme magistrats, comme administrateurs, comme fonctionnaires de toute dénomination, ils n'ont pas pris d'engagement positif; car le Roi n'a pris ni pu prendre d'engagement envers eux. Mais que l'aspect de la France va devenir différent, le jour où les institutions définitives prêtent de toute part leur appui au trône, au Roi légitime et à la Charte ! Ce ne sont plus, comme tout à l'heure, des individus qui sont en place; chacun d'eux dans sa sphère devient partie intégrante du droit politique alors qu'il est complet; leurs droits, leurs avantages, leur considération sont liés à l'existence, au maintien, à la durée de ce droit politique. Ils aimeront la Charte et le Roi; car ils auront un immense intérêt à les aimer et à les défendre; ils seront partisans de la légitimité, car sans elle tout ce qui leur est cher, tout ce qui fait qu'ils ont une existence honorable, est de nouveau compromis.

Cet aperçu seroit trop rapide sans doute, s'il s'agissoit de discuter ce que n'est pas et ce que

doit être chacune de nos institutions; mais il est suffisant pour démontrer combien il est urgent que nos lois fondamentales soient faites. Avant d'examiner quel doit être le principe générateur de ces lois, si elles doivent être plus démocratiques qu'aristocratiques, je vais, et je ne crois pas que ce soit une digression, consacrer un court chapitre à ce qu'on entend et à ce qu'on doit entendre par l'opinion publique.

CHAPITRE V.

De l'esprit général, et du progrès des lumières.

TANT d'écrivains, tant de partisans de tel ou tel système parlent de l'esprit public, de l'opinion publique, et prétendent, chacun en divers sens, qu'ils l'ont pour eux, que tous ne peuvent avoir raison. Ce qui me paroît le mieux démontré, c'est que ce conflit de prétentions éclaire fort peu, laisse du vague dans les esprits, et empêche l'opinion publique de se former. Mais ce n'est pas le plus grand obstacle qu'elle éprouve pour se faire jour. Voyons ce que dit Montesquieu sur l'esprit général; nous en tirerons quelques conséquences.

Plusieurs choses gouvernent les hommes: le limat, la religion, les lois, les maximes » du gouvernement, les exemples des choses passées, les mœurs, les manières; d'où il se forme un esprit général qui en résulte. »

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S'il faut le concours de tous ces élémens de l'esprit général pour en avoir un, à l'exception du climat, qui est toujours le même, et qu'il n'est pas au pouvoir des hommes de changer, il

faut convenir que tous les autres nous manquent, car il n'y a rien de fixé à l'égard d'aucun d'eux. Les maximes d'un gouvernement qui n'est en activité que depuis trois ans, passés encore au milieu des tribulations, ne peuvent être bien établies; à l'égard des exemples des choses passécs, chacun veut distinguer les anciennes et les nouvelles; il faudroit se condamner au ridicule si grand, dit-on, d'avoir survécu au siècle de Louis XIV, pour prétendre que l'exemple des anciennes choses doit faire autorité aujourd'hui, et les choses passées depuis peu sont encore trop près de nous pour n'être pas dans le domaine de la controverse. Les lois, mais surtout la religion, influent sur les mœurs; les mœurs influent beaucoup sur les manières : or, les lois fondamentales, et spécialement celles relatives à la religion, étant encore à faire, il faut bien attendre, pour compter sur l'esprit général, que les élémens qui en sont la cause, qui servent à le former, soient formés euxmêmes; leur préexistence est indispensable.

Admettez pour un moment qu'une loi ait donné au clergé toute la consistance, et par conséquent toute la considération qu'il doit avoir en France; que les juges aient reçu, par l'organisation définitive de l'ordre judiciaire, la véritable garantie de leur inamovibilité; que la carrière du professorat offre au corps enseignant des places avantageuses, sûres et hono

rables; que l'instruction, comme l'éducation de la jeunesse, soit dirigé selon l'intérêt du Roi et de l'Etat; que les conseils-généraux'de département, d'arrondissement et de commune; que les intérêts de grandes et petites cités soient recréés et établis comme il est utile qu'ils le soient; enfin, que les peines encourues pour abus de la liberté de la presse contiennent les faiseurs de pamphlets dans de justes limites, ce qui arrivera quand la condamnation entraînera avec elle une sorte de déshonneur, et quelquefois d'infamie, ce qui est presque le contraire aujourd hui, alors il s'élèvera, non dans Paris seulement, mais de toutes les parties de la France, un esprit général; les paroles si timides maintenant, de tant de personnages qui s'abstiennent, devien dront très-positives et très-influentes quand ils auront des intérêts à conserver; leurs voix couvriront alors, et partout, les criailleries, seules entendues quand les lois sont à faire, de ce petit nombre d'agitateurs qui ont tant d'intérêts divers à égarer les esprits, à aliéner les cœurs, et à jeter le gouvernement dans de fausses voies politiques pour arriver plus sûrement à leur but. C'est quand tous ces élémens existeront, qu'on pourra constater ce qu'est l'opinion publique ; qu'on pourra la consulter, parce qu'elle sera vraiment formée : c'est alors que le Roi pourra la bien connoître, ou Montesquieu se trompe. Mais qu'il me soit permis de préférer l'autorité

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