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Mes malheurs ont été plus grands que les tiens, dit-elle, mon cher Arsace. Hélas! je croyois ne te revoir jamais depuis le fatal moment qui nous a séparés. Mes douleurs ont été mortelles.

Et, comme si elle avoit passé tout-à-coup d'une manière d'aimer à une autre manière d'aimer, ou qu'elle se trouvât incertaine sur l'impétuosité de l'action qu'elle venoit de faire, elle se releva tout-àcoup, et une rougeur modeste parut sur son visage.

Bactriens, dit-elle, c'est aux genoux de mon époux que vous m'avez vue. C'est ma félicité d'avoir pu faire paroître devant vous mon amour. J'ai descendu de mon trône, parceque je n'y étois pas avec lui, et j'atteste les dieux que je n'y remonterai pas sans lui. Je goûte ce plaisir, que la plus belle action de mon régne c'est par lui qu'elle a été faite, et que c'est pour moi qu'il l'a faite. Grands, peuples, et citoyens, croyez-vous que celui qui règne sur moi soit digne de régner sur vous? Approuvezvous mon choix? Élisez-vous Arsace? Dites-le-moi, parlez.

A peine les dernières paroles de la reine furentelles entendues, tout le palais retentit des acclamations; on n'entendit plus que le nom d'Arsace et celui d'Isménie.

Pendant tout ce temps, Arsace étoit comme stupide. Il voulut parler, sa voix s'arrêta; il voulut se mouvoir, et il resta sans action. Il ne voyoit pas la reine; il ne voyoit pas le peuple; à peine entendoitil les acclamations: la joie le troubloit tellement que son ame ne put sentir toute sa félicité.

Mais quand Aspar eut fait retirer le peuple, Arsace pencha la tête sur la main de la reine.

Ardasire, vous vivez! vous vivez, ma chère Ardasire! Je mourois tous les jours de douleur. Comment les dieux vous ont-ils rendue à la vie?

Elle se hâta de lui raconter comment une de ses femmes avoit substitué au poison une liqueur enivrante. Elle avoit été trois jours sans mouvement; on l'avoit rendue à la vie : sa première parole avoit été le nom d'Arsace; ses yeux ne s'étoient ouverts que pour le voir; elle l'avoit fait chercher; elle l'avoit cherché elle-même. Aspar l'avoit fait enlever, et, après la mort de sa sœur, il l'avoit placée sur le trône.

Aspar avoit rendu éclatante l'entrevue d'Arsace et d'Isménie. Il se ressouvenoit de la dernière sédition. Il croyoit qu'après avoir pris sur lui de mettre Isménie sur le trône, il n'étoit pas à propos qu'il parût encore avoir contribué à y placer Arsace. Il avoit pour maxime de ne faire jamais lui-même ce que les autres pouvoient faire, et d'aimer le bien, de quelque main qu'il pût venir. D'ailleurs, connoissant la beauté du caractère d'Arsace et d'Isménie, il desiroit de les faire paroître dans leur jour. Il vouloit leur concilier ce respect que s'attirent toujours les grandes ames dans toutes les occasions où elles peuvent se montrer. Il cherchoit à leur attirer cet amour que l'on porte à ceux qui ont éprouvé de grands malheurs. Il vouloit faire naître cette admiration que l'on a pour tous ceux qui sont capables de sentir les belles passions. Enfin il croyoit que

sonnes, chaque événement offroit à Isménie des marques de son souvenir. Il étoit éloigné, et ses actions disoient qu'il étoit auprès d'elle; tout étoit d'intelligence pour lui rappeler Arsace : elle ne trouvoit point Arsace; mais elle trouvoit son amant. Arsace écrivoit continuellement à Isménie. Elle lisoit :

<< J'ai vu les superbes villes qui conduisent à vos <«< frontières ; j'ai vu des peuples innombrables tom« ber à mes genoux. Tout me disoit que je régnois « dans la Bactriane: je ne voyois point celle qui << m'en avoit fait roi, et je ne l'étois plus.

Il lui disoit :

<< Si le ciel vouloit m'accorder le breuvage d'im<< mortalité tant cherché dans l'Orient, vous boiriez « dans la même coupe, ou je n'en approcherois pas << mes lèvres ; vous seriez immortelle avec moi, ou « je mourrois avec vous. »

Il lui mandoit:

<< J'ai donné votre nom à la ville que j'ai fait bâtir; il me semble qu'elle sera habitée par nos su« jets les plus heureux. »

Dans une autre lettre, après ce que l'amour pouvoit dire de plus tendre sur les charmes de sa personne, il ajoutoit:

« Je vous dis ces choses sans même chercher à « vous plaire: je voudrois calmer mes ennuis; je

* sens que mon ame s'apaise en vous parlant de

« vous. "

Enfin elle reçut cette lettre :

« Je comptois les jours, je ne compte plus que « les moments, et ces moments sont plus longs que « les jours. Belle reine, mon cœur est moins tranquille à mesure que j'approche de vous. »

"

Après le retour d'Arsace, il lui vint des ambassades de toutes parts, il y en eut qui parurent singulières. Arsace étoit sur un trône qu'on avoit élevé dans la cour du palais. L'ambassadeur des Parthes entra d'abord; il étoit monté sur un superbe coursier; il ne descendit point à terre, et il parla ainsi :

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« Un tigre d'Hircanie désoloit la contrée, un éléphant l'étouffa sous ses pieds. Un jeune tigre restoit, et il étoit déjà aussi cruel que son père; l'éléphant en délivra encore le pays. Tous les ani« maux qui craignoient les bêtes féroces venoient paître autour de lui. Il se plaisoit à voir qu'il étoit leur asile, et il disoit en lui-même: On dit que « le tigre est le roi des animaux, il n'en est que le tyran, et j'en suis le roi. »

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"

L'ambassadeur des Perses parla ainsi :

« Au commencement du monde la lune fut ma«riée avec le soleil. Tous les astres du firmament vouloient l'épouser. Elle leur dit: Regardez le so

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leil, et regardez-vous; vous n'avez pas tous ensemble autant de lumière

que

lui. »,

L'ambassadeur d'Égypte vint ensuite, et dit:

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<< Lorsqu'Isis épousa le grand Osiris, ce mariage « fut la cause de la prospérité de l'Égypte, et le type « de sa fécondité. Telle sera la Bactriane; elle de« viendra heureuse par le mariage de ses dieux. »

Arsace faisoit mettre sur les murailles de tous ses palais son nom avec celui d'Isménie. On voyoit leurs chiffres partout entrelacés. Il étoit défendu de peindre Arsace qu'avec Isménie.

Toutes les actions qui demandoient quelque sévérité, il vouloit paroître les faire seul; il voulut que les graces fussent faites sous son nom et celui d'Isménie.

Je vous aime, lui disoit-il, à cause de votre beauté divine et de vos graces toujours nouvelles. Je vous aime encore, parceque, quand j'ai fait quelque action digne d'un grand roi, il me semble que je vous plais davantage.

Vous avez voulu que je fusse votre roi, quand je ne pensois qu'au bonheur d'être votre époux, et ces plaisirs dont je m'enivrois avec vous, vous m'avez appris à les fuir lorsqu'il s'agissoit de ma gloire.

Vous avez accoutumé mon ame à la clémence, et lorsque vous avez demandé des choses qu'il n'étoit pas permis d'accorder, vous m'avez toujours fait respecter ce cœur qui les avoit demandées.

Les femmes de votre palais ne sont point entrées

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