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* nous a faits loin de vous, et on nous en a fait sous « vos yeux de plus réels; et vous n'avez rien dit: « vous que, sur le tribunal où vous étiez, nous regardions comme les dieux de la terre, vous avez « été muets comme des statues de bois et de pierre. « Vous dites que vous nous conservez nos biens: eh! << notre honneur nous est mille fois plus cher que « nos biens. Vous dites que vous mettez en sûreté « notre vie :, ah! notre honneur nous est bien d'un <«< autre prix que notre vie. Si vous n'avez pas la « force d'arrêter les saillies d'un orateur emporté, << indiquez-nous du moins quelque tribunal plus juste que le vôtre. Que savons-nous si vous n'avez « pas partagé le barbare plaisir que l'on vient de « donner à nos parties, si vous n'avez pas joui de «< notre désespoir, et si ce que nous vous reprochons << comme une foiblesse, nous ne devons pas plutôt « vous le reprocher comme un crime?»

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Avocats, nous n'aurions jamais la force de soutenir de si cruels reproches, et il ne seroit jamais. dit que vous auriez été plus prompts à manquer aux premiers devoirs, que nous à vous les faire

connoître.

Procureurs, vous devez trembler tous les jours de votre vie sur votre ministère. Que dis-je? vous devez nous faire trembler nous-mêmes. Vous pouvez à tous moments nous fermer les yeux sur la vérité, nous les ouvrir sur des lueurs et des apparences. Vous pouvez nous lier les mains, éluder les dispositions les plus justes et en abuser; présenter sans cesse à vos parties la justice, et ne leur faire em

brasser que son ombre; leur faire espérer la fin, et la reculer toujours; les faire marcher dans un dédale d'erreurs. Pour lors, d'autant plus dangereux que vous seriez plus habiles, vous feriez verser sur nous-mêmes une partie de la haine. Ce qu'il y auroit de plus triste dans votre profession, vous le répandriez sur la nôtre; et nous deviendrions bientôt les plus grands criminels après les premiers coupables. Mais que n'ennoblissez-vous votre profession par la vertu qui les orne toutes? Que nous serions charmés de vous voir travailler à devenir plus justes que nous ne le sommes ! Avec quel plaisir vous pardonnerions-nous cette émulation! et combien nos dignités nous paroîtroient-elles viles auprès d'une vertu qui vous seroit chère!

Lorsqué plusieurs de vous ont mérité l'estime de la cour, nous nous sommes réjouis des suffrages que nous leur avons donnés: il nous sembloit que nous allions marcher dans des sentiers plus sûrs; nous nous imaginions nous-mêmes avoir acquis un nouveau degré de justice.

Nous n'aurons point, disions-nous, à nous défendre de leurs artifices; ils vont concourir avec nous à l'œuvre du jour, et peut-être verrons-nous le temps où le peuple sera délivré de tout fardeau. Procureurs, vos devoirs touchent de si près les nôtres, que nous, qui sommes préposés pour vous reprendre, nous vous conjurons de les observer. Nous ne vous parlons point en juges; nous oublions que nous sommes vos magistrats: nous vous prions de nous laisser notre probité, de ne nous point ôter le res

pect des peuples, et de ne nous point empêcher d'en être les pères.

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DISCOURS

SUR LES MOTIFS QUI DOIVENT NOUS ENCOURAGER AUX SCIENCES.

PRONONCÉ LE 15 NOVEMBRE 1725.

La différence qu'il y a entre les grandes nations. et les peuples sauvages, c'est que celles-là se sont appliquées aux arts et aux sciences, et que ceux-ci les ont absolument négligés. C'est peut-être aux connoissances qu'ils donnent que la plupart des nations doivent leur existence. Si nous avions les mœurs des sauvages de l'Amérique, deux ou trois nations de l'Europe auroient bientôt mangé toutes les autres; et peut-être que quelque peuple conquérant de notre monde se vanteroit, comme les Iroquois, d'avoir mangé soixante-dix nations.

Mais sans parler des peuples sauvages, si un Descartes étoit venu au Mexique ou au Pérou cent ans avant Cortez et Pizarre, et qu'il eût appris à ces peuples que les hommes, composés comme ils sont, ne peuvent pas être immortels; que les ressorts de leur machine s'usent, comme ceux de toutes les machines; que les effets de la nature ne sont qu'une suite des lois et des communications du mouve

ment; Cortez, avec une poignée de gens, n'auroit jamais détruit l'empire du Mexique, ni Pizarre celui du Pérou.

Qui diroit que cette destruction, la plus grande dont l'histoire ait jamais parlé, n'ait été qu'un simple effet de l'ignorance d'un principe de philosophie? Cela est pourtant vrai, et je vais le prouver. Les Mexicains n'avoient point d'armes à feu; mais. ils avoient des arcs et des flèches, c'est-à-dire ils avoient les armes des Grecs et des Romains: ils n'avoient point de fer; mais ils avoient des pierres à fusil qui coupoient comme du fer, et qu'ils mettoient au bout de leurs armes : ils avoient même une chose excellente pour l'art militaire, c'est qu'ils faisoient leurs rangs très serrés; et sitôt qu'un soldat étoit tué, il étoit aussitôt remplacé par un autre : ils avoient une noblesse généreuse et intrépide, élevée sur les principes de celle d'Europe, qui envient le destin de ceux qui meurent pour la gloire. D'ailleurs la vaste étendue de l'empire donnoit aux Mexicains mille moyens de détruire les étrangers, supposé qu'ils ne pussent pas les vaincre. Les Péruviens avoient les mêmes avantages; et même partout où ils se défendirent, partout où ils combattirent, ils le firent avec succès. Les Espagnols pensèrent même être exterminés par de petits peuples qui eurent la résolution de se défendre. D'où vient donc qu'ils furent si facilement détruits? c'est que tout ce qui leur paroissoit nouveau, un homme barbu, un cheval, une arme à feu, étoit pour eux l'effet d'une puissance invisible, à laquelle ils se jugeoient inca

pables de résister. Le courage ne manqua jamais aux Américains, mais seulement l'espérance du succès. Ainsi un mauvais principe de philosophie,. l'ignorance d'une cause physique, engourdit dans un moment toutes les forces de deux grands empires. Parmi nous l'invention de la poudre à canon donna un si médiocre avantage à la nation qui s'en servit la première, qu'il n'est pas encore décidé laquelle eut cet avantage. L'invention des lunettes d'approche ne servit qu'une fois aux Hollandois. Nous avons appris à ne considérer dans tous ces effets qu'un pur mécanisme, et par là il n'y a point d'artifice que nous ne soyons en état d'éluder par un artifice.

Les sciences sont donc très utiles, en ce qu'elles guérissent les peuples des préjugés destructifs; mais, comme nous pouvons espérer qu'une nation qui les a une fois cultivées les cultivera toujours assez pour ne pas tomber dans le degré de grossièreté et d'ignorance qui peut causer sa ruine, nous allons parler des autres motifs qui doivent nous engager à nous y appliquer.

Le premier, c'est la satisfaction intérieure que l'on ressent lorsque l'on voit augmenter l'excellence de son être, et que l'on rend plus intelligent un être intelligent. Le second, c'est une certaine curiosité que tous les hommes ont, et qui n'a jamais été si raisonnable que dans ce siècle-ci. Nous entendons dire tous les jours que les bornes des connoissances des hommes viennent d'être infiniment reculées, que les savants sont étonnés de se trouver si savants,

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