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On disoit l'autre jour, repris-je, que Thyrsis, qui a tant aimé Thémire, devoit arriver à Gnide: il l'a aimée, sans doute qu'il l'aime encore ; il faudra que je dispute un cœur que je croyois tout à

moi.

L'autre jour, Lycas chantoit ma Camille: que j'étois insensé! j'étois ravi de l'entendre louer.

Je me souviens que Thyrsis porta à ma Thémire des fleurs nouvelles: malheureux que je suis! elle les a mises sur son sein! C'est un présent de Thyrsis, disoit-elle. Ah! j'aurois dû les arracher, et les fouler à mes pieds.

Il n'y a pas long-temps que j'allois avec Camille faire à Vénus un sacrifice de deux tourterelles ; elles m'échappèrent et s'envolèrent dans les airs.

J'avois écrit sur des arbres mon nom avec celui de Thémire : j'avois écrit mes amours; je les lisois et relisois sans cesse; un matin, je les trouvai effacées.

Camille, ne désespère point un malheureux qui t'aime: l'amour qu'on irrite peut avoir tous les effets de la haine.

Le premier Gnidien qui regardera ma Thémire, je le poursuivrai jusque dans le temple ; et je le punirai, fût-il aux pieds de Vénus.

Cependant nous arrivâmes près de l'antre sacré où la déesse rend ses oracles. Le peuple étoit comme les flots de la mer agitée: ceux-ci venoient d'entendre, les autres alloient chercher leur réponse.

Nous entrâmes dans la foule; je perdis l'heureux Aristée: déjà il avoit embrassé sa Camille; et moi je cherchois encore ma Thémire.

Je la trouvai enfin. Je sentis ma jalousie redoubler à sa vue, je sentis renaîrre mes premières fureurs : mais elle me regarda, et je devins tranquille. C'est ainsi que les dieux renvoient les furies, lorsqu'elles sortent des enfers.

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O dieux! me dit-elle, que tu m'as coûté de Iarmes! Trois fois le soleil a parcouru sa carrière; je craignois de t'avoir perdu pour jamais : cette parole me fait trembler. J'ai été consulter l'oracle. Je n'ai point demandé si tu m'aimois; hélas ! je ne voulois que savoir si tu vivois encore: Vénus vient de me répondre que tu m'aimes toujours.

Excuse, lui dis-je, un infortuné qui t'auroit haïe si son ame en étoit capable. Les dieux, dans les mains desquels je suis, peuvent me faire perdre la raison: ces dieux, Thémire, ne peuvent pas m'ôter

mon amour.

La cruelle jalousie m'a agité comme dans le Tartare on tourmente les ombres criminelles : j'en tire cet avantage, que je sens mieux le bonheur qu'il y a d'être aimé de toi, après l'affreuse situation où m'a mis la crainte de te perdre.

Viens donc avec moi, viens dans ce bois solitaire : il faut qu'à force d'aimer j'expie les crimes que j'ai faits. C'est un grand crime, Thémire, de te croire infidéle.

Jamais les bois de l'élysée, que les dieux ont faits exprès pour la tranquillité des ombres qu'ils chérissent; jamais les forêts de Dodone, qui parlent aux humains de leur félicité future, ni les jardins des Hespérides, dont les arbres se courbent sous le

poids de l'or qui compose leurs fruits, ne furent plus charmants que ce bocage enchanté par la présence de Thémire.

Je me souviens qu'un satyre, qui suivoit une nymphe qui fuyoit tout éplorée, nous vit, et s'arrêta. Heureux amants! s'écria-t-il; vos yeux savent s'entendre et se répondre; vos soupirs sont payés par des soupirs: mais moi, je passe ma vie sur les traces d'une bergère farouche, malheureux pendant que je la poursuis, plus malheureux encore lorsque je l'ai atteinte.

Une jeune nymphe, seule dans ce bois, nous aperçut et soupira. Non, dit-elle, ce n'est que pour augmenter mes tourments que le cruel amour me fait voir un amant si tendre.

Nous trouvâmes Apollon assis auprès d'une fontaine : il avoit suivi Diane, qu'un daim timide avoit menée dans ces bois. Je le reconnus à ses blonds. cheveux, et à la troupe immortelle qui étoit autour de lui. Il accordoit sa lyre; elle attire les rochers; les arbres la suivent, les lions restent immobiles. Mais nous entrâmes plus avant dans les forêts, appelés en vain par cette divine harmonie.

Où croyez-vous que je trouvai l'amour? Je le trouvai sur les lèvres de Thémire; je le trouvai ensuite sur son sein; il s'étoit sauvé à ses pieds, je l'y trouvai encore; il se cacha sous ses genoux, je le suivis; et je l'aurois toujours suivi, si Thémire tout en pleurs, Thémire irritée ne m'eût arrêté. Il étoit à sa dernière retraite : elle est si charmante, qu'il ne sauroit la quitter. C'est ainsi qu'une tendre fau

vette, que la crainte et l'amour retiennent sur ses petits, reste immobile sous la main avide qui s'approche, et ne peut consentir à les abandonner.

Malheureux que je suis! Themire écouta mes plaintes, et elle n'en fut point attendrie; elle entendit mes prières, et elle devint plus sévère. Enfin je fus téméraire: elle s'indigna, je tremblai; elle me parut fâchée, je pleurai; elle me rebuta, je tombai, et je sentis que mes soupirs alloient être mes derniers soupirs, si Thémire n'avoit mis la main sur mon cœur, et n'y eût rappelé la vie.

Non, dit-elle, je ne suis pas si cruelle que toi; car je n'ai jamais voulu te faire mourir, et tu veux m'entraîner dans la nuit du tombeau.

Ouvre ces

yeux

mourants si tu ne veux que les

miens se ferment pour jamais.

Elle m'embrassa: je reçus ma grace, hélas! sans

espérance de devenir coupable.

Comme la pièce suivante m'a paru être du même auteur, j'ai cru devoir la traduire et la mettre ici.

CÉPHISE ET L'AMOUR.

Un jour que j'errois dans les bois d'Idalie avec la jeune Céphise, je trouvai l'Amour qui dormoit couché * sur des fleurs, et couvert par quelques branches de myrte qui cédoient doucement aux haleines des zéphyrs. Les jeux et les ris, qui le suivent toujours, étoient allés folâtrer loin de lui: il étoit seul. J'avois l'Amour en mon pouvoir; son arc et son carquois étoient à ses côtés; et, si j'avois voulu, j'aurois volé les armes de l'Amour. Céphise prit l'arc du plus grand des dieux : elle y mit un trait, sans que je m'en aperçusse, et le lança contre moi. Je lui dis en souriant: Prends- en un second; fais-moi une autre blessure; celle-ci est trop douce. Elle voulut ajuster un autre trait; il lui tomba sur le pied, et elle cria doucement: c'étoit le trait le plus pesant qui fût dans le carquois de l'Amour! Elle le reprit, le fit voler; il me frappa, je me baissai: Ah! Céphise, tu veux donc me faire mourir? Elle s'approcha de l'Amour. Il dort profondément, dit-elle; il s'est fatigué à lancer ses traits. Il faut cueillir des fleurs, pour lui lier les pieds et les mains. Ah! je

(*) Cette leçon est conforme à l'édition de 1725, qui est la première, ou une des premières. Dans l'édition in-4o de 1758, dans celle de 1767, et dans l'in-8° de 1772, on lit, CACHÉ sur des fleurs. Dans l'édition in-12 de 1764, on lit, CACHÉ SOUS des fleurs; correction qui n'est pas très heureuse, à cause des mots suivants, et Couvert par quelques branches.

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