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que, si vous voyez une nation sortir de la barbarie, vous verrez que son style donnera d'abord dans le sublime, et ensuite descendra au naïf. La difficulté du naïf est que le bas le côtoie : mais il y a une différence immense du sublime au naïf, et du sublime au galimatias.

Il y a bien peu de vanité à croire qu'on a besoin des affaires pour avoir quelque mérite dans le monde, et de ne se juger plus rien lorsqu'on ne peut plus se cacher sous le personnage d'homme public.

Les ouvrages qui ne sont point de génie ne prouvent que la mémoire ou la patience de l'auteur. Partout où je trouve l'envie, je me fais un plaisir de la désespérer ; je loue toujours devant un envieux ceux qui le font pâlir.

L'héroïsme que la morale avoue ne touche que peu de gens: c'est l'héroïsme qui détruit la morale, qui nous frappe et cause notre admiration.

Remarquez que tous les pays qui ont été beauhabités sont très malsains: apparemment que coup les grands ouvrages des hommes, qui s'enfoncent dans la terre, canaux, caves, souterrains, reçoivent les eaux qui y croupissent.

Il y

a certains défauts qu'il faut voir pour les tir, tels que les habituels.

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Horace et Aristote nous ont déjà parlé des vertus de leurs pères et des vices de leurs temps, et les auteurs de siècle en siècle nous en ont parlé de même. S'ils avoient dit vrai, les hommes seroient à présent des ours. Il me semble que ce qui fait ainsi raisonner tous les hommes, c'est que nous avons vu nos

pères et nos maîtres qui nous corrigeoient. Ce n'est pas tout: les hommes ont si mauvaise opinion d'eux, qu'ils ont cru non seulement que leur esprit et leur ame avoient dégénéré, mais aussi leur corps, et qu'ils étoient devenus moins grands, et non seulement eux, mais les animaux. On trouve dans les histoires les hommes peints en beau, et on ne les trouve pas tels qu'on les voit.

La raillerie est un discours en faveur de son esprit contre son bon naturel.

Les gens qui ont peu d'affaires sont de très grands parleurs. Moins on pense, plus on parle: ainsi les femmes parlent plus que les hommes; à force d'oisiveté elles n'ont point à penser. Une nation où les femmes donnent le ton est une nation parleuse.

Je trouve que la plupart des gens ne travaillent à faire une grande fortune que pour être au désespoir, quand ils l'ont faite, de ce qu'ils ne sont pas

d'une illustre naissance.

Il y a autant de vices qui viennent de ce qu'on ne s'estime pas assez, que de ce que l'on s'estime trop.

Dans le cours de ma vie, je n'ai trouvé de gens communément méprisés que ceux qui vivoient en mauvaise compagnie.

Les observations sont l'histoire de la physique, les systèmes en sont la fable.

Plaire dans une conversation vaine et frivole est aujourd'hui le seul mérite: pour cela le magistraț abandonne l'étude des lois; le médecin croit être décrédité par l'étude de la médecine; on fuit comme

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pernicieuse toute étude qui pourroit ôter le 'badi

nage.

Rire pour rien, rien, et porter d'une maison dans l'autre une chose frivole, s'appelle science du monde. On craindroit de perdre celle-là, si l'on s'appliquoit à d'autres.

Tout homme doit être poli, mais aussi il doit être libre.

La pudeur sied bien à tout le monde; mais il faut savoir la vaincre, et jamais la perdre.

Il faut que la singularité consiste dans une manière fixe de penser qui échappe aux autres, car un homme qui ne sauroit se distinguer que par une chaussure particulière seroit un sot par tout pays. On doit rendre aux auteurs qui nous ont paru originaux dans plusieurs endroits de leurs ouvrages, cette justice qu'ils ne se sont point abaissés à descendre jusqu'à la qualité de copistes.

Il y a trois tribunaux qui ne sont presque jamais d'accord: celui des lois, celui de l'honneur, celui de la religion.

Rien ne raccourcit plus les grands hommes que leur attention à de certains procédés personnels. J'en connois deux qui y ont été absolument insensibles, César, et le duc d'Orléans régent.

Je me souviens que j'eus autrefois la curiosité de compter combien de fois j'entendrois faire une petite histoire qui ne méritoit certainement pas d'être dite ni retenue: pendant trois semaines qu'elle occupa le monde poli, je l'entendis faire deux cent vingt-cinq fois, dont je fus très content.

Un fonds de modestie rapporte un très grand fonds d'intérêt.

Ce sont toujours les aventuriers qui font de grandes choses, et non pas les souverains des grands empires.

L'art de la politique rend-il nos histoires plus belles que celles des Romains et des Grecs?

Quand on veut abaisser un général, on dit qu'il est heureux (1), mais il est beau que sa fortune fasse la fortune publique.

J'ai vu les galères de Livourne et de Venise, je n'y ai pas vu un seul homme triste. Cherchez à présent à vous mettre au cou un morceau de ruban bleu pour être heureux.

(1) Ce mot rappelle celui de Fontenelle, à qui on disoit, au sujet d'Inès de Castro, que La Motte étoit heureux. Oui, répondit-il; mais ce bonheur n'arrive jamais aux sots.

NOTES

SUR L'ANGLETERRE*.

Je partis le dernier octobre 1729 de La Haye ; je fis le voyage avec milord Chesterfield, qui voulut bien me proposer une place dans son yacht.

Le peuple de Londres mange beaucoup de viande; cela le rend très robuste; mais à l'âge de quarante à quarante-cinq ans, il créve.

Il n'y a rien de si affreux que les rues de Londres, elles sont très malpropres, le pavé y est si mal entretenu qu'il est presque impossible d'y aller en carrosse et qu'il faut faire son testament lorsqu'on va en fiacre, qui sont des voitures hautes comme un théâtre, où le cocher est plus haut encore, son siège étant de niveau à l'impériale. Ces fiacres s'enfoncent dans des trous, et il se fait un cahotement qui fait perdre la tête.

Les jeunes seigneurs anglois sont divisés en deux classes les uns savent beaucoup, parcequ'ils ont été long-temps dans les universités; ce qui leur a

(*) Ces notes, dont je ne garantis nullement l'authenticité, ont paru, pour la première fois, dans une édition in-8° de 1818.

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