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de vaisseaux, dans lesquels, comme dans des filières, le sang se subtilise; c'est un peloton formé par les rameaux de deux vaisseaux lymphatiques, l'un déférent, et l'autre référent : il juge que c'est le déférent qui porte la liqueur, et non pas l'artère, parcequ'il l'a vu beaucoup plus gros; cette liqueur est reprise par le référent, qui la porte au canal thorachique, et la rend à la circulation générale. Dans ces glandes, et dans toutes les conglobées, il n'y a point de canal excrétoire; car il ne s'agit pas ici de séparer des liqueurs, mais seulement de les subtiliser.

Ce système, par une apparence de vrai qui séduit d'abord, a attiré l'attention de la compagnie; mais il n'a pu la soutenir. Quelques membres ont proposé des objections si fortes, qu'ils ont détruit l'ouvrage, et n'y ont pas laissé pierre sur pierre: j'en rapporterai ici quelques unes; et quant aux autres, je laisserai à ceux qui me font l'honneur de m'entendre le plaisir de les trouver eux-mêmes.

Il y a dans les capsules une cavité; mais, bien loin de servir à subtiliser la liqueur, elle est au contraire très propre à l'épaissir et à en retarder le mouvement. Il y a dans ces cavités un sang noirâtre et épais; ce n'est donc point de la lymphe ni une liqueur subtilisée. Il y a d'ailleurs de très grands embarras à faire passer la liqueur du déférent dans la cavité, et de la cavité dans le référent. De dire que cette cavité est une espèce de cœur qui sert à faire fermenter la liqueur, et la fouetter dans le vaisseau référent, cela est avancé sans preuve, et

on n'a jamais remarqué de battement dans ces parties plus que dans les reins.

On voit par tout ceci que l'académie n'aura pas la satisfaction de donner son prix cette année, et que ce jour n'est point pour elle aussi solennel qu'elle l'avoit espéré par les expériences et les dissections qu'elle a fait faire sous ses yeux, elle a connu la difficulté dans toute son étendue, et elle a appris à ne point s'étonner de voir que son objet n'ait pas été rempli. Le hasard fera peut-être quelque jour ce que tous ses soins n'ont pu faire (1). Ceux qui font profession de chercher la vérité ne sont pas moins sujets que les autres aux caprices de la fortune peut-être ce qui a coûté aujourd'hui tant de sueurs inutiles ne tiendra pas contre les premières réflexions d'un auteur plus heureux. Archimede trouva, dans les délices d'un bain, le fameux problème que ses longues méditations avoient mille fois manqué. La vérité semble quelquefois courir au-devant de celui qui la cherche; souvent il n'y a point d'intervalle entre le desir, l'espoir, et la jouissance. Les poètes nous disent Pallas sortit sans douleur de la tête de Jupiter, pour nous faire sentir sans doute que les productions de l'esprit ne sont pas toutes laborieuses.

que

(1) Les anatomistes ne connoissent pas mieux aujourd'hui que du temps de Montesquieu les usages des glandes rénales; il faut probablement des recherches plus fréquentes sur les fœtuș de divers âges pour en développer la structure. On ne peut remarquer sans admiration que, si Montesquieu s'étoit adonné à l'étude de l'anatomie, il auroit fait faire à cette science des progrès, aussi sensibles peut-être que ceux qui ont signalé ses pas dans les velon sciences morales. (Note de M. Portal, médecin.)

PROJET

D'UNE

HISTOIRE PHYSIQUE DE LA TERRE

ANCIENNE ET MODERNE.

1719.

On travaille à Bordeaux à donner au public l'Histoire de la terre ancienne et moderne, et de tous les changements qui lui sont arrivés, tant généraux que particuliers, soit par les tremblements de terre, inondations, ou autres causes, avec une description exacte des différents progrès de la terre et de la mer, de la formation et de la perte des îles, des rivières, des des vallées, lacs, golfes, détroits, caps, montagnes, et de tous leurs changements, des ouvrages faits de main d'homme qui ont donné une nouvelle face à la terre, des principaux canaux qui ont servi à joindre les mers et les grands fleuves, des mutations arrivées dans la nature du terrain et la constitution de l'air, des mines nouvelles ou perdues, de la destruction des forêts, des déserts formés par les pestes, les guerres, et les autres fléaux, avec la cause physique de tous ces effets, et des remarques critiques sur ceux qui se trouveront faux ou suspects.

On prie les savants dans les pays desquels de pareils événements seront arrivés, et qui auront échappé aux auteurs, d'en donner connoissance : on prie aussi ceux qui en auront examiné qui sont déjà connus, de faire part de leurs observations, soit qu'elles démentent ces faits, soit qu'elles les confirment. Il faut adresser les mémoires à M. de Montesquieu, président au parlement de Guienne, à Bordeaux, rue Margaux, qui en paiera le port; et si les auteurs se font connoître, on leur rendra de. bonne foi toute la justice qui leur est due.

On les supplie, par l'amour que tous les hommes doivent avoir pour la vérité, de ne rien envoyer légèrement, et de ne donner pour certain que ce qu'ils auront mûrement examiné. On avertit même qu'on prendra toutes sortes de mesures pour ne se point laisser surprendre, et que, dans les faits singuliers et extraordinaires, on ne s'en rapportera pas au témoignage d'un seul, et qu'on les fera examiner de nouveau (1).

(1) Voyez le Journal des Savants, année 1719, page 159, et le Mercure de janvier 1719.

DISCOURS

SUR

LA CAUSE DE LA PESANTEUR DES CORPS,

PRONONCÉ LE 1er MAI 1720.

C'a été de tout temps le destin des gens de lettres de crier contre l'injustice de leur siècle. Il faut entendre un courtisan d'Auguste sur le peu de cas que l'on avoit toujours fait de ceux qui par leurs talents avoient mérité la faveur publique. Il faut entendre les plaintes d'un courtisan de Néron; il ose dire que la corruption est passée jusqu'à ses dieux le goût est si dépravé, ajoute-t-il, : qu'une masse d'or paroît plus belle que tout ce qu'Apelle et Phidias, ces petits insensés de Grecs, ont jamais fait.

Vous n'avez point, messieurs, de pareils reproches à faire à votre siècle : à peine eûtes-vous formé le dessein de votre établissement, que vous trouvâtes un protecteur illustre capable de le soutenir. Il ne négligea rien de ce qui pouvoit animer votre zéle; et si vous étiez moins reconnoissants, il vous feroit oublier ses premiers bienfaits par la profusion avec laquelle il vous gratifie aujourd'hui. Il ne peut soufque le sort de cette académie soit plus long

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