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Nous fimes prendre des grenouilles de terre, que nous jugeâmes, par le lieu où on les avoit trouvées, n'avoir jamais été sous l'eau, et avoir toujours respiré : on les mit au fond de l'eau près de deux fois vingt-quatre heures ; et lorsqu'on les tira, elles n'en parurent point incommodées. Ceci ne laissa pas de nous surprendre : car, outre que nous avions lu le contraire chez des auteurs qui assurent que ces animaux sont obligés de sortir de temps en temps de dessous l'eau pour respirer, nous trouvions cette observation si différente de la précédente, que nous ne savions que croire de l'usage du trou ovale et du conduit botal. Enfin nous nous ressouvînmes que nous avions observé, plusieurs mois auparavant, que le cœur des grenouilles n'a qu'un ventricule, de manière que le sang va par le

cœur de la veine cave dans l'aorte, sans passer par les poumons; ce qui fait que la respiration est inutile à ces animaux, quoiqu'ils meurent dans la machine pneumatique, dont la raison est qu'ils ont toujours besoin d'un peu d'air qui, par son ressort, entretienne la fluidité du sang: mais il en faut si peu, que celui qu'ils prennent dans l'eau ou par

les aliments leur suffit.

VII. On sait que le froment, le seigle, et l'orge même, ne viennent pas dans tous les pays; mais la nature y supplée par d'autres plantes : il y en a quelques unes qui sont un poison mortel, si on ne les prépare, comme la cassave, dont le jus est si dangereux. On fait, en quelques endroits de Nor

wége ou d'Allemagne, du pain avec une espèce de terre, dont le peuple se nourrit, qui se conserve quarante ans sans se gâter : quand un paysan a pu parvenir à se faire du pain pour toute sa vie, sa fortune est faite; il vit tranquille, et n'espère plus rien de la providence. On n'auroit jamais fait, si l'on vouloit décrire tous les moyens divers que la nature emploie, et toutes les précautions qu'elle a prises pour subvenir à la vie des hommes. Comme nous habitons un climat heureux, et que nous sommes du nombre de ceux qu'elle a le plus favorisés, nous jouissons de ses plus grandes faveurs sans nous soucier des moindres : nous négligeons et laissons périr dans les bois des plantes qui feroient une des grandes commodités de la vie chez bien des peuples. On s'imagine qu'il n'y a que le blé qui soit destiné à la nourriture des hommes, et on ne considère les autres plantes que par rapport à leurs qualités médicinales; les docteurs les trouvent émollientes, diurétiques, dessicatives ou astringentes; ils les traitent toutes comme la manne qui nourrissoit les Israelites, dont ils ont fait un purgatif; on leur donne une infinité de qualités qu'elles n'ont pas, et personne ne pense à la vertu de nourrir qu'elles ont.

Le froment, l'orge, le seigle, ont, comme les autres plantes, des années qui leur sont très favorables : il y en a où la disette de ces grains n'est pas le seul malheur qui afflige les peuples; leur mauvaise qualité est encore plus cruelle. Nous croyons dans ces années si tristes pour les pauvres, et

que,

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mille fois plus encore pour les riches, chez un peuple chrétien, on a mille moyens de suppléer à la rareté du blé; qu'on a sous ses pieds dans tous les bois mille ressources contre la faim; et qu'on admireroit la providence, au lieu de l'accuser, si l'on connoissoit tous ses bienfaits.

Dans cette idée, nous avons conçu le dessein d'examiner les végétaux, les écorces, et une infinité de choses qu'on ne soupçonneroit pas par rapport à leur qualité nutritive. La vie des animaux qui ont le plus de rapports à l'homme seroit bien employée pour faire de pareilles expériences. Nous en avons commencé quelques unes qui nous ont réussi très heureusement. La brièveté du temps ne nous permet pas de les rapporter ici; d'ailleurs nous voulons les joindre à un grand nombre d'autres que nous nous proposons de faire sur ce sujet. Notre dessein est aussi d'examiner en quoi consiste la qualité nutritive des plantes: il n'est pas toujours vrai que celles qui viennent dans une terre grasse soient plus propres à nourrir que celles qui viennent dans un terrain maigre. Il y a dans le Quercy un pays qui ne produit que quelques brins d'une herbe très courte, qui sort au travers des pierres dont il est couvert ; cette herbe est si nourrissante, qu'une brebis y vit, pourvu que chaque jour elle en puisse amasser autant qu'il en pourroit entrer dans un dé à coudré; au contraire, dans le Chili, les viandes · y nourrissent si peu, qu'il faut absolument mande trois en trois heures, comme si ce pays étoit

ger

tombé dans la malédiction dont Dieu menace son peuple dans les livres saints: Joterai au pain la force de nourrir.

Je me vois obligé de dire ici que le sieur Duval nous a beaucoup aidés dans ces observations, et que nous devons beaucoup à son exactitude. On jugera sans doute qu'elles ne sont pas considérables; mais on est assez heureux pour ne les estimer précisément que ce qu'elles valent.

C'est le fruit de l'oisiveté de la campagne. Ceci devoit mourir dans le même lieu qui l'a fait naître : mais ceux qui vivent dans une société ont des devoirs à remplir; nous devons compte à la nôtre de nos moindres amusements. Il ne faut point chercher la réputation par ces sortes d'ouvrages, ils ne l'obtiennent ni ne la méritent; on profite des observations, mais on ne connoît pas l'observateur: aussi de tous ceux qui sont utiles aux hommes, ce sont peut-être les seuls envers lesquels on peut être ingrat sans injustice.

Il ne faut pas avoir beaucoup d'esprit pour avoir vu le Panthéon, le Colysée, des pyramides; il n'en faut pas davantage pour voir un ciron dans le microscope, ou une étoile par le moyen des grandes lunettes; et c'est en cela que la physique est si admirable grands génies, esprits étroits, gens médiocres, tout y joue son personnage: celui qui ne saura pas faire un système comme Newton, fera une observation avec laquelle il mettra à la torture ce grand philosophe; cependant Newton sera tou

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OBSERVAT. SUR L'HIST. NATUR.

jours Newton, c'est-à-dire le successeur de Descartes, et l'autre un homme commun, un vil artiste, qui a vu une fois, et n'a peut-être jamais pensé.

DISCOURS

PRONON CÉ A LA RENTRÉE DU PARLEMENT DE BORDEAUX.

1725.

Que celui d'entre nous qui aura rendu les lois esclaves de l'iniquité de ses jugements périsse sur l'heure! Qu'il trouve en tout lieu la présence d'un Dieu vengeur, et les puissances célestes irritées! Qu'un feu sorte de dessous terre et dévore sa maison! Que sa postérité soit à jamais humiliée ! Qu'il cherche son pain et ne le trouve pas ! Qu'il soit un exemple affreux de la justice du ciel, comme il en a été un de l'injustice de la terre!

C'est à peu près ainsi, messieurs, que parloit un grand empereur; et ces paroles si tristes, si terribles, sont pour vous pleines de consolation. Vous pouvez tous dire en ce moment à ce peuple assemblé, avec la confiance d'un juge d'Israël : Si j'ai commis quelque injustice, si j'ai opprimé quelqu'un de vous, si j'ai reçu des présents de quelqu'un d'entre vous, qu'il élève la voix, qu'il parle contre moi aux yeux du seigneur: LOQUIMINI DE ME CORAM DOMINO,

ET CONTEMNAM ILLUD HODIE.

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