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faire du crédit une ressource, il disparoîtroit en un moment. Toute comparaison avec l'Angleterre seroit erronée, mais à tel point qu'il seroit impossible de raisonner avec quiconque la présenteroit sérieusement. Je ne me livrerai donc pas à l'examen de cette comparaison; mais je dois dire que nous ne pouvons trop tôt, non seulement renoncer aux emprunts, mais déclarer formellement qu'on n'en fera plus. Le véritable, le seul moyen, à mes yeux, de conserver le crédit, sera la loi, qui portera que le grand-livre est fermé pour vingt ans, et qu'il n'y sera plus inscrit d'autres rentes que celles qui doivent l'être, en conséquence des lois précédemment rendues ou des traités actuellement faits. Alors, et infailliblement, le crédit se maintiendra, se fortifiera; alors l'amortissement, au lieu d'être seulement une illusion, bonne en elle-même pendant quelques momens, produira des effets réels, incontestables, plus sensibles de jour en jour, et qui nous assureront, pour un avenir éloigné, la possibilité de recourir efficacement aux emprunts, si cela étoit indispensable ou seulement utile. Indiquer ce moyen n'étoit pas du tout étranger à mon sujet (ce que je prouverois, si cela devenoit nécessaire un jour); le développer seroit en sortir. Je passe à mon dernier chapitre.

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CHAPITRE XII.

De quelques idées libérales. Conclusion.

Je ne connois rien qui soit, en spéculation, plus digne de nos hommages, et plus désastreux par l'abus, que les idées libérales. Mon intention n'est pas de dire tout le bien que j'en pense, ni de démontrer tous les maux qu'elles peuvent causer. Ce ne seroit pas un chapitre, mais un ouvrage entier à faire; je veux seulement présenter quelques idées qui, selon moi, sont fort libérales, et sur lesquelles on n'attire pas assez l'attention du public.

L'idée la plus libérale est assurément de chercher les moyens de rendre les peuples aussi heureux qu'ils peuvent l'être sur la terre. Puissent les Rois législateurs et les hommes éclairés dont ils s'environnent, adopter cette idéée ! elle seule -bien méditée et suivie dans toutes ses ramifications, les amènera à donner aux peuples non les meilleures lois qu'on peut concevoir et écrire, comme on fait un livre sur les arts, sur les sciences, susceptibles véritablement d'atteindre le plus haut degré de la perfection

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possible, et auxquels des expériences qu'on peut multiplier sans aucun danger, font faire d'immenses progrès, mais les meilleures lois dans la pratique, les meilleures, comme le disoit le sage parmi les sages, de celles que les Athéniens peuvent souffrir. Les hommes, j'entends leurs caractères, leurs passions, leurs mœurs, changent peu et se perfectionnent moins encore. Le mode de les gouverner ne peut pas se perfectionner, quand les hommes se corrompent plutôt qu'ils ne deviennent meilleurs. Les savans publicistes plutôt que les sages, ont trouvé et trouveront encore des théories de gouverne ment plus parfaites; ils en seront éblouis, et leurs sectateurs avec eux; mais les sages, qui ne se laissent pas séduire par d'habiles conceptions, demanderont si les hommes, pour lesquels on propose des lois parfaites, sont devenus parfaits eux-mêmes : si la réponse n'est pas satisfaisante, ils repousseront les théories comme de coupables expériences qu'il est inhumain de tenter, puisque des générations entières peuvent en être les victimes, et qu'il faudroit infailliblement abandonner pour revenir au point d'où l'on est parti, que par conséquent il ne faut pas quitter. Les lois humaines ne changent pas les mœurs, mais les mœurs changent les lois; aussi nos législateurs se sont consumés en vains efforts; il a fallu sans cesse changer nos lois depuis vingt-huit ans, parce que nos

mœurs ne changeoient pas, Les lois seules de la religion changent les mœurs. La grande ligne de démarcation entre les temps anciens et modernés, c'est l'établissement du christianisme. Les mœurs adoucies et purifiées par la morale de l'Evangile, ont changé les mœurs des peuples. Alors les lois, comme les gouvernemens, ont été tous essentiellement modifiés. Les lois de la réligion pénètrent au cœur, s'emparent des affections des peuples; modifient leurs passions. Les lois des philosophes, non-seulement n'arrivent pas au foyer des affections, mais n'entrent qu'à peine et peu avant dans l'esprit des peuples; de là leur impuissance de changer le caractère, les mœurs, les passions des hommes. Si de régulières théories ne pourroient convenir à un peuple de savans, qui les comprendroient et voudroient sans cesse les perfectionner, comment feroient-elles le bonheur d'un peuple qui ne sait vivre que selon ses mœurs, ses usages, ses passions, et tout ce qui compose l'ensemble de son caractère?

Que nous ayons plus, beaucoup plus de demi-savans dans quelques villes, et surtout dans la capitale, que nous n'en avions il y a cinquante ans, l'effet unique sera qu'ils s'agiteront, parleront, écriront davantage, et qu'il deviendra nécessaire, à cause d'eux seulement, de recourir à des lois plus sévères qu'il n'y auroit eu occasion même d'y penser sans eux.

Mais l'ensemble de la nation, qui n'est pas toute dans les demi-savans, il faut la juger ce qu'elle est; comme c'est pour elle que les lois sont, ou doivent être faites, si elle n'est pas changée, et que vous changiez les lois, ces lois changeront encore. Ce n'est pas à la France seulement que ces principes vraiment libéraux sont applicables, mais à tous les peuples dont on essaie de changer les lois, et avec elles la nature de leur gouvernement. Je passe à une autré considération.

Que nos voisins examinent bien la situation politique et seulement intérieure de la France, ils reconnoîtront qu'après vingt-huit ans, quoiqu'on nous ait donné des millions de lois, nous n'avons pas celles qui sont les plus indispensables pour donner la vie à la monarchie qui nous est promise, rendue même par la Charte; ils reconnoîtront que le système réprésentatif, non seulement peut avoir en lui-même et pour eux, plus que pour nous encore, d'incalculables dangers, mais que nous ne l'avons obtenu que de notre Roi légitime, et qu'eux comme nous, ne pourront le conserver qu'en conservant le souverain légitime. La liberté politique et un usurpateur ne peuvent coëxister. La liberté disparoît, le jour où un gouvernement nouveau s'établit sur les ruines de l'ancien. Un usurpateur, quelle que fût auparavant et comme homme privé, la modération de son caractère, ne pouvant compter sur l'affection générale, n'ayant

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